Quand Béjart «rêvait» en maloya…
C’est bien le pas de base du maloya qui scande la chorégraphie du ballet de Maurice Béjart, «Le Boléro», sur la célèbre musique de Maurice Ravel. Quoi qu’en disent les puristes. Jugez-en par vous-mêmes avec Maïa Plissetskaïa, danseuse étoile classique, qui pour la circonstance, a raccroché ses pointes et interprète le maloya-boléro pieds nus, au milieu d’un cercle, autre code que l’on retrouve dans le maloya. Goutanou !
La « Diva de la danse » sur une table ronde
Le 14 novembre 1929, le Carnegie Hall de New York accueille une première mondiale : Le Boléro de Maurice Ravel interprété par le New York Philharmonic, sous la direction d’Arturo Toscanini.
Quelques décennies plus tard… Maurice Béjart [1927/2007] crée «Le Boléro» le 10 janvier 1961, avec la danseuse étoile yougoslave, Duska Sifnios [1933/2016]. Le chorégraphe avant-gardiste a dressé une table ronde sur laquelle évolue sa danseuse et autour de laquelle dansent des hommes.
En 1977, la Russe, Maïa Plissetskaïa [1925/2015], considérée comme l’une des plus grandes ballerines et surnommée la « Diva de la danse », reprend «Le Boléro». Elle incarne la danse et son charisme transcende le puissant crescendo de la musique de Ravel.
Un pas de base qui évoque le maloya
En 1979, Béjart remplace la femme par un homme au milieu du rond : Jorge Donn1. Ce ballet, l’un des plus célèbres de Béjart, sera interprété par nombre de danseuses et danseurs : Sylvie Guillem, Diana Vishneva, Elisabeth Ros, Octavio Stanley, Nicolas Le Riche, Luciana Savignano, etc.
Mais ce qui frappe dès les premiers instants, alors que la chorégraphie dépouillée et sensuelle démarre presque dans le silence et l’obscurité, ce qui frappe, c’est le pas de base qui va accompagner tout le ballet [environ 15 minutes].
Ce pas de base, simple, entêtant, n’est autre que le pas de base du maloya ! Et ce pas constant s’accompagne par moment d’un déhanchement familier aux Réunionnais. Jugez-en par vous-mêmes avec cette sublime interprétation de Maïa Plissetskaïa [voir vidéo ci-dessous].
Quand la danseuse rouge se déhanche…
Le travail de Maurice Béjart, autour des «origines» de la danse et de ses expressions primitives, démontre — particulièrement à travers son Boléro mais aussi dans «Le sacre du printemps», etc. — l’universalité de certains mouvements et la récurrence de rituels [exemples : la ronde/le rond/la lutte, etc.] ancestraux qui prennent leurs sources en Afrique — à l’instar du maloya.
Maurice Béjart ne cachait pas sa fascination pour l’Afrique et pour son arrière-grand-mère paternelle, Fatou Diagne, Sénégalaise née sur l’île de Gorée qui épousa dans les années 1860 un militaire français. Il était par ailleurs proche de Léopold Sédar Senghor. Ils associeront leurs énergies pour la création de l’école de danse, «Mudra Afrique», fondée en 1977 à Dakar avec la chorégraphe et danseuse franco-sénégalaise, Germaine Acogny, que Béjart considérait comme sa «fille africaine».
En 1968, Maurice Béjart crée le ballet «Bhakti» en Avignon, sur une musique traditionnelle indienne. Interprété notamment par Maina Gielgud, ce ballet contemporain offre une chorégraphie qui emprunte à la danse indienne. Et par moment, sur ses pointes, la danseuse rouge se déhanche… comme sur un maloya.
Nathalie Valentine Legros
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Journaliste, Écrivain, Co-fondatrice - 7 Lames la Mer.