Au détour d'une recherche, nous tombons par hasard sur notre île-fétiche, Joao de Lisboa, dans un…
Le «monstre» de Madagascar a-t-il existé ?
Ce «monstre au long cou» a-t-il existé ? Et venait-il de Madagascar ? Son image est arrivée jusqu’à nous, par delà les siècles : plus de 350 ans de distance. Des gravures et récits anciens nous renseignent sur son apparence, sa capture dans la grande île et son arrivée en France dans la ville de Nantes où plusieurs femmes l’auraient demandé en mariage. Puis l’on perd sa trace dans les méandres d’une légende fascinante. 7 Lames la Mer vous entraîne à la poursuite de ce personnage fabuleux.
Un géant capturé à Madagascar et offert à Louis XIV
En avril 1658, le roi de France, Louis XIV, 20 ans, aurait reçu un curieux «présent exotique» de la part de Charles de la Porte, duc de la Meilleraye [1602/1664] : un homme capturé à Madagascar1.
Cet homme était non seulement un géant mais il présentait des caractéristiques physiques surprenantes décrites notamment par un jeune Hollandais de passage à Paris, Philippe de Villiers, 20 ans : «un col en trompe d’éléphant, une tête de chameau, deux oreilles de renard, un bec de perroquet»2.
Mais le dénommé Philippe de Villiers ne rencontra jamais cette étrange «créature»… Il en fit la description d’après une gravure qui circula à la cour du roi quelques semaines avant l’arrivée de ladite «créature».
Un «monstre doux» qui parle un certain langage
Cette gravure, qui passa de main en main à la cour du roi pour atterrir entre celles du jeune de Villiers, était l’œuvre de Zacharias Webber, peintre et dessinateur hollandais, et elle était accompagnée de la légende suivante :
«Voici la figure d’un monstre trouvé dans l’île de Madagascar en Afrique, par un capitaine d’un vaisseau du Monsieur le maréchal de la Meilleraye. Il est à présent à Nantes en Bretagne et sera bientôt à Paris. Ce monstre est d’un naturel doux et traitable, qui parle un certain langage que l’on ne comprend point. On lui a appris à faire le signe de la croix et l’on a consulté des docteurs en théologie et en médecine pour savoir si on peut lui donner le baptème. Ils ont ordonné qu’il soit instruit pendant 4 mois et si on trouvait qu’il raisonna, on pourrait le baptiser».
Dans son récit, Philippe de Villiers raconte que lorsque le «monstre au long cou» arriva à Nantes par bateau en provenance de Madagascar, il se trouva des femmes pour le demander en mariage, souhaitant ainsi en tirer des bénéfices en l’exhibant contre de l’argent dans des foires à travers le pays. Elles adressèrent leur requête au maréchal de la Meilleraye qui avait cependant d’autres projets pour «sa créature» : l’amener à Paris et en faire don au roi3. Mais Philippe de Villiers avait quitté Paris avant l’arrivée du «monstre». Ainsi perd-on la trace de la «créature au long cou de l’île de Madagascar».
«On le prétend humain»
La gravure de la «créature au long cou de l’île de Madagascar» est parfois présentée comme une «image fantaisiste d’un homme difforme qui aurait été trouvé sur l’île de Madagascar et emmené en France où il vivait encore (à Nantes) en 1658». Ici l’adjectif «fantaisiste» ne qualifie que l’image sans pour autant remettre en cause la véracité du récit laquelle est cependant interrogée par l’utilisation du conditionnel. Simple principe de précaution.
«Ce monstre possède un double caractère. On le prétend humain et on lui attribue deux bras et deux mains. Mais il a la partie supérieure du corps qui est plus celle d’un oiseau, le mouvement du col et surtout la tête qui possède une sorte de bec. (…) Il ne nous paraît point impossible que nous ayons ici affaire à une vision syncrétique correspondant à une confusion reposant sur les déclarations de navigateurs, mais aussi recopiant des représentations bien plus anciennes», peut-on lire dans la nouvelle édition annotée, augmentée et présentée par Claude Allibert de «L’Histoire de la Grande Isle Madagascar»4.
1665 : un géant de Madagascar débarqué à Toulon
Quelques années plus tard, en 1665, il est fait mention d’un géant de Madagascar débarqué à Toulon. Dans les archives de la Bibliothèque municipale de Bordeaux, se trouve une petite brochure anonyme de huit pages intitulée : «Relation véritable de la prise d’un terrible géant, dans l’isle de Madagascar au mois de novembre dernier [1664], par un vaisseau françois, qui à son retour de la nouvelle France5 l’a amené au port de Toulon, le 5 mars de la présente année 1665, lequel on doit amener ici dans peu de temps pour être conduit à Rouen par mer».
Dans cette brochure — exemplaire unique —, un homme affirmait donc avoir vu à Toulon, un jour de mars 1665 «où les cloches sonnaient la Saint-Fridelin, un géant capturé à Madagascar par le capitaine du vaisseau Le Grand Saint-Jacques». Sa capture relevait d’un véritable «exploit de la part des navigateurs français lancés à sa poursuite».
