«Mam'zelle Paula», classique indémodable du séga réunionnais, est née à... Porto Rico !
Butor 1930 : chez Mam’zelle Zizi, pension tout confort
Mam’zelle Zizi, «belle Malabare», tenancière d’une pension de famille au Butor, faubourg de Saint-Denis. De passage à La Réunion en 1930, le voyageur Marcel Mouillot pose ses valises dans cet établissement populaire aux murs branlants et inachevé depuis vingt ans. Ambiance créole racontée par le «vieux gâçon z’oreil», celui qui donne beaucoup de «gros quat’ sous», où l’on perçoit les travers de cette société réunionnaise caractérisée par la débrouille et la solidarité et «fascinée» par la «gouyave de France»… Extraits.
Le « vieux gâçon z’oreil » a la plus belle chambre
La case est inachevée depuis vingt ans : l’escalier est un escalier provisoire, la cuisine tombe en ruines ; de la varangue du premier étage, il n’existe que quatre poutres de fer.
Pension de famille dont les hôtes sont les «p’tits gâçons» [garçons], y compris l’agent de police qui atteint la trentaine et «Azénor», élève de seconde au lycée Leconte-de-Lisle.
Je suis le «vieux gâçon z’oreil», qui a droit à la plus belle chambre parce qu’il donne beaucoup «gros quat’ sous», et aussi à une salle à manger particulière. Jean qui, quelques semaines plus tard, vint me rejoindre, resta le «marmaille z’oreil»… On n’a jamais su pourquoi.
Combien étions-nous de pensionnaires en cette construction extraordinaire où les cloisons fléchissaient, où la rampe de l’escalier était en perpétuel contact avec la canalisation électrique ?
Des cailloux dans les marmites pour « faire cayambe » !
Autour des murs branlants de la cuisine s’affairait un peuple de pauvres bougres, «Caméléon» en tête : il s’agissait finalement, en échange d’une vague corvée, arrosage du jardin ou mise à mort d’un canard bourré, de recevoir une gamelle de riz avec «chouchou» et «un bon peu la graisse». Les voir se repaître et calmer leur appétit était pour la patronne le bénéfice net de son exploitation.
Une douzaine de petits employés et fonctionnaires ou surveillants au lycée avaient dans un coin un lit-cage, un drap, une mallette de linge, beaucoup de livres, des journaux sportifs, des revues littéraires, des disques de phonographe, des guitares, des banjos, des mandolines.
Tout à coup, du premier étage, tombaient quelques accords… De tous les coins de la case, du jardin, de la varangue, d’autres instruments se mettaient de la partie…
Dans la cuisine, on agitait des cailloux dans les marmites pour «faire cayambe».
« Espère ! Mi amarre à vous » !
Mam’zelle Zizi s’irritait sur un ton suraigu contre le «p’tit cochon» qui dormait dans l’escalier… : «Espère ! Mi amarre à vous… Mi tue à vous… Si vous l’est déplorable» !
Et cela ne s’arrêtait qu’à l’heure où va s’ouvrir le bureau, l’heure à laquelle l’étude, au lycée, réclame son surveillant.
Il n’y a pas de façon plus agréable de passer le temps, aux heures chaudes, que de rester à «la case» pour écouter les conversations des voisins en visite.
C’est un va-et-vient perpétuel de commères, de marchands ambulants, de cousins et cousines descendus des «hauts», de tontons et de tantines des «quartiers».
«Ma mère ! — s’écrie un vieillard — à Paris, y a point seulement un pied de coco !»
Les cheveux « en baguettes de tambour » !
Zizi, belle Malabare, reste debout, reprisant quelque harde, un vieux feutre d’homme jeté au hasard sur ses cheveux crépus…
Elle n’a honte ni de la couleur de son épiderme, ni des origines de sa famille : elle n’envisage guère la possibilité d’avoir d’aussi gros soucis…
«Vi vois, mon blanc, comme l’a le mauvais cheveux ? Mi connais bien que l’a pas très bon non plis, mais l’est tout de même meilleur ! Ça l’est pure cafouine [cafrine] même, et l’dimanche, l’a même point un soulier dans son pied !»
C’est en ces termes méprisants qu’elle parle de la marchande de légumes… les bringelles étaient trop chères et les chouchoux un peu fanés… Avoir le bon cheveu, ce serait avoir les cheveux «en baguettes de tambour», droits, sans ondulations… Ici, c’est plutôt rare !
Dans l’éternelle fumée de la cuisine
Mais le sourire illumine à nouveau les traits plutôt fins du visage de la «patronne»… : deux gosses apparaissent au «barreau», portant un «garde-manger» à moitié défoncé.
Quels étaient au juste tous ces enfants accrochés à ses jupons, et ceux aussi dont elle allait fleurir les tombes au cimetière, chaque dimanche ? Elle n’aurait ressenti aucune gêne, Mam’zelle Zizi, à en avouer la maternité… : ce devait être l’héritage accepté simplement, avec «joie même», de quelque amie disparue, et aussi les progénitures des nombreux domestiques qui s’agitaient dans l’éternelle fumée de la cuisine.
