Oui, le Créole aime manger et causer ! En toutes circonstances. Deux passions qui empruntent le…
Diva/Nina Simone : Sinnerman, chemin lé long
«Sinnerman» est un chant hypnotique, initiatique. Quatre notes entêtantes, échevelées, qui tournent en boucle et montent comme la fièvre jusqu’à la transe. «Sinnerman» est une chanson culte, sanctuarisée par une pasionaria : Nina Simone. Voici l’histoire de «Sinnerman». Voici l’histoire de la diva Nina Simone. Et voici «Sinnerman» en créole réunionnais.
«Sinnerman» : une cavalcade au piano
En 1965, Nina Simone a jeté un sort à un vieux gospel : «Sinnerman». Elle a «inventé» une chanson culte : «Sinnerman», en la gravant sur microsillon [album «Pastel Blues»]. «Sinnerman», une cavalcade au piano, montant crescendo de la prière à la révolte.
Depuis, «Sinnerman» est marqué du sceau indélébile de Nina Simone et son ombre plane sur toutes les reprises [nombreuses et de qualité inégale].
C’est un vieux gospel. Un spiritual traditionnel dont les origines remontent à la fin du 19ème siècle et se perdent dans la généalogie du negro spiritual des églises noires aux Etats-Unis. Il a inspiré Alvin Ailey, chorégraphe afro-américain, qui l’intègre dans son ballet «Revelations» — œuvre engagée — créé le 31 janvier 1960 à New York [lire à ce sujet l’encadré à la fin de l’article].
Une virtuosité entre jazz et classique
Petite fille, Eunice Kathleen Waymon — qui ne s’appelle pas encore Nina Simone — côtoie pour la première fois «Sinner man» alors qu’elle accompagne sa mère, pasteur méthodiste, à l’office.
Elle adopte cette chanson et ne la quitte plus. Devenue chanteuse-pianiste qui déploie sa virtuosité entre jazz et classique, entre blues et pop, elle l’inscrit à son répertoire, dans les années 1960, et l’interprète à la fin de ses récitals.
Et le «Sinner man» de l’église prend une nouvelle dimension : «Sinnerman» en un seul mot, longue course initiatique où un sentiment d’injustice et la révolte prennent le pas peu à peu sur le repentir pour aboutir à une transe libératrice.
En 1962, elle l’enregistre au cours d’un concert à New York mais la chanson ne figure pas sur l’album qui suit : «Nina at the Village Gate». Il faudra patienter encore trois ans pour que le miracle se produise.
Au pardon espéré, elle préfère le combat
De ce chant-prière où il est question du pécheur implorant le salut au jour du jugement, Nina Simone fera un chant rebelle. Un hymne où son génie et sa colère se mêlent pour faire éclore un espace de contestation, de résistance, voire de subversion.
Elle déconstruit le propos initial ainsi que la ligne mélodique, leur imposant une métamorphose progressive au fur et à mesure des [plus de] dix minutes que dure la chanson, et marque ainsi une rupture avec cette société où elle ne trouve pas sa juste place.
Au pardon espéré, elle préfère le combat. Et toute son énergie y passera. Elle y mettra toute sa virtuosité.
Nina, activiste du mouvement des droits civiques
Dans la société américaine alors gangrénée par la ségrégation, elle se positionne clairement comme une porte-parole, une activiste, qui se sert de sa voix, de son piano, de son talent et de sa notoriété comme autant d’armes qu’elle met au service du mouvement des droits civiques.
Elle rencontre Martin Luther King1, fréquente Malcom X, Andrew Young, Lorraine Hansberry, James Baldwin2, Langston Hughes, Stokely Carmichaël, n’écarte pas l’idée d’avoir recours aux armes pour mener le combat de manière radicale, participe aux marches de Selma à Montgomery [7, 9 et 25 mars 1965], entame une grève des impôts pour protester contre l’effort de guerre au Vietnam, s’engage auprès des Black Panthers, etc.