Selon la description, la créature se caractérisait par sa taille démesurée et sa difformité : «montagne de chair, le visage fort long et sans nez, les lèvres de l’épaisseur de six pouces, des mains crochues comme les pattes d’un vautour de la longueur de deux pieds et demi et d’un pied en largeur, les jambes courtes et renforcées, des pieds de deux coudées de longueur, etc.».
Toulon 1665 : le géant mangeait des moutons vivants
Il n’existe [a priori] pas de gravure représentant ce «monstre de Madagascar débarqué à Toulon en 1665». De plus, sa description le distingue de la «créature» ramenée de Madagascar en 1658 par un des bateaux du maréchal de la Meilleraye et qui a fait l’objet de plusieurs gravures diffusées à travers l’Europe : il n’a pas de long cou et n’est pas «d’un naturel doux et traitable».
On apprend effectivement que le «monstre» débarqué à Toulon était doté d’une «force singulière» et faisait preuve d’une sorte de «sauvagerie de ses mœurs» en mangeant par exemple des moutons vivants. Il se serait d’ailleurs échappé «de manière spectaculaire en se libérant sans le moindre mal des chaînes qui le retenaient prisonnier»…
Toujours selon cette brochure anonyme, le gouverneur de Toulon aurait organisé un combat entre ce géant «et un lion lequel il égorgea sans gantelet à la vue de mille spectateurs qui appréhendaient sa défaite»6.
Toulon 1665 : monstre malgache ou épidémie de peste ?
«Fantaisie exotique» affirme Danielle Nivo Galibert [université d’Antananarivo] dans un article intitulé «Mer indienne et imaginaire français au XVIIe siècle ; relation véritable de la prise d’un terrible géant dans l’île de Magadascar, récit anonyme de 1665». Elle ajoute : «propagande coloniale».
«L’idée de «mission civilisatrice» fut introduite en France en partie grâce au mythe des monstres africains, poursuit Danielle Nivo Galibert. La première chose à noter est donc que le Géant de Madagascar relève de cette tradition exotique qui fait sporadiquement mention de monstres «malgaches» : comme tout jardin fortuné qui se respecte, notre île ne peut être que gardée par un monstre. Ni cerbère ni sirène ici, mais un monstre humain muni d’une tête d’oiseau et d’un très long cou sinueux».
Concernant l’épisode de la Saint-Fridelin à Toulon, Danielle Nivo Galibert fait remarquer que non seulement il n’existe «pas de traces archivistiques ou chronicales de l’exhibition» mais que de plus, à cette date, pour cause d’épidémie de peste, les Toulonnais «n’étaient autorisés ni à quitter leurs habitations ni à circuler librement dans la ville». Cette interdiction de circulation provoqua le mécontentement de la population car elle fut prolongée alors même que l’épidémie était éradiquée. «Peut-être cette manifestation de mauvaise humeur est-elle à l’origine» de la chronique anonyme sur le géant de Madagascar, suggère Danielle Nivo Galibert.
Navigateurs et explorateurs alimentent le fantasme
L’île de Madagascar cristallise de fascinantes légendes peuplées de créatures, de monstres, d’animaux fantastiques, de géants [Darafify, Vazimba Rapeto…], etc. Tant la faune que la flore fournissent des champs infinis à l’imaginaire et aux croyances constitutives de la mythologie malgache et lémurienne.
Cette fascination s’exerce jusqu’en Europe avec une charge de fantasme projetée dans l’exotisme et ses représentations largement façonnées par les desseins de la mission civilisatrice que s’est assignée la France [notamment].
Les récits des voyageurs/navigateurs/explorateurs ont alimenté le fantasme, colportant vérités, traditions, folklores et fictions, mêlant le tout jusqu’à ce que les contours de ce qui relève de la réalité ou de l’imaginaire se confondent.
Au sujet de Madagascar, l’universitaire Liliana Mosac précise que «comme ailleurs son exotisme fut présenté, par exemple, avec l’image d’un homme aux mesures gigantesques, doté d’un long cou et d’une tête d’oiseau».
Quand la beauté devient «monstrueuse»…
Cette créature au long cou relève-t-elle d’un fantasme exotique ou d’antiques légendes inscrites dans la mémoire des peuples ? A-t-elle été imaginée pour servir les objectifs des colonisateurs ? Est-elle simplement la démonstration de ce que peut «produire» la nature [quelques cas de personnes au cou démesuré7 sont avérés] ? Sommes-nous face à un phénomène de «fake news» qui aurait pris sa source dans les manuscrits du Moyen âge [voire auparavant] pour parvenir jusqu’à nous ?
Un long cou peut être synonyme de beauté comme le démontrent de nombreuses créations artistiques [peintures, sculptures, photographies, arts graphiques, etc.]. Les industries de la mode et de la publicité ne s’y sont pas trompées et continuent de valoriser le standard de la «femme au long cou».
Mais au delà d’une certaine mesure, la grâce devient disgrâce. La fascination devient répulsion. La beauté devient «monstrueuse». Et c’est finalement une frontière instable qui sépare cette «beauté singulière» de la difformité.