La blanchisseuse qui, du matin au soir, frotte des nippes entre deux cailloux, au bassin, n’est pas tendre dans sa façon de s’exprimer, s’adressant à l’aîné des gamins :
«À moi l’en a assez d’fatigue’ mon estomac à crie’ après vous ! À moin y mange’ pas la viande tous les jours ! Mi prive mon estomac pour donne mangé à vous ! Moin y lave vot’ linge, moin y r’passe, moin y raccommode, moin y donne à vous à chaque instant un p’tit quat’ sous, et vous l’est ingrat, l’est menteur, l’est voleur, vous l’est un p’tit cochon ! P’tit maudit, va ! Vous l’est parti depuis cinq heures ‘après-midi ! Moin l’a faim, mi suis fatiguée d’attendre à vous, et encore, vi trouve moyen faire tomber mon manger dans l’canal ! Vous y rapporte mon riz plein d’eau, plein de saleté ! Alors, vi crois que mi s’en va mourir de faim cause à vous, petit maudit ! Moin y donne à vous à Hyacinthe : là, vous y s’ra bien, dan’ bois Sainte-Clotilde, et quand vous l’aura faim, vi mangera conflor et raquettes bouillies !»…
« La machine qui fait : touf ! touf ! »
(…) Enfants légitimes et «z’enfants de reconnaissance» vivent pêle-mêle dans les cases, attrapant à l’heure des repas la même ration de riz qu’ils mangent avec leurs doigts, surveillant les fugues des cochons et des canards, vaguement élevés par la vieille tantine qui ânonne avec eux les rudiments du catéchisme.
(…) Les services municipaux de désinfection répandent la terreur au quartier du Butor : «Ma mère ! La machine qui fait : touf ! touf !, ça il apporte la peste dans la case !»
Mam’zelle Zizi, elle-même, qui eut comme pensionnaires un certain nombre de «z’oreils» et a perdu pas mal de préjugés, me regardait d’un air sévère le jour où malgré un orage des plus violents, je passais quelques disques sur le phonographe : «Ah ! Vi brave travail Bon Dieu !»
«Moin l’a vu un vrai diable, un mauvaise âme…»
Il est vrai qu’un matin, à trois heures et demi, … [en] «allant [à la] messe quatre heures avec Fifine — m’a-t-elle raconté — moin l’a vu un vrai diable, un mauvaise âme : l’était assis comme un chien ; son corps l’était plus noir que charbon ; l’avait des bras et des cuisses gros comme ça, des mains grand comme ça ; entre ses jambes l’aurait pu passer une barrique ; et l’avait la tête… la tête pas plus grosse que la calotte de Monseigneur le jour de la confirmation !»
C’est au milieu, tout de même, de grands éclats de rire, en conversations rapides, interrompues par de nombreuses escapades au jardin, à la cuisine, au bassin, que Mam’zelle Zizi nous conte ces anecdotes.
«Un os de chat noir bouilli»
Elle a pour les Européens une admiration sans bornes… qui tient d’ailleurs uniquement à ce fait incroyable pour elle qu’ils ont pendant trente-cinq jours affronté les océans sans en mourir. Elle doit en conclure que nous sommes un peu sorciers ou que nous détenons, cachés dans la doublure de notre veste, «un os de chat noir bouilli».
Tristes journées : le malheur plane… Une vieille Cafre [cafrine] agonise dans la case voisine : toute la rue, volontairement, s’est mobilisée pour apporter des secours.
Une énorme tumeur gonfle l’estomac de la malheureuse : mam’zelle Zizi, pieuse catholique, parle des secours de la religion ; alors la moribonde se soulève sur son grabat : «À cause un prêtre ? Mi suis point faille !»… On se tait.
Au Butor, où Mam’zelle Zizi vient de mourir
«Tout le mound’, à La Réunion, l’a des paquets de vers d’estomac», affirme Églé, la fille de la malade ; et, comme drogues et potions restent sans effet, on prépare, ressource suprême et dernier espoir, un «carry chouchou»… On va chercher «sadines» [sardines] pour faire bouillon, des mangues, des lytchis…
(…) «P’tit Caf’», P’a Cazambo, Mam’zelle Dada… mais «Mam’zelle Zizi», elle, ne sourit plus au «P’tit Cochon», ne donne plus à l’effronté «Caméléon», chaque soir, «son assiette créole même»…
Mam’zelle Zizi est morte, morte d’avoir donné tout ce qu’elle pouvait donner, ayant rempli convenablement sur cette terre parfumée son rôle d’oiseau-mouche, de sœur de charité inconsciente et de mère adoptive… de l’Étang-Salé où elle est née jusqu’au Butor où elle vient de mourir.
Marcel Mouillot, 1930, [Extraits]
«13.000 milles, en cargo de Marseille à Madagascar et aux îles de La Réunion»
Mamzelle Zizi et Georges Fourcade
Dans son livre, Marcel Mouillot évoque sa rencontre avec « Georges F. », qui n’est autre que Georges Fourcade. Les deux hommes se lient d’amitié et fréquentent les mêmes lieux. Ainsi trouve-t-on dans l’œuvre de Fourcade un séga instrumental portant le nom de « Mamzelle Zizi».
Le personnage de Mamzelle Zizi apparaît également dans le « Z’histoires la caze » de Fourcade publié en 1928. La saynette intitulée « Marmailles l’école » se déroule dans une allée de la cathédrale cassée ou se retouvent Popol [17 ans, brun], Fafane [18 ans, blond, yeux bleus] et Mamzelle Zizi [16 ans, brune].
Pour écouter «Mamzelle Zizi» de Georges Fourcade, cliquez ici.
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