Rue Ma(lartic)doré : quartier libre !

Madoré est indissociable de l’univers de mon enfance : le Jardin de l’État, la rue Malartic, la rue du Ruisseau des Noirs (qui étaient encore des rues en terre) et la boutique «Étoile des Neiges». Histoire d’une rue. Histoire d’un quartier… libre !

Henri Madoré et un camarade, dans la petite cour de sa maison, au 7 rue Malartic. Photo : Tony Manglou.

«La pas besoin croire que moin lé mort / Oilà que moin la retourne encore !»


Tout le monde, un jour ou l’autre, tôt ou tard, pour une raison ou pour une autre, a eu affaire ou aura affaire au commissariat de la rue Malartic. Nous sommes tous des ressortissants potentiels de l’hôtel de police auquel la rue, à l’instar du «Quai des Orfèvres» à Paris, a donné son nom, si bien que le nom propre est devenu nom commun.

Écoutez les gens dans la rue ou sur les radios, ils ne disent plus : «mi sar commissariat»1, mais «mi sar Malartic»2. Déjà entre les deux guerres, la rue Malartic hébergeait au numéro 23 la «prison des femmes». Mais son plus grand titre de fierté restera la bicoque située à l’angle de la rue Suffren, où vécut jusqu’à l’âge de soixante ans notre dernier chanteur des rues, Henri Madoré.

Anne-Joseph-Hippolyte de Maurès de Malartic. Portrait réalisé par Pierre Guérin.
Anne-Joseph-Hippolyte de Maurès de Malartic. Portrait réalisé par Pierre Guérin.

Mais qui était Malartic ?


Le 3 juillet 1730 naissait à Montauban, dans le Quercy, aujourd’hui chef-lieu du Tarn-et-Garonne, Anne-Joseph-Hippolyte de Maurès de Malartic. Malartic entra dans l’armée en 1745 à l’âge de 15 ans. En 1755, il mena une campagne au Québec [une ville du Canada a d’ailleurs pris le nom de Malartic].

Il fut par la suite envoyé en Guadeloupe et en Martinique, puis à Saint-Domingue, dans l’île d’Haïti, pour réprimer les révoltes des esclaves.

En 1792 il fut nommé gouverneur général de l’Ile-de-France [île Maurice]. Et en 1796 c’est lui qui refoula les agents du gouvernement Baco et Burnel venus mettre en application le décret d’abolition de l’esclavage dans les îles de France et de Bourbon, prononcé par le Directoire.

Les esclaves de Maurice devront attendre encore 39 ans avant d’être libérés et ceux de La Réunion 52 ans. Le général Malartic mourut quatre ans plus tard, en 1800, à Port-Louis.

Henri Madoré photographié par Tony Manglou.

Mais qui était Madoré ?


De son vrai nom Henri Madouré, Madoré est né le 11 avril 1928. Dans les années cinquante, j’habitais au 21 bis de la rue Malartic. Et j’allais à pied au lycée Leconte de Lisle, le vrai, celui qui jouxtait l’église de l’Assomption.

Je passais donc quatre fois par jour devant le n°7, la maison de Madoré.

Madoré est ainsi indissociable de l’univers de mon enfance : le Jardin de l’État, la rue Malartic, la rue du Ruisseau des Noirs [qui étaient encore des rues en terre] et la boutique «Étoile des Neiges».

Madoré fut notre dernier chanteur des rues, en même temps que notre premier chansonnier créole moderne. Il nous a légué la mythologie irremplaçable du petit peuple de Bourbon, à la charnière de la colonie et du département.

Je l’avais sacré à l’époque «le Brassens réunionnais» et je ne croyais pas si bien dire : «chanteur à guitare», auteur-compositeur-interprète, artiste musicien et artisan des mots, menant sa «carrière» autant que le lui permettaient la bohème, la misère et l’alcool, en professionnel soucieux de son «image», il est ainsi entré, de son vivant, dans la légende3.

Le '7 rue Malartic' — aujourd'hui rayé du paysage — où vivait Henri Madoré. Photos © 7 Lames la Mer, 1990.
Le ‘7 rue Malartic’ — aujourd’hui rayé du paysage — où vivait Henri Madoré. Photos © 7 Lames la Mer, 1990.
Henri Madoré photographié à proximité du Jardin de l’Etat par Raymond Barthes.

Le carrefour des «trois boutiques chinois»


La rue Malartic, anciennement «rue du Jardin», prenait sa source dans la rue Bertin, au carrefour des «trois boutiques chinois».

La rue Bertin n’avait pas encore été percée pour aménager le prolongement de la rue Malartic jusqu’à la rue du Ruisseau des Noirs, face à l’Allée des Manguiers, comme c’est le cas actuellement.

Ce carrefour stratégique des trois boutiques constituait le «quartier général» de Madoré. C’est là qu’il se produisait pour quelques «quat’sous» ou un verre de rhum demi-quart, inn gorgée», disait-il].

Sur la première section allant de la rue Bertin à la rue Poivre [qui se prolonge par la rue Colbert], nous pouvions relever dans les années cinquante les noms des familles Andoche, Orrico, Legros ou Dubard, pour autant qu’il m’en souvienne.

