La danse de résistance des esclaves marrons est au cœur du «Festival national son de negro»…
«Oté Commandeur» : maloya-dalon rue du Dragon
Une vieille photo oubliée dans un album de Pierrot Vidot. Et tout à coup le roulèr remonte du passé. «Commandeur oté commandeur !»… Pierrot Vidot et Jean Albany communient en créolie, au 7 de la rue du Dragon, Paris. 1978. Une photo, une histoire, une émotion. «Adié zangoun»… et hommage au poète réunionnais Jean Albany, mort le 26 octobre 1984.
«Commandeur», coups d’talons, chœur de dalons
La cassette «Chante Albany»1 venait de sortir. C’était en 1978. Pierrot Vidot rendait visite à son ami, le poète réunionnais Jean Albany, à son domicile, 7 rue du Dragon, Paris.
Les deux dalons, yeux fermés, mains levées, communient alors autour de la créolie, à 10.000 kilomètres de l’île natale. Ils pilent sur «Commandeur!». Coups d’talons. Chœur de dalons. Maloya !
«Marron dann’ cirque i veille soleil pou batt’ tambour la liberté»…
«Ce jour-là, Jean m’avait recu avec un boeuf à la tortue confectionné dans sa petite kitchenette d’un m2, raconte Pierrot Vidot. Cafe coulé. Rhum citron miel. La cassette venait de sortir. Même au 7 rue du dragon, nous étions en pays de Créolie, ce pays dont on ne s’exile jamais».
«Commandeur» chanté par un «cagnard de luxe»
La voix vibrante et chaude de Pierrot Vidot s’élève. Le son du roulèr monte.
«Commandeur oté commandeur, atten’ in pé, nou ni atten’. Va v’ni le temps, va v’ni le temps, n’aura pi la race commandeur».
«Commandeur» est un poème de Jean Albany [1917-1984] mis en musique et interprété par un «cagnard de luxe» comme il se qualifie lui-même : Pierrot Vidot.
«Jean Albany débarque un jour en vacances à La Réunion et me dit : je cherche un musicien pour mettre de la musique là-dessus, se souvient Pierrot Vidot. Le texte en question, c’était «Commandeur». J’ai pris mon harmonica et une vingtaine de minutes plus tard, j’avais trouvé l’air».
« Peters vivait d’une vraie soif de culture vivante »
«Commandeur» s’intègre dans un projet ambitieux et généreux : produire une cassette audio autour de l’œuvre du poète réunionnais Jean Albany. Pour mener à bien cette démarche, Alain Gili organise des rencontres entre le poète et de jeunes artistes et musiciens du Chaudron, notamment avec Alain Peters2.
«Alain Peters était un poète (…), raconte Alain Gili président de l’ADER. Il vivait d’une vraie soif de culture vivante, de respect des expressions antérieures, mais aussi de lutte pour la création libre».
Alain Gili obtient l’autorisation d’utiliser gracieusement les installations du studio Royal à Saint-Joseph pour enregistrer la cassette «Chante Albany».
«Commandeur»… dans une ambiance de jubilation
Avec ses amis du groupe Caméléon, Claude Teulié fut la cheville ouvrière des travaux de composition et des sessions d’enregistrement auxquelles assistèrent des poètes comme Carpanin Marimoutou, Jean-Yves Grondin, Danny Jacot…
«En chantant «Commandeur», je pensais à l’esclavage moderne, confie Pierrot Vidot. L’enregistrement s’est déroulé en une seule prise, dans une ambiance de jubilation. Avec ce texte, Jean Albany a réussi à dénoncer l’esclavage de manière non revancharde. Lorsque la cassette est sortie, j’ai senti chez certains une forme de désapprobation envers cette chanson qui était devenue très populaire ; d’ailleurs elle était diffusée régulièrement dans les boîtes de nuit».
