Eliard Laude, 17 ans, tué d’une balle en plein cœur

« Toi tu as donné / Une giclée de ton sang », écrit le poète Axel Gauvin en 1969 en hommage à Eliard Laude assassiné à 17 ans par un nervi le 15 mars 1959. Le tueur d’Eliard Laude a aussi ce même soir blessé grièvement un jeune de 14 ans, Antoine Baïkiom. Il sera condamné à 5 ans de prison mais ne purgera pas sa peine dans une geôle. « Grand matin / soleil lé rouge »…

Héliar/Eliard Laude, 17 ans, assassiné le 15 mars 1959, d’une balle tirée par un nervi, devant un bureau de vote à Sainte-Clotilde.

Le sang coule dans le caniveau


Mourir à 17 ans. Mourir d’une balle en plein cœur. Le corps s’effondre. La tête rebondit sur le macadam. Le sang coule dans le caniveau. La nuit devient rouge ; « grand matin / soleil lé rouge ».

As-tu entendu la détonation de la seconde balle qui a fauché le jeune Antoine Baïkiom, 14 ans, sept secondes après toi ; ou étais-tu déjà mort ?

Et je sais mon peuple / Qu’aucune fraude traduite du français, aucune fraude, / Les cris détournés, oubliés, Eliard Laude assassiné, / Aucune fraude jamais / Ne détruira la chaîne violente de nos mains.1

Eliard Laude.

Toi tu as donné / Une giclée de ton sang


Mourir à 17 ans, un soir d’élections, devant un bureau de vote. C’est l’histoire d’Eliard [ou Héliar] Olivier Laude, abattu au hasard dans la foule qui attend les résultats de l’élection municipale. Abattu par un nervi qui se réfugie ensuite dans une cour voisine avec ses complices avant de rejoindre sans encombre l’hôtel d’Europe où les partisans du maire sortant, Gabriel Macé, ont établi leur quartier général. Derrière lui, deux victimes gisent à terre. 14 ans, 17 ans.

Il est des gars qui donnent leur cœur / Des pères qui donnent la main de leur fille / Des filles qui donnent leur vie à bien / Et de très vieilles dames à qui l’on donne le bras / Ce n’est là qu’une façon de dire / Ce n’est là qu’une dérision / Toi tu as donné / Une giclée de ton sang2

15 mars 1959 : second tour des élections municipales à Saint-Denis. Deux listes s’affrontent : la liste de droite de Pierre Lagourgue, « dont le véritable leader est le maire sortant, Gabriel Macé », et la liste communiste de Paul Vergès.

La violence, la fraude et la mort s’invitent à cette funeste soirée électorale.

Paul Vergès en mai 1959, lors de la création du Parti communiste réunionnais (PCR).

Paul Vergès laissé pour mort sur le trottoir


Les dépouillements révèlent bientôt que le candidat Paul Vergès bénéficie d’une certaine avance [1.700 voix d’avance alors que 19 bureaux sur 22 ont terminé le dépouillement]. A l’hôtel d’Europe où Gabriel Macé a réuni ses troupes [dont les gros-bras], l’assurance arrogante fait place au doute, puis le doute à l’affolement. De l’affolement à la fraude [falsification des procès-verbaux de certains bureaux de vote], de la fraude à la violence, de la violence à la mort.

Une giclée de ce sang / Debout / Poing levé / Révolté / De ce sang qui te battait / Les tempes chaque jour / De ce sang de jeune créole / Voulant vivre voulant aimer / Voulant la justice et la liberté3

A la manœuvre, le maire sortant de Saint-Denis et le préfet Jean Perreau-Pradier qui fait « évacuer l’hôtel de ville et ses abords ». Matraques et bombes lacrymogènes sont de sortie. Après le passage des « troupes », le candidat Paul Vergès est retrouvé, laissé pour mort sur le trottoir, rue de Paris, victime d’un violent tabassage.

C’est alors que Calpétard sort son pistolet…

Il a tiré dans le tas / Et tous l’ont laissé faire


La tension est vive. Gabriel Macé prend les devants et envoie ses nervis sur le terrain. C’est ainsi que quatre d’entre eux — Calpétard [armé d’un pistolet], Junot, Vienne et Rivière — prennent place dans un véhicule et se dirigent vers le bureau de vote de Sainte-Clotilde.

