Au fond de sa vieille malle en bois, 7 Lames la Mer a retrouvé un livre…
Causerie autour du steak créole (et recettes !)
Le steak créole, c’est toute une histoire. Une histoire de pépés et de mémés : Anéa, Axel, Rose, José… Ils ont transmis leurs secrets du steak créole à leurs enfants et petits-enfants qui nous les livrent. Recettes, bavardage et un secret !
Une subtile alchimie culinaire transmise à travers les temps
«Incomparable ! Rien à voir avec le steak à la française !», s’exclame la journaliste Françoise Adam de Villiers.
Dans le mythologie de la cuisine réunionnaise, le «steak créole» tient une place particulière. Sous des allures de «plat simple à réaliser», se cache en fait une subtile alchimie culinaire qui s’est transmise à travers les temps pour venir titiller les papilles perverties des générations élevées à la mal-bouffe et aux fast-food de ce 21ème siècle.
Le steak créole était autrefois — et aujourd’hui encore — un mets fort apprécié.
«Pas de viande, à part le dimanche. Et pas toujours…»
Considérée par la majorité des familles réunionnaises comme une denrée de luxe, la viande n’entrait dans la composition des repas que pour les grandes occasions ou le dimanche.
«C’est vrai, on ne mangeait pas de viande, confie l’écrivain Anne Cheynet1, à part le dimanche. Et pas toujours… C’était bien d’ailleurs. On se portait mieux».
Le steak créole avait un statut particulier puisqu’il était cuisiné la plupart du temps à partir d’une «viande de basse catégorie», les morceaux plus nobles étant de fait plus coûteux et donc peu accessibles.
«De savoureux steaks pour ses garnements de petits-fils»
«Mémé Anéa n’achetait jamais les morceaux nobles, filet, faux-filet, rumsteack, araignée, se souvient le journaliste et écrivain Jules Bénard2… Elle achetait de la cuisse et, pour mitonner de savoureux steaks à ses garnements de petits-fils, prenait du jarret».
D’une mémé à l’autre… D’un pépé à l’autre. Voici Pépé José et Mémé Rose, grands-parents de la journaliste-écrivaine, Nathalie Valentine Legros. Mémé Rose, elle, n’avait aucune disposition pour la cuisine qu’elle considérait comme un véritable mystère. Elle mettait d’ailleurs rarement les pieds dans cette pièce emplie d’instruments aux allures barbares et construite par son José de mari à l’arrière de la case.
Le fameux steak créole pour sa Rose !
Elle avait cependant une prédilection pour les steaks créoles — le fameux bifteck — alors qu’elle refusait les bichiques [à cause de leurs petits yeux noirs], le tangue [à cause de l’odeur et du goût trop prononcé] et même les volailles pour la bonne raison qu’elle ne pouvait imaginer manger des animaux qu’elle avait nourris, «soignés» et qui s’ébattaient librement dans l’arrière-cour.
Pépé José ne manquait donc pas une occasion de cuisiner pour sa Rose le fameux steak créole. Il travaillait d’abord la viande, histoire de la rendre plus tendre.
Pour cela, il utilisait un petit attendrisseur de viande, sorte de marteau au bout dentelé qui trônait au milieu de toutes sortes d’ustensiles plus mystérieux les uns que les autres aux yeux des marmailles que nous étions.
«Tabassage de la bidoche au calou»
D’un pépé à l’autre… Dans un langage fleuri et concis, le journaliste Geoffroy Géraud Legros nous livre la recette qu’il tient de son pépé «Papou», le docteur Axel Legros.
«Tabassage de la bidoche au calou de rigueur, évidemment ! Puis découpage de la viande en fines tranches. Macération dans du vinaigre, du siave, un peu d’huile d’olive (huile Plagniol !), des oignons tranchés ; du gingembre, du poivre et de l’ail écrasés».
D’un pépé à une mémé… «Mémé Anéa débitait sa pièce de viande en tranches fines qu’elle battait au calou comme les Chinois», raconte Jules Bénard.
«Des steaks d’une tendreté, d’un goût»…
«Puis elle mettait les tranches dans une assiette creuse et y ajoutait sel, poivre, huile d’olive (marque Plagniol, la seule de ce temps, vendue en petits bidons métalliques) et thym effeuillé, poursuit Jules Bénard. Au début des sixties, il n’y avait pas de frigo chez pépé/mémé, alors elle déposait le plat sur le buffet toute une nuit. Le lendemain, cela nous faisait des steaks d’une tendreté, d’un goût»…
Quant à la maman d’Anne Cheynet, elle ajoutait «des oignons verts, parfois une légère touche de vinaigre» pour «des steaks très battus, très minces».
Une heure… ou une nuit
Le temps de la macération est une question d’école… Environ une heure pour pépé Axel. Une nuit pour mémé Anéa.
Pour sa part, Pépé José préparait les steaks tôt le matin et les laissait macérer jusqu’à 11h30. Il versait ensuite le tout dans une grande poêle sur un feu moyen et laissait cuire jusqu’à ce que la viande absorbe la sauce.
Un secret de pépé José ? «Un petit verre de rhum dans la marinade».
7 Lames la Mer
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Réalités émergentes Réunion, Océan Indien, Monde.
Presse, Edition, Création, Revue-Mouvement.
- Anne Cheynet, romancière, poète, artiste peintre et conteuse, auteur de : «Matanans et Langoutis», recueil de poèmes, 1972 ; «Les Muselés» roman, L’Harmattan, 1977 ; «Ter tout’ koulèr», 1992 ; «Rivages Maouls, Histoires d’Annabelle», récit autobiographique, 1994 ; «Histoires revenues du Haut Pays», Surya, 2014, etc.
- Lire à ce sujet : «La cuisine de Mémé Anéa: recettes réunionnaises», Jules Bénard, 1996. Jules Bénard est également auteur de plusieurs livres dont «L’épopée des cinq cents premiers Réunionnais : dictionnaire du peuplement (1663-1713)», 1994 ; «Sitarane», roman, 1996 ; «Le diable au bord du chemin: histoires du pays créole», 1992 ; «Le nervi», roman, 2006, etc.