La rencontre entre deux mondes
La cassette «Chante Albany» — qui réunit des artistes tels que Jean-Michel Salmacis, Hervé Imare, Alain Peters, Bernard Brancard, René Lacaille, Pierrot Vidot, etc. — apparaît dans le paysage artistique réunionnais comme une création hors norme qui consacre la rencontre entre deux mondes, dans une véritable communion féconde. Elle s’inscrit dans la continuité de «Bleu Mascarin».
«Les musiciens ont vécu cette expérience comme une novation à effet immédiat, par la conception même de cette production hors cadre commercial, analyse Alain Gili. Ils voulaient s’affirmer comme créateurs, et pas seulement comme les bons interprètes des styles à la mode».
«La poudre fusil-là va péter»
La sortie de la cassette «Chante Albany» — auto-produite — fut un événement dans l’île et «comme un avènement pour Jean Albany».
Cette photo exhumée par Pierrot Vidot ravive un peu plus le mythique «Commandeur», lui donne du corps.
«La poudre fusil-là va péter, lé sir que nous va danse maloya !»
Nathalie Valentine Legros
Lire aussi :
- Chronique clandestine d’un mythique «Rideau de Cannes»
- Alain Peters, Marco Polot… à la vie à la mort
- Marc Mirault : Kaf kafrine i veut pas danser
- Séga-maloya : la «symphonie sauvage»
- Le bal des Noirs annonçait-il la créolité ?
- Le chaînon manquant du séga-maloya ?
- Siya, une Indienne au cœur du maloya ?
- Maloya : kisa i koné zistoir «Dodo Siya ?»
- A la recherche du roulèr originel
- La Basse Tropicale extrait l’or de la pop gasy des années 70
Commandeur
Commandeur oh ! té commandeur
Attend’ ein pé nous n’y attend
Va v’nir le temps va v’nir le temps
N’aura pi la race commandeurs…
Commandeur cass’ pas ton chabouc
Ti tap’ amoin ti fais ton blanc
Ton gueul’ l’est comme ein gros babouc
Poique à moin té lé ressemblant…
Commandeur oh ! té commandeur
Attend’ ein pé nous n’y attend
Va v’nir le temps va v’nir le temps
N’aura pi la race commandeurs…
Mon dos y brûle comm’ d’si piment
Avec de sel zot l’a frotté
Adié z’angoune ! eh ! mon z’enfants
D’sus l’échelle moin l’est garotté…
Commandeur oh ! té commandeur
Attend’ ein pé nous n’y attend
Va v’nir le temps va v’nir le temps
N’aura pi la race commandeurs…
Café l’est rouge d’sus l’argamasse
Mon femm’ l’a pi cab’ lève calou
Z’enfants zot y guett’ dand’ cal’basse
Si n’a d’manioc la viand pou’ nous…
Commandeur oh ! té commandeur
Attend’ ein pé nous n’y attend
Va v’nir le temps va v’nir le temps
N’aura pi la race commandeurs…
Mon zié l’est sec à force pleurer
Commandeur ral’ fort ton z’oreil
Marrons dand’ Cirque y veille soleil
Pou’ batt’ tambour la liberté…
Commandeur oh ! té commandeur
Attend’ ein pé nous n’y attend
Va v’nir le temps va v’nir le temps
N’aura pi la race commandeurs…
La poud’ fusils là va péter
Lé sûr qu’no va dans’ maloya
Dou lait dou miel pou’ nous ouaie ah !
Là dand’ nout rond no va chanter…
Jean Albany
«Commandeur» in «Bal Indigo»
Chez l’auteur, Paris, 1976
Journaliste, Écrivain, Co-fondatrice - 7 Lames la Mer.
- Textes de Jean Albany dits par l’auteur ou mis en musique par Pierrot Vidot, Jean-Michel Salmacis, Hervé Imare et Alain Peters, ADER 1978. Réédition en CD sur le label Piros.
- Lire à ce sujet : Alain Peters, Marco Polot… à la vie à la mort.