Zanbrokal : recette pour l’égalité et la solidarité

Egalité et solidarité, deux mots qui jalonnent les discours politiques. Pépé José, lui, les accommodait en cuisine. Pour mettre tout le monde d’accord, il avait sa recette : le zanbrokal ! A déguster sans modération.

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Si la grappe de boukané ou de saucisses n’est pas suffisante


Pas de «piknik shomin volkan» sans son ZANBROKAL ! Voilà le plat emblématique de la cuisine réunionnaise. Il combine exigences culinaires, sociales, économiques et culturelles.

Pour Pépé José, pas d’hésitation ! Quand les bouches à nourrir sont plus nombreuses que les morceaux de viande, que la grappe de boukané ou de saucisses n’est pas suffisante [ou trop coûteuse] pour garantir un rougail en quantité respectable de nature à contenter tout le monde, la solution, c’est l’embrocale ou l’ambrecale1… C’est à dire le ZANBROKAL !

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La marmite de zanbrokal dans le coffre de la 404 familiale


Une manière d’accommoder et de mélanger les aliments, qui permet de garnir généreusement chaque assiette avec un pourcentage équilibré de riz, de grains, et de viande [boukané ou saucisses]. La vraie recette de l’égalité ou comment faire beaucoup avec un peu ! «Komsa, si dann out lasièt na poin la viande, o moin, ou na lo gou», prétendait Pépé José.

Quand la tribu de Pépé José partait en changement d’air, le temps d’un pique-nique dominical — tradition réunionnaise dont l’ancienneté n’est pas contestable —, il était malvenu de poser la question de la composition du menu.

Tout le monde savait que Pépé José allait sortir de sa cuisine la grande marmite de zanbrokal pour l’enfourner dans le coffre de la 404 familiale.

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La marmite du mélange et du partage


Une seule marmite, style «trois en un» ! Riz, grains et rougail dans un unique récipient. La marmite du mélange et du partage.

Bien plus pratique que de se trimballer avec trois marmites ! Et surtout, on ne risquait pas de voir les grains se renverser dans le coffre pendant le voyage ni les derniers servis devoir se contenter de la sauce !

Pour autant, la recette du zanbrokal, c’était une affaire de connaisseur, selon Pépé José. Il ne suffisait pas, comme le prétendait Mémé Rose, de «mettre le tout dans la marmite et de faire cuire». Non, va… Si l’on écoutait les conseils de Mémé Rose, on risquait fort de se retrouver avec un sosso infâme, un riz en colle. Indigne !

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Écouter le frissonnement de la cuisson


Pépé José faisait d’abord cuire les grains rouges, assaisonnés et «bien en crème». Il mettait ensuite à bouillir le boukané ou les saucisses [lesquelles devaient être piquées à l’aide d’une fourchette], les égouttait, les découpait en petits morceaux et les faisait revenir dans un peu d’huile. «Juste doré !»

C’est alors que commençaient les choses sérieuses. La grande marmite familiale était mise au feu avec de l’huile.

«Faire roussir les épices dans l’huile bien chaude : oignons coupés finement, ail pilé, safran, sel, poivre, un clou de girofle et un bouquet garni», récitait Pépé José, «et écouter le frissonnement de la cuisson».


L’essence Pompéïa au premier rang des éléments perturbateurs


Pendant ce temps, il fallait préparer le riz. Le trier dans le van. Précautionneusement.

Cette tâche délicate était parfois confiée à Mémé Rose, laquelle pour autant n’était pas autorisée à entrer dans la cuisine pour cause d’abus sur l’essence Pompéïa dont les effluves perturbaient l’odorat de Pépé José.

Or, Pépé José affirmait que la cuisine, c’était une question de sens : les cinq sens ! Et aucun ne devait être perverti ni distrait par des éléments extérieurs. L’essence Pompéïa était au premier rang des éléments perturbateurs.

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Un claquement de langue…


Une fois le riz trié et lavé sous le robinet, l’ajouter avec de l’eau aux épices en train de rissoler dans la grande marmite.

«Deux mesures de riz pour trois mesures d’eau», récitait Pépé José. Avec une cuillère, mélanger le tout. Recouvrir la marmite et laisser cuire jusqu’à ébullition.

Du bout de sa cuillère, Pépe José recueillait alors quelques grains de riz déjà jaunes, qu’il déposait sur le plat de sa main pour vérifier le goût et le degré de cuisson. Le claquement de langue qui s’ensuivait indiquait que le résultat était conforme à ses attentes.

«Alors, il faut baisser le feu, ajouter les grains rouges et les morceaux de boukané» [ou les morceaux de saucisses], conseillait Pépé José.

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Un torchon amarré sur le couvercle pour conserver la chaleur


«C’est une question de dosage maintenant : si nécessaire, ajouter un peu d’eau froide et laisser cuire doucement».

Quelques minutes plus tard, d’un air satisfait, Pépé José ôtait l’imposante marmite du feu, concluant, dans un murmure grognon : «mon conseil, c’est de fermer le couvercle de la marmite à l’aide d’un torchon amarré pour conserver la chaleur».

Et ton secret, Pépé José ? « Une petite pincée de poudre de cannelle ajoutée au riz pendant la cuisson, pour le parfumer délicatement ».

7 Lames la Mer


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  1. Mets. Riz ou maïs avec des grains, du lard, des saucisses, du safran et des épices. Il est surtout apprécié dans les «parties» au bord de la mer ou de la forêt. À Maurice, c’est le plot. Le baron Grant s’étonnait que les dames de la bonne société mauricienne préfèrent le riz au pain et se délectent de carrys et de plots. «Petit Glossaire, le piment des mots créoles», Jean Albany, 1970.