Une chanson plutôt qu’une balle
Et Nina Simone devient la diva des «protest songs» :
- «Mississippi Goddam» [1964] : chanson interdite, censurée. En Caroline du Sud, les disques ont été détruits. Nina Simone écrit cette chanson après l’attentat de Birmingham du 15 septembre 1963 contre une église baptiste fréquentée par des afro-américains. Cet attentat, qui tue quatre jeunes filles, a été perpétré par le Ku Klux Klan. Nina Simone raconte qu’elle a alors sérieusement songé à s’emparer d’un fusil pour tuer un blanc au hasard dans la rue. Mais son mari [et manager], Andrew Stroud, parvient à la convaincre de canaliser sa colère à travers son art en écrivant une chanson. Une chanson plutôt qu’une balle. Cette chanson a également été inspirée par Medgar Wiley Evers, militant noir américain, défenseur des droits de l’homme et membre de la National Association for the Advancement of Colored People [NAACP], assassiné par un suprémaciste blanc membre du Ku Klux Klan, le 12 juin 1963 à Jackson. Nina Simone interprète «Mississippi Goddam» à l’occasion de la célèbre marche de Martin Luther King, de Selma à Montgomery, le 25 mars 1965. Elle raconte qu’après avoir chanté cette chanson, elle était tellement en colère que sa voix a cassé.
- «Strange Fruit»3 [1965] : chanson écrite en 1937 par Abel Meeropol suite à une scène de lynchage en 1930 dans l’Indiana : deux adolescents afro-américains, Thomas Shipp et Abram Smith, ont été arrêtés, soupçonnés de vol à main armée, d’assassinat d’un travailleur blanc et du viol de sa compagne. Ils sont extraits de la prison par la foule et pendus à un arbre. La chanson «Strange Fruit» a été sanctuarisée par Billie Holiday en 1939.
- « Four women » [1966] : nouvelle chanson inspirée par l’attentat du Ku Klux Klan le 15 septembre 1963. La bombe qui explose à l’entrée de l’église baptiste de la 16e rue [Birmingham, Alabama], tue quatre jeunes femmes : Addie Mae Collins, Carole Robertson, Cynthia Wesley et Denise McNair. On compte une vingtaine de blessés. La chanson est censurée dès sa sortie.
- « Backlash Blues » [1967] : poème de Langston Hughes.
- « Why ? (The King of Love Is Dead) » [1968] : chanson écrite suite à l’assassinat de Martin Luther King, le 4 avril 1968 à Memphis [Tennessee].
- etc.
«Sinnerman», au pouvoir hypnotique
Et le charisme de Nina Simone imprime ainsi son ascendance sur «Sinnerman». Nina s’approprie cette chanson jusqu’à en faire un «objet sacré» — et intimement lié à sa personne — qui traversera les frontières et les époques, bousculera les esprits, tout en gardant intact son intrinsèque pouvoir hypnotique.
Lorsqu’elle enregistre son magistral «Sinnerman» en 1965, elle assomme et éclipse d’un coup toutes les versions antérieures et impose une pression terrible à ceux qui s’y essaieront après elle — sans exception.
Seul le «Sinnerman» de Nina passera à la postérité pour devenir une des plus grandes chansons de tous les temps. Un monument qui a envoûté des générations, et encore aujourd’hui.
1999 : les premiers symptômes de la fièvre «Sinnerman»
S’ouvre alors une «ère» de fascination/sidération d’une trentaine d’années, pendant laquelle toutes les tentatives de reprises par d’autres interprètes sont rendues caduques ou voient leur portée neutralisée par la puissance de l’interprétation de Nina qui écrase tout autour d’elle. Nina a sanctuarisé «Sinnerman».
Seuls parviennent à tirer leur épingle du jeu ceux qui s’éloignent délibérément de la version de Nina, à l’image des Bob Marley, Wailers, et autres Peter Tosh qui transposent leurs adaptations dans la veine du reggae.
Cette période d’«incubation» — sorte d’hibernation de trois décennies — s’observe surtout dans le champ cinématographique au sens large du terme. Révélé et popularisé au cœur des sixties, ce n’est qu’en 1999 que le «Sinnerman» de Nina fait irruption dans la sphère du 7ème art quand le réalisateur américain John McTiernan le choisit pour la bande-son du remake de «L’Affaire Thomas Crown». La thématique du péché/pécheur/sinnerman est soulignée par l’apparition, dans plusieurs scènes, du célèbre tableau de René Magritte, «Le fils de l’homme», avec la symbolique de la pomme verte cachant le visage.