Si l’on t’avait demandé ton avis / Peut-être aurais-tu choisi / La vie / Mais il a tiré dans le tas / Et tous l’ont laissé faire / Que tu gises à jamais / Six pieds sous terre4

« À leur arrivée, ils s’engouffrent dans la cour de Guy Grondin[permanence de Gabriel Macé située à proximité de la mairie annexe], raconte Eugène Rousse. (…) Profitant de la présence de gendarmes envoyés en renfort, les missionnaires de Macé et des gros bras venus des communes de l’Est, se dirigent vers la foule en liesse en criant : “Vive Macé !”. Devant la riposte populaire, ils doivent vite se replier vers la maison de Grondin, où ils mettent au point un monstrueux projet qui, dans leur esprit, doit conduire les “forces de l’ordre” à disperser la foule ».

Alice Pévérelly.

Eliard Laude, 17 ans, ne se relèvera jamais


C’est alors que Calpétard sort son pistolet et tire deux fois en direction de la foule, fauchant les jeunes Eliard Laude et Antoine Baïkiom, lequel sera sauvé à l’hôpital au cours d’une délicate opération, la balle s’étant logée près de sa colonne vertébrale. Eliard Laude ne se relèvera jamais.

Il est des filles qui donnent leur vie à bien / Il est des gars qui donnent leur cœur / Ce n’est là qu’une dérision / Toi tu as vraiment donné / Une giclée / De ton sang5

Arrivée sur les lieux de ce double drame, la mandataire de Paul Vergès, Alice Pévérelly6, exhorte les gendarmes pour que le(s) tireur(s), qui se trouve(nt) toujours dans la cour de Guy Grondin, soi(en)t arrêté(s). Mais les quatre nervis ne seront pas inquiétés et rejoignent l’hôtel d’Europe. Ce n’est que quelques heures plus tard que Calpétard est finalement interpelé à l’hôtel.

C’est à l’APECA de la Plaine des Cafres que Calpétard purge sa peine de 5 ans de prison ; il y est embauché comme « éducateur de jeunes délinquants »…

Le procès se déroule au musée Léon-Dierx


Le vendredi 30 octobre 1959, le musée Léon-Dierx fait office de palais de Justice cerné par les forces de police. Le procès de Calpétard se déroule dans une ambiance de tension, avec Maître Jacques Vergès, avocat des parties civiles pour les parents de Laude et de Baïkiom.

Verdict : 5 ans de prison pour Calpétard, peine qu’il ne purgera pas dans une geôle mais à l’APECA7 de La Plaine des Cafres, où il fait office d’éducateur de jeunes délinquants…

dans nout pays / na dé trois boug / zot té qui aime la vie / zot lé mort / rode pas qui / la tié azot / françois coupou / dann caniveau / bonna la tié aou / soundarom / éliard laude / zot tout lé mort / (…) dans nout pays / la réunion / ti fleur fanée i pousse / dann fénoir / grand matin / soleil lé rouge8

7 Lames la Mer


Lire aussi :


Réalités émergentes Réunion, Océan Indien, Monde.
Presse, Edition, Création, Revue-Mouvement.

  1. Extrait de « Mon peuple », poème d’Alain Lorraine, publié dans « Beaux visages cafrines sous la lampe », Editions L’Harmattan, réédité par Océan Editions, 1998.
  2. Extrait de « A Eliard Laude, mort assassiné à 17 ans », poème de A. Vavet [Axel Gauvin], publié dans la revue « Poèmes 1 », supplément à la revue « Réalités et Perspectives réunionnaises », septembre 1969.
  3. Extrait de « A Eliard Laude, mort assassiné à 17 ans », poème de A. Vavet [Axel Gauvin], publié dans la revue « Poèmes 1 », supplément à la revue « Réalités et Perspectives réunionnaises », septembre 1969.
  4. Extrait de « A Eliard Laude, mort assassiné à 17 ans », poème de A. Vavet [Axel Gauvin], publié dans la revue « Poèmes 1 », supplément à la revue « Réalités et Perspectives réunionnaises », septembre 1969.
  5. Extrait de « A Eliard Laude, mort assassiné à 17 ans », poème de A. Vavet [Axel Gauvin], publié dans la revue « Poèmes 1 », supplément à la revue « Réalités et Perspectives réunionnaises », septembre 1969.
  6. Lire à ce sujet : Ravine à Malheur ou le tragique destin d’Alice Pévérelly.
  7. Association de protection de l’enfance coupable et abandonnée.
  8. Extrait de « Dan nout pays », poème de Jean-Claude Legros, publié dans la revue « Le Rideau de Cannes » n°4, 1963.