Que mangeaient les premiers habitants de l'île, il y a trois siècles et demi ? Ils…
Jeumon : une «movida» réunionnaise (2)
À l’occasion de l’inauguration de la «Cité des Arts» le 5 mars 2016, Emmanuel Genvrin, directeur du théâtre Vollard, a pris la parole. «Je suis venu dans ces lieux, pour la première fois, en 1987», a-t-il confié en introduction de son discours. «Cependant, mesdames et messieurs : Pangar ! Le théâtre Vollard n’est pas mort, pas plus que le «Cri du Margouillat», Jack Beng Thi, Éric Pongérard ou Lerka». Au dehors, la pluie s’invitait à la fête…
Jeumon, des années d’effervescence et de braise
Le théâtre Vollard s’est installé à Jeumon au début des années 90, quand Gilbert Annette a pris la mairie. On aurait pu revenir au Grand Marché mais on a préféré s’installer ici pour vivre l’expérience inédite d’une communauté d’artistes d’horizons très divers.
C’est Hervé Mazelin, scénographe de théâtre qui a dessiné les plans de l’«Espace Jeumon», avec Emmanuel Cambou qui organisera plus tard les fêtes de Jeumon.
Notre contact avec la mairie était Darmapalah Seetanen. Il y croyait, lui. Sans Darma, rien n’aurait été possible.
Rappelons-nous… Il y avait la grande Halle du théâtre Vollard, ses bureaux, son atelier, son stockage décor ; «Le Cri du Margouillat», «Jeumon Arts Plastiques», le Palaxa et Live.
Les années 90 ont été exceptionnelles
Plus tard les lieux ont accueilli le café musique «Ti Bird» puis le «Kabar Bar» [voir vidéo à la fin de l’article], et des plasticiens indépendants comme Eric Pongérard, Jack Beng Thi ou Lionel Lauret.
Les années 90 ont été effervescentes, exceptionnelles. Jeumon a été le creuset d’une « movida » à la réunionnaise, porteuse d’une culture nouvelle, créative et moderne. On ne s’est rien refusé.
L’idée du mélange des arts a été développée ici. La fête urbaine, la cuisine associée au spectacle, la bande dessinée, le graph — sur les murs, il y en avait partout —, le style Marcel, du nom de ce bar de Saint-Denis, fait de bric et de broc, de couleurs vives et de tôles rouillées, ont été développés ici1.
La certitude que l’art est politique
Enfin, il y avait l’omniprésence de la musique parce que la musique faisait le lien entre nous tous, notamment avec des groupes comme «Tropicadéro» [voir vidéo à la fin de l’article]. Il y a même eu des défilés de mode et on a pensé, un temps, ouvrir une discothèque.
Rappelez-vous les spectacles : «Carousel», «Les Dionysiennes», «Femélages», «Millenium Apsara», «Ubu Colonial», «Noella», «Emeutes», «Kari Vollard», «José», «Baudelaire au Paradis»2, «Séga Tremblad», «Quartier Français», etc. Et les reprises de «Marie-Dessembre»3 et de «Nina Ségamour». Pendant que «Lepervenche, chemin de fer» se jouait à la Grande Chaloupe. 35 000 spectateurs, Lepervenche ! Et enfin, l’écriture et les répétitions des opéras «Maraina» et «Chin».
La certitude que l’art est politique, respectueux de l’Histoire, qu’il traite de la liberté, de l’identité et de l’émancipation du citoyen, a présidé aux fondements de cet espace. Alors, vous pensez bien que ces années ont été, aussi, des années de braise et l’objet d’une confrontation permanente avec le pouvoir : «Vollard nana 7 po», «Quelle Culture ?», Grève de la faim, «Mille bougies», «Jeumon à la Belle étoile», «Kabar z’intermittents»…
Commissions de sécurité, liquidations judiciaires, procès. Jeumon, libre et populaire, a survécu.
Mille bougies… Huit mille personnes
Je conserve de beaux souvenirs. J’en citerai deux : l’exposition «Bâtissages» de JAP4 dans la grande halle, où, au sortir des émeutes du Chaudron, ceux qu’on appelle les « Kanyars », sont venus se confronter à l’art contemporain.
On n’avait jamais vu ça à La Réunion ! Ce fut une sorte de baptême et par la suite, le public populaire, comme on peut le voir sur les photos, n’a cessé de fréquenter les lieux. Il s’y sentait chez lui.
Mon deuxième souvenir ? La grande fête de «Mille Bougies» qui a rassemblé, au milieu des années 90, huit mille personnes. «Mille bougies», parce qu’on menaçait de nous couper l’électricité. Alors on a demandé aux Dionysiens d’allumer des bougies à leur fenêtre et à minuit, on est passé de la musique électrique au maloya.
Survivant par la grâce des médias et du public
Un détail, en vingt ans on n’a pas connu de violences, ici. La police municipale n’y mettait pas les pieds. Au cas où, on avait notre propre service d’ordre, avec des képis et des costumes de théâtre. Mais il n’y a jamais eu d’incidents.
Alors, on me demande : Est-ce que vous êtes d’accord pour que Jeumon devienne la Cité des arts ? Je réponds, comme pour le Centre dramatique au Grand Marché : oui, bien sûr… Et je suis là, au nom de mes camarades, pour l’affirmer. Ce qu’on faisait était expérimental, lié à notre seule énergie et survivant par la grâce des médias et du public. On le savait.
Notre objectif était de créer des œuvres qui nous survivent — ici, on n’a jamais cédé à l’amateurisme, ni à la facilité —, d’éclairer l’avenir, d’influencer l’opinion et les institutions. Jeumon était une utopie, une aventure forcément limitée dans le temps.
Ne perdez pas la mémoire
Cependant, mesdames et messieurs : Pangar ! Le théâtre Vollard n’est pas mort, pas plus que «Le Cri du margouillat», Jack Beng Thi, Éric Pongérard ou Lerka.
Monsieur le préfet, qu’attendez-vous pour lever la censure du Comité des experts sur l’opéra «Fridom» ? Vous, Didier Robert, qui n’êtes pas là, rétablissez les subventions à Vollard ! (Applaudissements nourris…)
Qu’est-ce que cela vous coûte, dix centimètres de route du littoral ? Et toi, Nassimah qui venait comme spectatrice à Jeumon, tu as même pris des cours de théâtre avec nous.
Alors, ne perdez pas la mémoire, sauvez Vollard et sauvez l’opéra Fridom !
Emmanuel Genvrin
5 mars 2016
Lire le volet précédent : Les âmes perdues de la Cité des arts (1)
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- Jeumon Arts Plastiques.