En 20 ans, «Sinnerman» utilisé plus de 40 fois à l’écran
Et la fièvre «Sinnerman» s’empare des écrans. La brèche est ouverte ! Les décennies 2000 et 2010 verront alors un véritable déferlement de «Sinnerman» sur les écrans : en 20 ans, le «Sinnerman» de Nina est utilisé plus de 40 fois par des réalisateurs tant au cinéma qu’à la télévision [voir encadré plus bas] avec un pic dans les années 2006/2007 [10 fois en 2 ans].
Cet emballement sur les écrans autour de «Sinnerman» participe à une lame de fond qui ramène cette chanson culte de l’histoire de la musique, du blues et du jazz, sur le devant de la scène internationale.
Et plus de cinquante ans après son enregistrement en 1965 par Nina Simone, «Sinnerman» apparaît aujourd’hui comme au premier jour, diamant sur lequel glissent les années. Non seulement, il n’a pas pris une ride mais sa puissance évocatrice, sublimée par la charge historique et le prestige — sulfureux — de la figure de Nina, a même gagné en intensité.
La petite Eunice et «Miss Mazzy»
Née à Tryon [Caroline du Nord], le 21 février 1933, Eunice Kathleen Waymon révèle son talent de manière précoce : elle se met au piano dès 3 ans. Elle a sept sœurs et frères. Avec sa mère prédicatrice, elle fréquente l’église et naturellement joue du piano pendant l’office.
«J’ai rarement vécu des moments aussi exaltants que les rassemblements à l’église, se souvient-elle au cours d’une interview en 1968. J’étais électrisée. Je menais la danse».
Eunice/Nina décide de vouer sa vie au piano. Pendant 5 ans, elle étudie le piano classique avec Muriel Mazzanovich, une vieille dame blanche qui la prend sous sa coupe et que la petite Eunice appelle «Miss Mazzy».
«J’étais une petite fille noire et je le savais»
«Je n’avais jamais vu de blanche comme elle ; tout en elle me paraissait étrange… Elle m’a fait commencer par Bach. Je l’aimais bien ce Bach. Madame Mazzanovich avait décidé que j’allais devenir une des meilleurs concertistes du monde».
Pour aller chez Mme Mazzanovich, Eunice/Nina devait traverser les voies de chemin de fer. Dans le Sud des Etats-Unis, les rails séparent alors les quartiers blancs des quartiers noirs.
«Franchir cette frontière me terrorisait, confie-t-elle. Je devais me taire lorsque je franchissais la voie ferrée tous les samedis. Je savais que briser le silence aurait entraîné un conflit avec les blancs de la ville. Je savais que si un noir se lève et dit “à partir de maintenant, je refuse de faire ça”, il prend le risque d’être assassiné. Mais personne n’en parlait… J’étais une petite fille noire et je le savais. Je le ressentais au quotidien. J’ai vécu 17 ans dans le Sud… J’étais consciente de tout cela».
A 10 ans, Nina pose son premier acte de résistance
Eunice/Nina est très tôt marquée par le racisme ambiant qui ronge la société américaine. Comme en 1943 [elle a 10 ans], à l’occasion d’un récital qu’elle donne dans une bibliothèque : ses parents, assis au premier rang, sont déplacés vers le fond de la salle pour que des blancs puissent s’installer à leurs places.
Eunice/Nina pose alors son premier acte de résistance, de rebellion : elle refuse de jouer tant que ses parents ne retrouvent pas leurs places au premier rang. «Pour la première fois j’ai ressenti la discrimination et j’en ai frémi d’horreur !» Sa détermination, sa colère et son engagement se cristallisent à ce moment précis.
Pour financer les études d’Eunice/Nina, Mme Mazzanovich crée le «fonds de soutien Eunice Waymon» alimenté grâce aux nombreuses représentations données par la petite pianiste prodige.
«Je ne me suis jamais vraiment remise de ce choc»
Grâce à l’argent récolté, elle étudie un an et demi à la Juilliard School de New York — elle est la seule élève noire de sa promotion. Son objectif est ensuite d’intégrer le «Curtis Institute of music» de Philadelphie. Mais malgré son haut niveau, Eunice/Nina voit sa candidature rejetée, seule candidature noire sur 800.
«Il m’a fallu 6 mois pour comprendre que c’était parce que j’étais noire. Je ne me suis jamais vraiment remise de ce choc… J’étais pianiste classique, je devais devenir la première concertiste noire des Etats-Unis. C’était mon objectif».
L’argent du fonds épuisé, Eunice/Nina est contrainte de trouver un emploi. En 1954 [21 ans], elle est embauchée dans un pub irlandais, le «Midtown Bar & Grill» d’Atlantic City.
