Civet de tangue : les secrets de Pépé José

Chasse tangues ! L’occasion pour les amateurs du petit hérisson malgache [Tenrec ecaudatus] d’aller remuer les souvenirs du côté de la cuisine de Pépé José qui accommodait un divin civet de tangues. Tant pis pour ceux qui n’aiment pas le «goût sauvage». A déguster dann fèy fig ek la min.


Un laboratoire plein d’instruments barbares…


Pépé José avait ses fournisseurs de tangues, notamment du coté du Brûlé. Il achetait ses tangues non sans marchander et exigeait qu’ils soient «épluchés» et vidés. Pour le reste, il en faisait son affaire. Pas question de laisser à un autre, fût-il un grand connaisseur de tangues, le soin de la préparation !

Pépé José s’empressait ensuite de regagner sa cuisine — sorte de laboratoire encombré d’instruments barbares aux yeux des enfants que nous étions — et, avec des gestes précis, s’attaquait aux quatre tangues épluchés qui ressemblaient à de petits cochons roses.

Armé d’un hachoir, il faisait d’abord disparaître museaux, oreilles et pattes. Puis il mettait les tangues à boucaner au dessus d’un feu de bois où brulaient des plantes aromatiques, histoire d’atténuer l’odeur si particulière et le «goût sauvage» persistant du «p’tit cochon dan’bois». Cette étape préliminaire conditionnait la réussite de la préparation.

1) Photo Diorit. 2) 7LLM.

Comme un médecin prescrivant un régime à un malade


Plus tard, Pépé José utilisait des feuilles de tomates pour brosser consciencieusement les tangues.

Il mettait alors les «p’tit cochon dan’bois» à macérer pendant deux jours dans une mixture spéciale : huile, gros vin rouge, fines rondelles de carottes, ail, oignons, poivre, muscade, persil, thym, un soupçon de ravinsara.

«Et surtout pas de sel !» précisait-il, index dressé, comme un médecin prescrivant un régime à un malade.


«L’odeur José… L’odeur !», se lamentait Mémé Rose


Mémé Rose — interdite de cuisine par son cuisinier de mari — avait alors matière à se plaindre pendant deux jours et ne s’en privait pas.

«L’odeur José… L’odeur !», se lamentait-elle en portant son mouchoir à son nez. À quoi Pépé José répondait malicieusement : «Tu veux parler de l’odeur de ton essence Pompéïa, je suppose…»

Les deux jours de macération étaient en général mis à profit pour faire la promotion du civet en préparation et les conversations allaient bon train jusque dans l’arrière-boutique du Chinois du coin, autour de la manière d’accommoder le petit animal.

L’essence Pompéïa : une arme redoutable dans les mains de Mémé Rose.

L’huile se mettait à roucouler doucement


Pépé José avait l’art de déblatérer sur le sujet sans jamais livrer ses secrets. Ses camarades de buvette attendaient avec impatience de savoir lesquels d’entre eux seraient conviés au festin.

Deux jours étaient passés et Mémé Rose avait sifflé la totalité de sa bouteille d’essence Pompéïa, histoire de combattre «l’odeur» qui selon elle la suivait jusque dans le lit ! Avec sa tendance à l’exagération, elle avait fini par développer une véritable aversion pour les tangues — et les jacques — refusant même de prendre place à table lorsque ce mets était servi. Il était temps pour Pépé José de passer aux choses sérieuses !

D’abord, retirer les tangues de la mixture et les mettre à égoutter. Couper la viande en morceaux. La grande marmite noire trônait sur le feu de bois, au fond de laquelle l’huile était bien chaude. Pépé José, en expert, déposait alors les morceaux de viande dans l’huile qui se mettait à roucouler doucement.

La vieille moulinette de Pépé José, trophée d’un autre temps.

Un arôme engageant s’élevait


Pendant ce temps, passer à la moulinette [aujourd’hui, on utilise un mixeur] les rondelles de carottes et les oignons [qui ont macéré avec les tangues et le vin] tout en veillant, avec une grande cuiller, à bien tourner les morceaux de viande en train de rosir au feu de bois.

Ajouter dans la marmite : deux gros oignons émincés, trois gousses d’ail pilées, un peu de gingembre pilé, deux petites tomates coupées en dés ainsi que la purée [oignons / carottes] obtenue avec la moulinette.

Remuer le tout délicatement et laisser mijoter doucement — sans ajouter d’eau — pendant une quinzaine de minutes.

«C’est maintenant qu’il faut verser dans la marmite la mixture au vin rouge qui a servi à faire mariner les tangues pendant deux jours», expliquait Pépé José, accordant le geste à la parole. Le civet prenait forme et un arôme engageant s’élevait.

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La chasse tangues. Lithographie d'Antoine Roussin.
La chasse tangues. Lithographie d’Antoine Roussin.

Une petite giclée de rhum…


Pépé José laissait alors la marmite sur un feu étouffé pendant une quarantaine de minutes au cours desquelles, à plusieurs reprises, il procédait à la vérification : du bout de la cuiller en bois, il recueillait un peu de la sauce fumante, qu’il déposait dans le plat de sa main et portait à sa bouche. Claquement de langue : il appréciait le dosage et si nécessaire ajoutait une lampée de vin. Encore un peu de cuisson et la magie de la marmite allait s’accomplir.

D’un air satisfait, Pépé José ôtait alors la marmite du feu, concluant, dans un murmure grognon : «mon conseil, c’est de manger le civet avec en accompagnement une salade de concombres» !

Et ton secret, Pépé José ? « Une petite giclée de rhum sur les tangues bien roussis avant d’ajouter les épices… »

7 Lames la Mer


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