Ci dessus : plan de la rue Malartic dans les années 50. © JCL.
Ci-dessous : vue aérienne du quartier Malartic dans les années 50, extrait d’une photo de Jean Colbe installée sur le plancher des Archives Départementales, Saint­-Denis.
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La frénésie cimentière…


Du carrefour Poivre-Colbert à la rue du Général de Gaulle [ancienne rue Dauphine], seul le côté des numéros impairs donnait sur des habitations. Sur son flanc ouest la rue Malartic était en effet bordée par le mur d’enceinte du Jardin de l’État.

Au pied du mur, les piétons pouvaient circuler sur des trottoirs en galets, des galets bien lisses du bord de mer, accolés à la verticale. Ces trottoirs en galets faisaient pratiquement les trois-quarts du mur d’enceinte du Jardin de l’État, notamment le long de la rue Bertin et de la rue Poivre.

Malheureusement, en dépit des interventions que nous avons menées auprès des services de la mairie de Saint-Denis, les trottoirs en galets ont été détruits. Ils ont cédé la place à des trottoirs en béton.

Quelques portions ont survécu à la frénésie cimentière sur le côté droit de la rue Poivre, mais elles ne tarderont vraisemblablement pas à disparaître.

Les trottoirs en galets, tels qu’on pouvait les voir rue Poivre. Photos © JCL.

Un mur éventré


Le mur du Jardin, du côté de la rue Malartic, a été éventré pour céder la place à un «barreau», comme c’est également le cas du côté de la rue de la Source, à la hauteur du Conseil Général.

Le trottoir du côté de la rue Malartic a pour sa part été envahi par un parking situé juste en face de l’hôtel de police, à usage des hôtes de passage et des habitués.

Et enfin, le dernier «boute» de la rue a été sacrifié d’abord sur l’autel de la culture, sous l’acronyme du CRAC [Centre Réunionnais d’Action Culturelle] puis sur celui de l’environnement, sous l’acronyme du GLAIVE [Groupement de Lutte Antivectorielle d’Insertion et de Valorisation de l’Environnement]. Mazette, excusez du peu ! Damoclès n’en demandait pas tant !

Sur le côté opposé au mur du Jardin de l’État, on pouvait relever dans les années cinquante les noms des familles Robin, Madouré, Macrésy, Guichard ou Collet [ce dernier faisant l’angle avec la rue du Général de Gaulle, à l’emplacement de l’actuelle station d’essence «Engen»].

Le mur du Jardin, du côté de la rue Malartic, a été éventré pour céder la place à un «barreau» avec vue sur le parking. Photo © JCL.
Le mur du Jardin, du côté de la rue Malartic, a été éventré pour céder la place à un «barreau» avec vue sur le parking. Photo © JCL.

Donner à la rue le nom de son locataire le plus illustre


Sur le dernier tronçon venait s’intercaler l’une des deux entrées de la cure de l’Assomption, l’autre entrée se situant rue du Général de Gaulle, à la hauteur de la sacristie.

Nous avons déjà soumis à plusieurs maires successifs de Saint-Denis la possibilité de donner à la rue Malartic le nom de son locataire le plus illustre.

On nous a fait remarquer qu’un «commissariat Madoré» ne ferait pas sérieux ! Et pourquoi donc ?

Les lycéens de «Georges Brassens» n’ont sans doute jamais repris en chœur le refrain de «Fernande» et personne n’a songé à remettre en question le sérieux du Lycée. Et puis la rue pourrait très bien s’appeler «rue Madoré» et le commissariat garder son appellation de «Malartic».

Autre possibilité : comme la «case» de Madoré faisait l’angle de la rue Malartic et de la rue Suffren, pourquoi ne pas rebaptiser la rue Suffren «rue Henri Madoré» , et qu’attend-on pour accoler une plaque sur le bâtiment qui a remplacé sa maison, afin de rappeler aux passants qu’en ce lieu a vécu notre dernier chanteur des rues ?

Henri Madoré et un camarade, dans la cour de la case du 7 rue Malartic. Photo : Tony Manglou.
Henri Madoré et un camarade, dans la cour de la case du 7 rue Malartic. Photo : Tony Manglou.

Et pourquoi pas «Place Henri Madoré» ?


Et au bout du compte pourquoi ne pas donner à la place du Jardin de l’État le nom de Madoré ?

Cette place a connu bien des vicissitudes : rebaptisée «Place de Metz» en 1988 sous le majorat d’Auguste Legros en souvenir d’agapes lorraines placées sous le signe de la mirabelle, puis rebaptisée «en missouque» par le conseil municipal de Saint-Denis du 27 septembre 2014 «Place Seewoosagur Ramgoolam», la Place du Jardin de l’État n’en est plus à un changement près : alors pourquoi pas «Place Henri Madoré» ?

Savons-nous quelles paroles, quelles musiques Madoré a pu composer dans ce quadrilatère de la rue Malartic, de la place du Jardin de l’État et du Jardin lui-même ? Et là aussi pourquoi pas une plaque reproduisant l’une de ses proclamations les plus péremptoires ?

«La pas besoin croire que moin lé mort
Oilà que moin la retourne encore !
»

Jean-Claude Legros

Pourquoi pas «Place Henri Madoré» ?
Pourquoi pas «Place Henri Madoré» ?

Lire aussi :



  1. Je vais au commissariat.
  2. Je vais à Malartic.
  3. Ce passage est extrait de la contribution que j’avais apportée, sur sa demande, au livre de Nathalie Legros « Madoré 1928-1988, Pas besoin croire moin lé mort », Éditions Réunion, 1990.