«J’ai commencé dans un bar minable»
«Ma famille était très pauvre et il fallait que je travaille. J’ai commencé dans un bar minable. Je n’avais jamais chanté de ma vie mais le patron voulait que je chante… Depuis, je n’ai jamais arrêté».
Mais Eunice ne veut pas que sa mère apprenne qu’elle joue «la musique du diable» dans un bar, de minuit à 7 heures du matin. Alors, elle choisit de s’appeler «Nina Simone» ; «Nina»4 était le surnom que lui donnait son petit ami et «Simone» en hommage à Simone Signoret.
Grande prêtresse du jazz. Queen de la soul. Icône de la «protest song»… Inclassable pourtant ! La légende de Nina Simone est en marche. Avec sa part obscure. Elle invente le concept de «musique classique d’origine africaine» pour définir son art, une alchimie entre pop, gospel, jazz, classique, blues, folk… Et s’amuse des spécialistes qui tentent de la classer dans un style : «Je jouais des chansons pop dans un style classique influencé aussi par mes années “cocktail jazz”. Ajoutez à cela les spirituals et gospels de mon enfance, le fait que le public du mouvement folk se reconnaissait dans ma façon de lier cette histoire personnelle avec l’histoire tout court : j’étais un casse-tête pour les spécialistes».
Liberia : le sentiment de «rentrer à la maison»
Au début de la décennie 1970, Nina est en pleine dépression. L’assassinat de Medgar Evers [12 juin 1963], ceux de Malcom X [11 février 1965] et de Martin Luther King [4 avril 1968], la disparition de Lorraine Hansberry [cancer, 12 janvier 1965] puis celle de Langston Hughes [cancer, 22 mai 1967], l’emprisonnement et l’exil de nombreux militants de la cause des droits civiques ont contribué à dévitaliser peu à peu le mouvement et à déstabiliser l’univers de Nina.
Quant au mariage avec Andrew Stroud, c’est un désastre marqué par la violence : Nina subit coups et viols. Andrew ira même jusqu’à lui braquer un pistolet sur la tempe.
Désemparée, Nina décide de quitter les Etats-Unis et choisit le Liberia après un passage par la Barbade. Elle y retrouve son amie, la chanteuse sud-africaine Miriam Makeba et s’installe à Monrovia en 1974 [41 ans] dans une grande maison au bord de la mer, accompagnée de sa fille Lisa, 12 ans, avec le sentiment de «rentrer à la maison». C’est une période de liberté, d’insouciance pour Nina. Mais l’utopie libérienne s’essouffle et en 1977, Nina Simone part pour la Suisse et pose finalement ses valises en France, un jour de 1992 [59 ans].
Des relations amour/haine avec le public
Entre 1958 et 1993, Nina Simone signe pas moins de 35 albums [sans compter les compilations, contributions, rééditions, etc.]. Elle donne des concerts à travers le monde entier et paraît sur scène une dernière fois le 29 juin 2002 en Pologne.
Mais Nina entretient des relations amour/haine avec son public. A plusieurs reprises, il lui arrive de s’arrêter au milieu d’une chanson pour apostropher un spectateur dont le comportement lui déplaît.
Il lui arrive même de quitter la scène sous le coup de la colère estimant que le public n’est pas à la hauteur. S’il est admis que le public juge la prestation d’une artiste, pourquoi l’artiste ne pourrait-elle à son tour juger de l’attitude de son public ? «Je veux qu’ils écoutent ma musique comme on le fait lors d’un concert classique».
«Etes-vous prêts à invoquer la colère des Dieux noirs ?»
Telle est Nina, entière et exigeante, écorchée et pure, animale et raffinée, dépressive, souveraine et dévorée de l’intérieur par ce sentiment d’injustice qui ne la quittera jamais, instinctive et habitée par ce talent qui tenait du prodige, violente et asociale. Intense. Révoltée et révolutionnaire. Monstrueuse de virtuosité. Monstre sacré.
Egale à la ville comme à la scène, elle souffre de la part d’impuissance qu’elle perçoit face aux causes qu’elle défend, aux combats qu’elle mène — racisme, lutte des femmes, etc.
Elle transforme ses concerts en meetings et harangue le public : «Es-tu prêt peuple noir ? Etes-vous prêts à invoquer la colère des Dieux noirs ? Etes-vous prêts à tuer si nécessaire ?».
