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Les derniers jours d’une «boutique chinois»
«Cette boutique a 80 ans !» s’exclame le vieux Chinois — pourtant peu bavard — derrière son comptoir. Il faudra se contenter de quelques indices glanés au fil d’une conversation à laquelle il participe du bout des lèvres tandis que madame s’éclipse dans l’arrière-boutique pour échapper à notre appareil photo. En franchissant la porte de ce commerce rescapé et planté dans la rue commerçante qui clignote comme un sapin de Noël, nous remontons le temps en ce mois de décembre 2014. Bientôt, il sera trop tard… Il est déjà trop tard. Visite d’une vieille «boutique chinois» qui désormais est définitivement fermée.
Un décor surgi du passé
Dans la cacophonie fluorescente de ce mois de décembre 2014, elle résiste au cœur du quartier commerçant. Vestige d’un autre temps, endormi sous un linceul de poussière ocre qui filtre la lumière extérieure d’un soleil sans pitié. Invisible aux passants habités par la frénésie des achats de Noël. Pressés. Encombrés. Bousculés. Connectés. Accablés par la chaleur, ils se hâtent sur le trottoir sans un regard pour la vieille boutique, avides de replonger quelques mètres plus loin dans l’univers climatisé, consumériste et tapageur aux néons agressifs qui les attire comme des papillons la lampe.
Nous cherchons un Bouddha rieur et ses cinq marmay agrippés au ventre rebondi et l’on se dit que l’on va peut-être en trouver un là, dans cette improbable boutique, oubliée comme une vieille photo jaunie au milieu d’un album photo quadrichromie.
Nous franchissons la porte et le tumulte de la rue s’estompe. A l’agitation extérieure succède un décor comme surgi du passé, presque figé. Le temps qui s’écoule a peu à peu marqué une frontière entre la nonchalance d’un passé de simplicité et de convivialité villageoise, et la trépidation exubérante d’une course sans fin à la consommation.
Il écoute la «boni’menteuse» et hoche la tête
«Non, pas de Bouddha», nous répond une vieille Chinoise aux cheveux noirs d’ébène, ramassés en un sévère chignon. A côté, son mari confirme d’un hochement de la tête. Au même moment, une femme style «organisatrice de réunions tupperware» fait son entrée dans la boutique. «Alors, vous avez réfléchi ?», lance-t-elle au vieux Chinois impassible qui, subitement semble absorbé par le contenu d’un tiroir ouvert derrière le comptoir.
«Il faut nous proposer un prix raisonnable», poursuit la dame perchée sur des escarpins que ne renierait pas la Mère Noël. Et d’un geste large aux bracelets sonores voulant désigner l’ensemble de la boutique, elle ajoute : «on va enlever ces vieilles vitrines, refaire tout ici. Une décoration high-tech avec un design futuriste. On fera appel à un architecte d’intérieur».
Le vieux Chinois a refermé le tiroir et croisé les bras. Dans ses yeux, aucun éclat. Il écoute la «boni’menteuse» et hoche la tête dans un silence éloquent.
Un vieux parquet aux planches disjointes
Les escarpins rouges arpentent en claquant le vieux parquet en bois aux planches par endroits disjointes, comme pour mesurer les mètres carrés des lieux. Une bonne surface, en plein centre ville, dans la rue la plus commerçante de Saint-Pierre ! A un angle ! L’emplacement idéal.
Les bracelets s’agitent comme des grelots au dessus d’une vitrine qui renferme quelques stylos dorés dont l’encre s’est fossilisée depuis longtemps. «Il faudra nous autoriser à faire des aménagements intérieurs, poursuit la négociatrice aux oreilles décorées comme un sapin de Noël. Je dois donner rapidement une réponse à mon patron. D’ailleurs, il voudrait vous parler. Donnez-moi un numéro de téléphone».
Le vieux Chinois débite une série de chiffres que la Mère Noël s’empresse d’enregistrer avec ses ongles rouge vif sur un smartphone rose dernier cri. Puis elle tourne les talons aiguille et se fond dans le tumulte de la rue.
