Bin, sans qui paraît, maloya Firmin Viry i raconte anous inn légende. Inn légende i sorte…
Moringue 1920 : «Sors devant moi, sinon…»
Le moringue, cousin de la capoeira, est une pratique qui de nos jours a retrouvé sa vivacité. 7 Lames la Mer vous propose de découvrir une description de moringue, datant de la décennie 1920 et publiée une première fois en 1928 dans le livre de Jean-Valentin Payet «Au seuil des cases». Les «batailleurs» de l’époque — des héros — avaient pour noms «Gros Mimi», Latour dit «cafre rouge», Pierre-Maurice, Coat, Fanfan Jacquemont, Daniel Lescarteau, Valromeix dit «Profur», etc. La scène se déroule dans le sud de l’île, à Saint-Pierre, mais le moringue se pratiquait dans toute l’île comme en attestent de vieilles coupures de presse dans la rubrique « faits divers»…
Extraits de « Récits et traditions de La Réunion »
Bien longtemps avant que la mode des jeux violents — on dirait aujourd’hui «arts martiaux» — ait été répandue en Europe, fleurissait à La Réunion un art aussi noble que la boxe peut-être, le moringue.
Le moringue est une sorte de lutte mimée de coups, en grand honneur chez certaines peuplades du sud de Madagascar : sakalavas, baras, antandroy.
Il s’accompagne généralement du son monotone et énervant d’un tambourin, qui se nomme également moringue, et ne se pratique guère qu’à l’occasion de cérémonies au cours desquelles se boivent force toaka, qui est un rhum ou autre alcool de basse qualité, et force «betsabetsa», qui est du jus de canne fermenté.
«Coup de talon malgache»
Ce jeu, introduit à Bourbon avec les esclaves que nous vendirent les «manjakas» ou roitelets des côtes malgaches, très vite se transforma. C’était l’époque où notre marine, encore relativement puissante, était constamment représentée dans les plus petits rades ou marines par quelque brick, corvette, frégate ou vaisseau marchand, faisant le commerce de produits locaux, et des vivres de Madagascar, des matériaux ou des appareils de la métropole.
Les «Mocos»* y mêlèrent des coups de savate, les «Jean Gouin»1 des coups de tête et cette façon de faucher les jambes ou de frapper des pieds en pivotant sur les mains, que les initiés appellent «coup de talon malgache», encore qu’on ne puisse revendiquer cette origine.
Les «coups de pied de flancs» se nomment «bourrants» et frapper du talon à la tête sur une contre-pirouette se désigne sous le nom de «talons hirondelles», en n’omettant pas la liaison.
Les défis se lançaient au cri de «limer !»
Les manchettes et atémis2 étaient connus comme des coups de «quart de main». Les coups bas étaient interdits et on ne frappait pas un adversaire à terre, on criait : «mette au bon !» Le combat prenait fin soit d’accord-parties, soit quand l’un des combattants criait : «tire !»
Le pare à virer était une simple calotte au visage. Chaque round se disait «rond» comme au Canada. Enfin les défis se lançaient au cri de «limer !» et le pugiliste faisait le tour du rond, le poing levé. On l’appelait le «batailleur».
Chaque dimanche, dans un terrain vague clos de haies épineuses, s’agitait un petit groupe d’une centaine de personnes. Les batailleurs de renom, dont la gloire s’était répandue dans tout le pays, étaient dans l’assemblée.
Gros Mimi, Latour dit cafre rouge, Coat, Fanfan
Ce dimanche-là, Gros Mimi, géant d’ébène qui roulait d’énormes épaules, mais n’était déjà plus le champion de Saint-Pierre, l’abus de rhum lui ayant fait perdre sa vivacité et flageoler les jambes, était présent, ainsi que Latour encore en ses beaux jours, de taille moyenne, râblé, calme et que ses victimes malabars avaient surnommé «cafre rouge», ne pouvant s’imaginer qu’un Blanc puisse se débarrasser si facilement de sa veste, pour faire le coup de poing contre n’importe qui ; Pierre-Maurice, épais et jaune, avec ses mains en battoirs qui, disait-on, broyaient des noix de coco ; Coat, petit Comorien à figure tavelée, au cou de taureau et la lippe dédaigneuse quoiqu’ayant subi de retentissantes défaites ; enfin Fanfan Jacquemont et d’autres encore moins connus.
Mais l’objet de cette réunion n’était qu’un combat de coqs. (…) Au sixième combat, un mouvement dans la foule attentive fit que l’un des coqs eut un moment d’inattention, ce qui étonna de la part d’un combattant et causa sa perte, son adversaire frappant très vite du bec et des ergots, lui énucléa l’œil gauche.
Héros dont le nom sonnait sur un mode admiratif
Les parieurs qui avaient misé sur la chance du vaincu étaient des «ma pêcheurs» de la Terre Sainte ; ils protestèrent avec de grands éclats de voix, déclarant le coup irrégulier. (…) L’auteur du délit (…) était Daniel Lescarteau, dont la chronique pugilistique commençait à s’occuper. (…) Héros dont le nom sonnait sur un mode admiratif, bien que teinté d’appréhension. (…)
«L’est saoul !», lança-t-on… mais il l’était dans le degré que veulent les principes du moringue, (…) dans un état d’ivresse tel que toutes les facultés combatives en sont surexcitées. (…) Par ses bourrades, il contribuait à faire le vide autour de lui.