La réalité du temps long de l’histoire
Elle est dans une perpétuelle urgence et se heurte à la réalité du temps long de l’histoire qui se déroule selon un rythme trop lent malgré les soubresauts et les accélérations ; car il y a aussi les temps morts et alors Nina est gagnée par le désespoir et laisse libre-court à tous les excès.
L’abus d’alcool mais aussi une bipolarité tardivement diagnostiquée la rendent de plus en plus fantasque et irascible. Et contribuent à exacerber ses démons. Le 25 juillet 1995, dans le sud de la France, elle tire au pistolet à plomb sur deux adolescents bruyants qui refusaient d’arrêter leur tapage. Onze fragments de plomb sont extraits des jambes d’un des deux garçons. Nina est condamnée à 8 mois de prison avec sursis.
Atteinte d’un cancer du sein, Nina Simone meurt dans son sommeil le 21 avril 2003, à 70 ans, dans la maison qu’elle occupait à Carry-Le-Rouet [sud de la France]. Ironie de l’histoire, deux jours avant sa mort, elle recevait une distinction honorifique du «Curtis Institute of music», l’école même qui avait écarté sa candidature quand elle avait 19 ans. Seule candidature noire sur 800.
«Sinnerman aou pécheur où sa ou sava comme sa»
Les cendres de Nina Simone ont été dispersées en terre africaine, à travers plusieurs pays. Une petite partie de ses cendres a été placée dans une statue en bronze la représentant au piano, réalisée par Zenos Frudakis et installée dans sa ville natale, Tryon.
En 2018, Nina Simone faisait son entrée au «Rock’n’roll Hall of Fame» à Cleveland. Dans cette Amérique d’aujourdhui où «il y a plus d’hommes noirs placés en détention que d’esclaves en 1850»5, la voix de Nina Simone, «tantôt rocailleuse, tantôt douce comme un café crème» comme elle la qualifiait elle-même, semble résonner d’outre-tombe, avec plus d’intensité et d’émotion que jamais.
Désormais, elle raisonnera aussi en créole réunionnais grâce à la traduction de «Sinnerman» [voir le texte à la fin de l’article et la vidéo au début] par le poète Jean-Claude Legros : «Sinnerman aou pécheur où sa ou sava comme sa, quel côté ou court, Sinnerman chemin lé long».
Nathalie Valentine Legros
Lire aussi :
- L’étrange histoire d’une chanson qui a changé le monde
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- La ballerine était en noir
Sinnerman à l’écran
• The Crimson Pirate, film américain de Robert Siodmak, 1952 • La jeune fille, film mexicano-américain de Luis Buñuel, 1960 • Verbotene Liebe, série TV allemande de Reg Watson, 1995 • L’Affaire Thomas Crown, film américain de John McTiernan, 1999 • Homicide : Life on the Street, série TV américaine, 1999 • Crime and Punishment in Suburbia, film américain de Rob Schmidt, 2000 • Scrubs, série TV américaine de Bill Lawrence, 2001 • Judge John Deed, série TV britannique de G.F. Newman, 2001 • Crimes et Pouvoir, film américain de Carl Franklin, 2002 • Top Gear, série TV britannique, 2002 • Boomtown, série TV américaine de Graham Yost, 2002 • The Great Train Robbery, mini série TV britannique de Julian Jarrold et James Strong, 2003 • Cellular, film germano-américain de David Richard Ellis, 2004 • Shameless, série TV britannique, 2004 • Ocean’s Twelve, film américain de Steven Soderbergh, 2004 • Entourage, série TV américaine de Douglas Reed Ellin, 2004 • Hyper Tension, film américain de Mark Neveldine et Brian Taylor, 2006 • Miami vice : Deux flics à Miami, film américain de Michael Mann, 2006 • Inland Empire, film américano-franco-polonais de David Lynch, 2006 • Déjà vu, film américano-britannique de Tony Scott, 2006 • Life on Mars, série TV britannique, 2006 • Les Seigneurs de la mer, film documentaire canadien de Rob Stewart, 2007 • Golden Door, film italien d’Emanuele Crialese, 2007 • The Windsurfing Movie, film américain de Johnny DeCesare, 2007 • A Very British Gangster, film américain de