Statuettes pieuses, vases asiatiques, savonnettes…
La boutique retrouve soudain son calme solitaire comme après le passage d’une tornade. Le vieux Chinois reprend son souffle et s’aperçoit que nous sommes toujours là, plantés devant une vitrine où s’exposent des statuettes pieuses et des vases asiatiques, quelques éventails et des savonnettes dont l’odeur n’est plus qu’un lointain souvenir.
«Non, pas de Bouddha», reprend-il. Fascinés par les lieux et l’entassement des marchandises les plus hétéroclites, nous en avions oublié notre quête du Bouddha rieur et de ses cinq marmay. A notre tour de négocier… Mais nous, à l’inverse de la Mère Noël, nous ne voulons pas tout transformer en magasin high-tech, nous voulons juste prendre quelques photos, avoir quelques informations sur l’histoire de cette vieille boutique rescapée du tanlontan. Témoigner.
Le moment de la surprise passé, notre vieux Chinois donne son autorisation : «Vous pouvez faire les photos que vous voulez mais je ne veux pas être sur les photos, ni ma femme». Madame disparaît alors dans l’arrière-boutique. Et tandis que nous nous faufilons entre les vitrines pour prendre des photos, Monsieur reste derrière son comptoir sans plus se préoccuper de nos faits et gestes.
Ici, on trouvait de tout !
De temps à autre, nous glissons quelques mots en forme de questions. Les réponses s’égrènent à un rythme décalé : il répond à la première question restée sans réponse alors que nous avons déjà osé une nouvelle question. Nous apprenons ainsi que la boutique est ouverte et fonctionne depuis 80 ans.
C’est son père qui a lancé le commerce au début du siècle dernier. Un commerce florissant car ici, on trouvait de tout ! De la boîte de conserve aux fournitures pour les couturières en passant par le sèche-cheveux, la laque Indiana, les services à café, le dentifrice, les bibelots, les boutons de manchettes, les chapeaux, etc.
La buvette, à l’arrière de la boutique, est désertée
Mais depuis quelques années, le commerce a décliné. Concurrencé par les boutiques modernes et spécialisées qui ont envahi la rue. Concurrencé par les grandes surfaces qui poussent comme des champignons à la lisière de la ville. La buvette située à l’arrière de la boutique est elle-même désertée.
Alors peut-être la Mère Noël gagnera-t-elle cette bataille déjà perdue pour le couple de vieux Chinois dont l’âge doit approcher celui de la boutique. Pourquoi pas, après tout, si le design intérieur est subtil et intelligent, soucieux du patrimoine dans une volonté de rénovation et de respect, cette solution peut permettre d’éviter l’intervention de Monsieur Poclain et de Madame Caterpillar…
On peut toujours rêver. Et puis, il restera toujours ces quelques photos réalisées un jour de décembre 2014 par 7 Lames la Mer. Depuis, la vieille boutique végète dans l’obscurité de l’oubli et du dédain derrière ses portes définitivement closes.
Nathalie Valentine Legros
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Les couleurs du passé se sont estompées…
A l’agitation extérieure succède un décor comme surgi du passé, presque figé.
Le temps qui s’écoule a peu à peu marqué une frontière entre la nonchalance d’un passé de simplicité et de convivialité villageoise, et la trépidation exubérante d’une course sans fin à la consommation.
Sous la poussière des années enfuies…
Vestiges d’une autre époque.
Perspective sur l’arrière-boutique.
Dans la vitrine.
Nous franchissons la porte et le tumulte de la rue s’estompe. A l’agitation extérieure succède un décor comme surgi du passé, presque figé.
Sous le soleil de décembre.
Dans la cacophonie fluorescente de ce mois de décembre, elle résiste au cœur du quartier commerçant. Vestige d’un autre temps, endormi sous un linceul de poussière ocre qui filtre la lumière extérieure d’un soleil sans pitié.
Journaliste, Écrivain, Co-fondatrice - 7 Lames la Mer.