Les «ma pêcheurs», en groupe compact, faisaient front, prêts à toute éventualité. (…) Du pied, Daniel gratta le sol comme un animal puis il fonça, s’arrêta à deux mètres du groupe, pressentant quelque danger. Il poussa un mugissement pour s’encourager et manœuvra obliquement.
Accroupi sur ses talons, les genoux aux dents…
Alors un homme se leva, qui s’était jusque-là tenu à l’écart, accroupi sur ses talons, les genoux aux dents. C’était un journalier, Profur, de son vrai nom Valromeix. Il fit deux pas d’une allure souple, roulant de larges épaules noueuses, soudées au bloc de basalte de son torse tout frissonnant de muscles, sous le tricot qui le mouillait. (…)
Profur, de haute taille, se plaça devant les «ma pêcheurs» dont il partageait souvent les périls en mer, habitant le même village où la vie était rude et saine.
Il parla d’une voix profonde et ce fut un avertissement :
— Daniel fais pas la bête !
— Sors devant moi, sinon…
— Sinon, tu feras rien…
Tu connais Profur à c’t’heure !
Et Daniel s’élança, replié sur lui-même, dans une détente brusque. (…) Daniel était un tourbillon où l’œil distinguait à peine la tête lancée en boulet de canon, les poings projetés à toute volée et les pieds sabrant l’espace pendant que tout le corps se tordait comme un reptile. Mais ce tourbillon se brisait sous les claques sourdes des larges paumes de Profur. Celui-ci, avec son allonge impressionnante, n’avait qu’à étendre le bras, ses mains ouvertes semblaient caresser les poings durs, palper les talons calleux ou ébouriffer le crâne matelassé.
Ahuri, bloqué, impuissant, Daniel écumait littéralement. (…) Il se frappait la poitrine, en poussant des cris de rage. Lui, Daniel, vaincu… vaincu sans avoir été battu. Une fois encore il accourut de biais, essayant de relever les formidables mains et de lancer un «zambec»3. Il ne réussit qu’à se faire saisir les poignets et à se faire projeter dans le groupe des curieux. (…)
— O toi Daniel, mon noir, tu connais Profur à c’t’heure !, gargouilla Gro Mimi, hilare.
Extrait de « Récits et traditions de La Réunion » de Jean Valentin Payet
1898 : les moringeurs de la rue Sainte-Marie
La pratique du moringue en pleine ville, ce n’est pas si rare et cela n’est pas du goût de tout le monde… « Vauriens», « fauteurs de désordres», « batailleurs»… C’est ainsi qu’en 1898, la presse relate une « affaire» de moringueurs. Un entrefilet publié dans « Le Nouvelliste» rapporte qu’un groupe de « nombreux petits vauriens» se réunit régulièrement le soir à l’angle des rues Saint-Jacques et Sainte-Marie (Saint-Denis) pour s’adonner à leur pratique favorite : « le jeu de moringue».
« Tous les soirs, pendant une heure ou deux, la circulation à l’angle de ces deux voies publiques, ne peut se faire aisément par suite de la réunion de ces fauteurs de désordres qui sont à craindre malgré leur jeune âge. Le passant est exposé à recevoir un coup quelconque, sans compter qu’il lui faut entendre les mauvais propos échangés entre les batailleurs‘.
1906 : des moringueurs condamnés
Si les adeptes du moringue peuvent aujourd’hui pratiquer leur art en toute liberté, il n’en a pas toujours été de même. Pour preuve, un encart publié dans la rubrique « faits-divers» du Journal de l’île de La Réunion du 17 février 1906. Le moringue y est qualifié de « danse brutale et sauvage». L’affaire se passe dans la commune de Saint-Benoit où six amateurs de moringue ont été « condamnés par la justice de paix à 11 francs d’amende et 3 jours de prison». Ils font appel et « le tribunal, faute de preuves suffisantes, a infirmé la dite sentence».
Ils seront cependant condamnés quand même, car, selon le journaliste, « les moringueurs ont chanté, toujours à Saint-Benoit, devant une respectable demoiselle, des chansons obscènes, accompagnées sur le légendaire bobre. Une même condamnation du juge de paix est cette fois confirmée».
L’entrefilet ne livre pas les détails de l’affaire mais ces six Réunionnais comparaissent devant la justice, non en tant que simples citoyens, mais bien en tant que moringueurs.
7LLM
Lire au sujet de Jean-Valentin Payet :
- Jean-Valentin Payet, ou le roman déchiré
- 1919 : à cause créole l’arrête mange cochon ?
- Vincendo : l’âme errante qui annonçait la mort
- Bal Ma Nini : le premier «love-dating» réunionnais
- L’heure pou compte le mort… dann l’ilette perdu
A lire aussi :
- Béjart : le sacre du moringue
- Quand Béjart «rêvait» en maloya…
- Noël avait Maria
- Chansons-lontan : ségas pas sages ! (1)
- Chanteurs de rue : le bruit mat des pieds nus qui s’éloignent
- Carnaval, mardi gras : chacun’ son bande !
- La ballerine était en noir
Réalités émergentes Réunion, Océan Indien, Monde.
Presse, Edition, Création, Revue-Mouvement.