Donal MacIntyre, 2007 • Mad Men, série TV américaine de Matthew Weiner, 2007 • Skate or Die, film français de Miguel Courtois, 2008 • Hold-up à l’italienne, téléfilm français de Claude-Michel Rome, 2008 • Sans Sarah, rien ne va !, film américain de Nicholas Stoller, 2008 • Les Regrets, film français de Cédric Kahn, 2009 • Sherlock, série TV britannique de Mark Gatiss et Steven Moffat, 2010 • Casino Jack and the United States of Money, film documentaire américain d’Alex Gibney, 2010 • Person of Interest, série TV américaine de Jonathan Nolan, 2011 • Louise Wimmer, film français de Cyril Mennegun, 2012 • The Blacklist, série TV américaine de Paul Abbott, 2013 • The Dark Valley, film austro-allemand d’Andreas Prochaska, 2014 • Lucifer, série TV américaine de Joe Henderson et Tom Kapinos, 2016 • The Umbrella Academy, série TV américaine de Steve Blackman, 2019 • …
«Sinnerman» : les reprises
Ils sont nombreux à s’être essayés au «Sinnerman» de Nina Simone. Dans presque tous les styles. Avec plus ou moins d’intelligence, de bonheur. Prouvant que cette chanson transcende les époques, les styles, les voix, les modes. Du gospel originel jusqu’à la musique électronique, en passant par l’opéra, le reggae, le rap, le rock ! Liste non exhaustive.
• Les Baxters Balladeers, 1956 • Guy Carawan, 1958 • The Weavers, 1959 • The Seekers, 1965 • Bob Marley & the Wailers, 1966 • Peter Tosh [Downpresser], 1971 • Sensational Southern Nightingales • Roberta Martin et ses Singers • The Swan Silvertones • Nuestro Pequeño Mundo • Zé Ramalho • Eric Bibb • Esquerita • Hugh Coltman • Jerry Williams • Talib Kweli • Flying Lotus •
• Ester Rada • Amy & The Calamities • Sinead O’Connor [Downpressor] • Felix da Housecat • Kanye West • Soul Train Trio • Paddy Casey • Manu Chao • Timbaland • Lauryn Hill • Black Diamond Heavies • Zegota • Abd al-Malik • 16 Horsepower • Fatoumata Diawara • Trevor Benz • Clara Luzia • Siwell • Dj « S » • Ramon Mirabet • Belako • Keziah Jones • Elza Rozentāle • Three Dog Night • John P. Kee • Yoko Kanno • Plants and Animals • Von Trapp Children • Justin Bond • …
Les «Revelations» d’Alvin Ailey
Le 31 janvier 1960, le chorégraphe afro-américain Alvin Ailey [1931/1989], formé notamment par Katherine Dunham, Lester Horton et Martha Graham, crée à New York le ballet «Revelations». Il a alors 29 ans.
«Revelations» — de l’esclavage à la liberté — est directement inspiré de la culture afro-américaine [histoire, traditions, croyances, etc.], nourri par les œuvres de Langston Hugues et de James Baldwin et chorégraphié en danse contemporaine sur des negro spirituals, du blues, etc.
Un «Sinnerman» version «opéra moderne»
«Revelations explore le spectre émotionnel de la condition humaine, du plus profond chagrin à la plus sainte joie»6.
Un des tableaux de ce «ballet engagé», intitulé «Move Members, Move», démarre par une scène où trois danseurs évoluent sur un «Sinnerman» version «opéra moderne», adapté par Howard A. Roberts.
Le sacre de Judith Jamison
Ce ballet mythique, qui a contribué au sacre de la longue danseuse Judith Jamison, est aujourd’hui toujours représenté par le «Alvin Ailey American Dance Theater».
En 1978, la bande-son de «Revelations» est éditée en album.
- Nina Simone déclara à Martin Luther King : « je ne suis pas non-violente ». Luther King lui répondit : « Ce n’est pas grave, ma soeur. Vous n’êtes pas obligée de l’être ».
Lire à propos de Martin Luther King :
• Martin Luther King : Mi rêve in jour chemin malizé sera lisse sous note pied
• Le rêve de Martin Luther King : émerger des vallées obscures. - Lire à propos de James Baldwin : James Baldwin : «Je ne suis pas votre nègre».
- Lire à ce sujet : L’étrange histoire d’une chanson qui a changé le monde.
- En espagnol, «nina» signifie «fille».
- John Legend, dans L’Express, 03/09/15.
- Source : alvinailey.org