Le secret perdu du chasseur de puces

En mai 1914, la presse rapporte l’existence d’un vieux cafre dont le métier était : «chasseur de puces». Une nouvelle facette du génie réunionnais. Histoire vraie.

Le chasseur de puces. À gauche, extrait d’une œuvre de Nils Blommér.

Le spectre de la peste est dans tous les esprits


La Réunion de la fin du 19ème siècle voit des cabanons et des paillotes pousser à la périphérie des principales villes, formant ainsi des quartiers hantés par la misère et sporadiquement infestés par les puces. Et bientôt, les puces envahissent les villes.

Pour preuve, le nombre important d’encarts dans la presse concernant «les puces et la peste», comme celui qui précise que l’immeuble qui servait d’écuries à M. Mayol va être incessamment incendié : «ce bâtiment qui avait été pourtant désinfecté par les soins du pharmacien et suivant les indications du Service de la santé, se trouve actuellement littéralement envahi par les puces». Le spectre de la peste est dans tous les esprits.

Dans la presse locale, 7 novembre 1899.
Dans la presse locale, 7 novembre 1899.

Allons faire l’orage parnoumèm !


Tout le monde cherche un moyen ingénieux et surtout efficace pour se débarrasser des puces avant d’être contraint à la solution ultime : le feu. Et parfois, des idées pour le moins étranges sont envisagées.

Un journal de la place se fait d’ailleurs l’écho d’une solution étonnante, pour ne pas dire détonante : «un peu d’orage» ! Et puisque le temps ne s’y prête pas, allons faire l’orage parnoumèm !

«C’est une croyance profondément ancrée dans l’esprit de beaucoup, même des moins superstitieux, que l’orage fait fuir et disparaître, pour quelques temps, ces insupportables bestioles, peut-on lire dans une édition du 8 novembre 1899. Depuis longtemps notre île n’a entendu le grondement du tonnerre ; c’est peut-être pourquoi les puces pullulent tant». Et notre journaliste de suggérer le plus sérieusement du monde : «comme l’on simule le bruit de l’orage dans les théâtres de drame, l’on peut bien l’imiter ici. Seulement, il faut faire ça en grand et non en petit»…

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Que chacun s’arme d’un ustensile, fer blanc, zinc, tôle…


Faire de l’orage ! La belle idée. Et le journaliste de poursuivre : «Que chacun s’arme d’un ustensile, en fer blanc, en zinc, en tôle, en cuivre — enfin de quelque chose de retentissant. A un signal donné par un coup de canon que ferait tirer la municipalité, que l’on frappe sur ces gongs avec rage et entrain». On imagine le tintamarre… Mais la petite histoire ne précise pas si ce projet a connu un début d’exécution. Le journaliste, quant à lui, a pris la précaution de préciser «nous donnons le moyen sans le garantir».

Il faudra attendre quelques décennies pour que le Barachois retentisse au son des casseroles, le 7 mars 1990 ; il s’agissait alors non de chasser les puces mais de sauver Télé Freedom.

Le marchand d'allumettes. Source : MADOI.
Le marchand d’allumettes.

Les plus démunis recourent à la débrouille


Mais revenons à cette époque charnière entre 19ème et 20ème siècles. Pour survivre, les plus démunis recourent à la débrouille et à l’inventivité : petits boulots, activités semi-clandestines, talents improvisés…

Les rues se peuplent de marchands ambulants de toutes sortes et de personnages insolites : vendeurs à la criée, camelots avec un panier de légumes sur la tête, raccommodeurs poussant une caisse à roulettes, artisans miséreux, marchands à la sauvette, ferblantiers, barbiers, tisaneurs, blanchisseuses, montreurs de marionnettes, rouleurs de tambours, veilleurs de nuit, etc.

La rue fourmille de petits métiers. Extraits de lithographies d'Antoine Roussin.
La rue fourmille de petits métiers. Extraits de lithographies d’Antoine Roussin.

Le «chasseur de puces» a réellement existé


L’un des plus surprenants était certainement le «chasseur de puces»… Il a réellement existé, comme en atteste la presse de l’époque [mai 1914].

«J’ai connu un vieux noir qui gagnait très consciencieusement l’argent qu’on lui donnait pour exercer cette originale profession, raconte un journaliste. Des puces, il y en avait dans toutes les cases (…). Quand le nombre de ces bestioles dépassait les limites décemment permises, et que les habitants ne pouvaient plus suffire à se gratter, ils se résignaient à faire appel au chasseur de puces».

Extrait de presse du 8 mai 1914.
Extrait de presse du 8 mai 1914.

«Une odeur âcre, plutôt désagréable»


Le vieux cafre chasseur de puces avait son secret et l’a emporté dans la tombe : une mixture pâteuse comme de la glu, «répandant une odeur âcre, plutôt désagréable». Personne ne savait de quoi était composée cette étrange mixture.

Comment s’y prenait-il donc pour chasser les puces ? D’abord, il se faisait payer 40 sous d’avance, puis, muni d’un récipient contenant sa fameuse mixture, il entrait dans la case infestée après avoir fait sortir tout le monde.

Et il s’y enfermait. Deux heures plus tard, il ressortait et il n’y avait plus de puces dans l’habitation.

Le chasseur de puces faisait d'abord évacuer la case...
Le chasseur de puces faisait d’abord évacuer la case…

Que se passait-il pendant ces deux heures ?


La réponse nous vient d’un propriétaire curieux qui avait percé un petit trou dans le mur, avant de laisser sa case aux bons soins du chasseur de puces. Ainsi, il assista, l’œil rivé au trou, au stupéfiant spectacle de la chasse aux puces…

«Il vit le chasseur de puces se dévêtir complètement, se frotter tout le corps avec son liquide, puis s’allonger à terre et rester là pendant deux heures, poursuit le journaliste. Alors, il se releva, se racla tout entier avec une latte de bois et plaça dans le récipient le produit du raclage ! La glu avait doublé de volume, toutes les puces de la case étant venues s’y prendre, attirées par l’appât dont le vieux noir gardait jalousement le secret».

7 Lames la Mer


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