L’amour ou la folie… à quelques encablures du port
Héritière d’une princesse malgache amenée comme esclave à La Réunion, la belle Germaine est morte de folie au bout de la ruelle Caca, à quelques encablures du port de la Pointe-des-Galets. Car qui peut arrêter le cours de la vie d’un capitaine au long cours ? Histoire vraie. La pa moin lotèr…
Les yeux grand ouverts, elle gisait là
Germaine est morte dans un calbanon en bois sous tôle planté au milieu de nulle part à quelques encablures du port de la Pointe-des-Galets. Seule. On retrouva son corps décharné sur une paillasse mitée.
Les yeux grand ouverts, elle gisait là depuis plusieurs jours. L’odeur avait attiré les chiens… puis les hommes qui n’avaient eu aucun mal à enfoncer les quelques planches pourries faisant office de porte. Elle atterrit dans la fosse commune… à quelques encablures du port de la Pointe-des-Galets.
Dans la cité maritime, les marmay avaient un passe-temps favori : la malice ! Et la vieille Malgache, qui vivait recluse dans un calbanon de la ruelle Caca, était l’objet de leurs manigances.
Les marmays sont souvent cruels…
«La porte était toujours fermée et Germaine paraissait de temps à autre à sa fenêtre comme pour épier les alentours ou pour faire déguerpir son monde, surtout, lorsqu’en passant, l’on s’amusait à jeter des galets sur sa case afin de réveiller les esprits qui devaient sûrement y régner, raconte le poète Patrice Treuthardt. Les marmays sont souvent cruels.» Et leur terrain de jeu est là, à quelques encablures du port de la Pointe-des-Galets.
Quel secret se cachait dans ce pauvre calbanon qui servait de case à Germaine ? Quel destin tragique avait transformé la petite princesse malgache en Granmèrkal folle et effrayante ? Les enfants ne se posent pas ces questions ; ils jouent à leurs jeux d’enfants…
«Nou té pa la èk sa, nous étions indifférents à la chose, poursuit Patrice Treuthardt, ce qui nous intéressait, c’était de faire sortir notre granmèrkal de son trou et d’y trouver quelque amusement, des jeux à l’aune de notre âge».
Le parfum qui flottait dans la ruelle Caca…
Cécilia se souvient elle aussi avoir participé aux expéditions pour faire sortir la vieille folle de son trou. Enfant, elle suivait les autres enfants et la petite troupe se dirigeait vers la ruelle Caca qui tirait son nom des cabinets-pays adossés aux palissades. Les condamnés étaient chargés de récupérer et de vider les récipients, appelés «tinettes», en passant la main par une petite fenêtre prévue à cet effet dans la palissade… Le parfum qui flottait dans la ruelle Caca était donc… reconnaissable !
C’est là que se terrait Germaine, dans la seule case sans palissade de la ruelle. Une masure qui n’avait qu’une porte et une fenêtre. «On criait «Germaine ! Germaine !», on faisait du désordre jusqu’à ce qu’elle apparaisse à la porte pour nous faire fuir, raconte Cécilia. Alors on partait en courant et en riant, la peur et l’excitation au ventre».
A quelques encablures de là, le port de la Pointe-des-Galets regardait vers l’horizon.
Elle rencontre l’amour au bal du 14 juillet
Dans le quartier, les anciens connaissaient tous l’histoire de Germaine. La belle Germaine. Arrière-arrière-petite-fille d’une princesse emmenée comme esclave à l’île Bourbon, elle-même issue de la lignée merina de la Grande île et d’un groblan de Bourbon.
L’histoire de Germaine n’a rien d’un conte de fée… Mais la belle Germaine rêvait d’amour. Rencontrer le grand amour ! Un prince charmant pour la descendante de princesse. C’est donc avec espoir qu’elle se rend au bal du 14 juillet, donné à quelques encablures du port de la Pointe-des-Galets…
Et là, coup de foudre ! Un grand capitaine de bateau, beau, jeune, intrépide. Un prince comme dans ses rêves. Elle rencontre l’amour au bal du 14 juillet. A quelques encablures du port de la Pointe-des-Galets…
Comme par une grande lame de fond
Les anciens de la ruelle Caca racontent que les deux amoureux s’étaient promis le mariage et que le grand capitaine de bateau était aussitôt reparti «pour régler soi-disant ses affaires de famille dans un patelin du Poitou».
Il ne revint jamais.
«Qui peut arrêter le cours de la vie d’un capitaine au long cours, commente Patrice Treuthardt ? Germaine fut frappée de plein fouet comme par une grande lame de fond. Elle ne s’en remit jamais !»
D’abord, elle attendit. Le coeur plein d’espoir. Si ce n’est pas ce bateau, ce sera le suivant qui lui ramènera son promis. Le port de la Pointe-des-Galets était son seul horizon.
Ses beaux cheveux noirs étaient devenus gris fillasse
Peut-être a-t-il essuyé une tempête… Peut-être est-il tombé malade… Peut-être «ses affaires dans le Poitou» l’ont-elles retenu plus longtemps que prévu… Peut-être est-il parti à la guerre… Mais il reviendra… Elle l’attendra toute sa vie. Peut-être est-il mort…
Elle l’attendit toute sa vie. Au fond de la ruelle Caca. Recluse. A quelques encablures du port de la Pointe-des-Galets.
Il ne revint jamais.
Le ballet incessant des bateaux et l’appel des sirènes cessèrent de rythmer la vie de Germaine. Ses beaux cheveux noirs étaient devenus gris fillasse. Sa peau était devenue aussi ridée qu’une mangue à terre. Germaine était devenue folle. Et les marmay s’en donnaient à coeur joie.
Germaine avait un visage effrayant…
«Parfois, pour tirer notre vengeance, on glissait sous la porte un petit poisson gâté qu’on avait chipé sur les quais, se souvient Patrice Treuthardt. Et son odeur nauséabonde avait pour effet de la faire sortir de sa mansarde pour nous traiter de toutes sortes de noms d’oiseaux et dans un langage quelque peu incompréhensible qui traduisait ses traits de folie. La mesquinerie des enfants avait alors atteint ses objectifs ! Germaine avait un visage effrayant et des yeux qui pouvaient méduser un troupeau de boeufs malgaches tout entier.»
Si un jour vos pas vous mènent à quelques encablures du port de la Pointe-des-Galets, rappelez-vous qu’ici, le rêve de Germaine se brisa.
7 Lames la Mer
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