Un maire, un architecte des bâtiments de France, une pièce secrète, un marchand de sommeil, un…
7 Lames la Mer persiste et signe : cette maison n’existe plus ! (2)
Construite au 19ème siècle, la maison du vieux Valentin de la rue Sainte-Marie, remarquable par son architecture, son agencement intérieur et son histoire, a traversé le 20ème siècle… pour être écrasée en 2013. Mais, miracle, on nous promet une « reconstruction à l’identique », à quelques détails près.
Nous ne voulons pas de copies !
7 Lames la Mer vous racontait en détails, il y a quelques jours, l’histoire de cette maison de la rue Sainte-Marie1, typique expression de l’architecture créole, sacrifiée contre toute attente alors qu’elle était répertoriée depuis 2003 en tant que « bâtiment d’intérêt architectural au Plan d’occupation des sols ». Les documents que nous avons produits étant tous authentiques — photos, extrait du cadastre, échanges de courriers officiels —, nous avons pu démontrer sans ambigüité les mécanismes pervers qui aboutissent trop souvent à la destruction du patrimoine architectural réunionnais.
Peu de temps après la publication de l’article, nous recevions une réaction de l’adjoint au maire chargé de l’aménagement et de l’urbanisme : «Un permis de construire a été déposé qui prévoit la reconstruction à l’identique (implantation légèrement avancée) et à l’arrière construction de 3 logements. Avis favorable de l’Architecte des Bâtiments de France du 10 décembre 2012 avec prescriptions : « les détails constructifs et décoratifs de la case reconstruite seront en tous points identiques à ceux de la maison d’origine ».»
Dernier rebondissement d’une série d’atermoiements qui démontrent l’absurdité d’un système aussi cynique que bureaucratique : la dilution des responsabilités permet d’éviter la livraison d’un coupable en pâture aux « nostalgiques du bardeau » — c’est ainsi que certaines officines doivent percevoir ceux qui n’applaudissent pas à chaque fois qu’un bulldozer pointe la mâchoire.
Nous ne voulons pas de coupable. Nous ne sommes pas nostalgiques. Simplement, nous ne voulons pas de copies. Laissez-nous les originaux !
Un arbanisme anmésique au béton tapageur
Entendons-nous bien, lorsque nous parlons de «patrimoine architectural réunionnais», nous ne faisons aucune distinction hiérarchique car nous estimons que toutes les formes de constructions créoles sont nobles et dignes d’être «réhabilitées» autant sur le terrain que dans les esprits et les représentations : boutiques chinois, usines délabrées, petites cases, bâtisses industrielles, entrepôts désaffectés, maisons coloniales, édifices religieux… Tous méritent notre attention car tous participent de notre identité et s’inscrivent dans l’équilibre et la composition minutieuse de notre paysage urbain et non urbain. Une alchimie complexe qui fait que l’on se sait ici, à La Réunion.
Si les cases de la rue de Paris ont bénéficié prioritairement de moyens conséquents pour leur préservation, un peu à la manière d’une vitrine, on ne peut pour autant s’en contenter2. Quelques rues plus loin, la décrépitude a déjà gagné du terrain, voire la bataille de l’immobilier et d’un urbanisme amnésique au béton tapageur.
Nous ne sommes pas des maniaques du passé ! Mais nous revendiquons un urbanisme qui n’oppose pas patrimoine et modernité, en substituant — voire en subtilisant — le premier au profit du second. Dans une île qui, peu à peu, perd sa mémoire dans l’assimilationnisme de Mac Do et des supermarchés, nous sommes partisans d’un remodelage du paysage urbain, qui soit capable d’audace en faisant cohabiter gestes et volumes futuristes, demeures coloniales et expression populaire et généreuse de l’architecture créole, trop souvent réduite au misérabilisme. Nous avons la faiblesse de penser que cela est non seulement possible, mais encore, salutaire.
Chaque maillon s’emploie à ouvrir le parapluie
Revenons à la maison du vieux Valentin — famille Payet — autrefois située rue Sainte-Marie. Nous écrivions à son sujet, il y a quelques jours : «cette maison n’existe plus». Nous faisions alors un constat de bon sens. Nous persistons et signons : «cette maison n’existe plus» et quoi que l’on fasse, cette maison n’existera plus car elle ne renaitra pas de ses cendres.
Ce qui a eu raison de la maison du vieux Valentin, ce n’est ni le feu ni un cyclone mais une accumulation de turpitudes : absence d’entretien, abandon, attaques de carias, agissement d’un marchand de sommeil, bidonvillisation, déstructuration des agencements intérieurs, etc. En d’autres termes : indifférence, voire cupidité !
Réputée «répertoriée en tant que bâtiment d’intérêt architectural au Plan d’occupation des sols», cette maison aurait dû légitimement bénéficier en temps voulu de la réhabilitation à laquelle elle pouvait prétendre, eu égard à son caractère et si l’on se réfère à un écrit de l’architecte des bâtiments de France, chef du service départemental de l’architecture et du patrimoine, insistant sur les «éléments remarquables» que constituaient «l’imposte ajourée de la varangue et les consoles chantournées». Pour des raisons diverses qui ne font que démontrer l’impuissance — voire l’incurie — d’un système dont chaque maillon s’emploie à ouvrir le parapluie, la maison n’existe plus.
A la manière de Cinecitta mais sans l’art
On nous promet donc une « reconstruction à l’identique« … Ne nous réjouissons pas trop vite. Faute de mesures efficaces pour sauvegarder l’originale, vous aurez droit à une copie «à l’identique» ! Que demande le peuple ? Une reconstruction «à l’identique», et l’on sauve ainsi la face et la façade… Car, vous dit-on, ce sera «à l’identique» mais avec «une implantation légèrement avancée», histoire de libérer du terrain à l’arrière pour construire trois logements. Identique mais pas tout à fait la même. Pas la même du tout ! On vous le dit : la case du vieux Valentin n’existe plus et n’existera plus jamais !
Les «reconstructions certifiées copies conformes» ne sont pas la panacée. Loin de là. Elles sont des alibis, des instruments qui permettent de transformer notre paysage urbain en décor, avec une succession de trompe-l’oeil, à la manière de Cinecitta mais sans l’art. Nos villes sont-elles vouées à devenir une succession de reconstitutions muséales à travers lesquelles nous déambulerons comme des touristes ? Des villages de Potemkine cache-misère, au pays du fameux «vivre-ensemble»3 dont on nous rebat les oreilles ? Notre île est-elle vouée à devenir un immense musée à ciel ouvert oû les habitants seront réduits au rôle de figurants à la solde du tourisme international ?
La maison du vieux Valentin reconstruite «à l’identique»… ce sera comme cette boisson gazeuse autrefois célèbre : ça ressemblera à la maison du vieux Valentin, ce sera doré comme la maison du vieux Valentin… mais ce ne sera pas la maison du vieux Valentin !
7 Lames la Mer
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Réalités émergentes Réunion, Océan Indien, Monde.
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