Hybride mi-homme/mi-oiseau
La «créature au long cou» trouvée [selon la légende] à Madagascar en 1658 déclenche chez nous à la fois fascination et répulsion. Elle appartient au monde mystérieux de la difformité, de la malformation. Au monde des «monstres». Nous retrouvons d’ailleurs sa trace dans le livre de Martin Monestier : «Les monstres»8 puis nous décidons de «mener l’enquête», de remonter le fil du temps.
Le «monstre de Madagascar» — cet hybride mi-homme/mi-oiseau et son long cou — est représenté sur plusieurs gravures toujours accompagnées de la même légende. Traduites dans diverses langues, ces gravures on circulé à travers plusieurs pays européens [Italie, Allemagne, Pays-Bas, France, Espagne, Angleterre…], particulièrement au 17ème siècle.
Remonter le temps…
à la recherche de la « créature au long cou »
Il existe des gravures de créatures semblables mais bien plus anciennes…
Des créatures hybrides au long cou hantent effectivement les manuscrits et les enluminures depuis le Moyen âge [voire auparavant]. En voici quelques exemples ; le plus ancien que nous avons trouvé date de l’an 1479.
1479 : corps humain, long cou, tête d’oiseau à long bec
En 1479, paraît un manuscrit intitulé «Le Livre des hystoires du Mirouer du monde, depuis la création, jusqu’après la dictature de Quintus Cincinnatus». Une des illustrations de ce manuscrit représente une créature au corps humain [voir ci-dessus], dotée d’un long cou et d’une tête d’oiseau à long bec. Elle apparaît au bas d’une page, dans les enluminures.
Dans notre quête du «monstre de Madagascar», il s’agit là de la plus ancienne illustration que nous avons trouvée. Elle montre un être hybride qui pourrait s’apparenter à la créature qu’un bateau du duc de la Meilleraye aurait ramenée de Madagascar à Nantes deux siècles plus tard, en 1658. Peut-être a-t-elle servi de modèle pour les différentes gravures suivantes.
1470/1530 : jambe de bois et long cou
Cette fresque se trouve au Danemark dans la cathédrale Saint-Clément du diocèse d’Aarhus, construite au 13ème siècle. Les fresques qui ornent l’intérieur de cette cathédrale ont été réalisées entre 1470 et 1530.
Dans une sorte de niche, un curieux personnage a été représenté avec une jambe de bois et un long cou.
1493 : la créature de «La Chronique de Nuremberg»
En 1493, un personnage ayant de fortes similitudes avec le «monstre au long cou de Madagascar» est représenté dans «La Chronique de Nuremberg» [«Liber chronicarum» / livre des chroniques], œuvre d’un médecin allemand : Hartmann Schedel [1440/1514].
«La Chronique de Nuremberg» est une histoire universelle compilée à partir de sources plus anciennes et contemporaines9.
L’«homme-oiseau au long cou» apparait en marge de la carte ptoléméenne du monde, au même titre que qu’autres créatures hybrides censées peupler les contrées les plus éloignées de la terre, au delà du «monde connu» [du point de vue des Européens] : un homme à six bras, un centaure, un homme avec quatre yeux, un homme avec une tête de chien, etc.
«La Chronique de Nuremberg» et notamment ses créatures hybrides ont vraisemblablement inspiré le maître néerlandais Jérôme Bosch pour la création de son œuvre en triptyque, «Le Jardin des délices», réalisée entre 1494 et 1505.
Sur la plupart des gravures connues du «monstre au long cou de Madagascar» qui seront réalisées après — ou d’après — «La Chronique de Nuremberg», la créature sera représentée dans cette posture : jambe droite croisée devant la gauche, bras repliés parallèlement et tournés dans la même direction que la tête, index gauche pointé. Cette même attitude sera aussi utilisée pour «graver» un autre «monstre» : le Tartare [voir plus bas].
1555 : « l’homme au long cou » d’un monde imaginaire
En 1555, un ouvrage fabuleux est imprimé sous la direction de Guillaume Le Testu : «Cosmographie universelle selon les navigateurs tant anciens que modernes». Composé de 56 cartes enluminées, la «Cosmographie Universelle» décrit trois mondes : l’ancien monde, le nouveau monde et un «monde représenté par imagination», comme «l’hypothétique Terre Australe, déployée en douze cartes, et reliant Java à la Terre de Feu».
C’est en ces territoire mystérieux «que résident bêtes fabuleuses et peuples monstrueux, licornes et griffons faisant bon ménage avec les Pygmées, les Géants, les Amazones et les Cyclopes».
Influencée notamment par la carte ptoléméenne de la «La Chronique de Nuremberg», la «Cosmographie Universelle» de Guillaume Le Testu reproduit donc diverses créatures dont «l’homme au long cou» affublé d’une tête animale.
1585 : ces créatures «à l’extrémité de l’Afrique»
En 1585, une gravure de Giovanni Battista de Cavalleris [1525/1601] montre une créature qui ressemble — elle aussi — au « monstre au long cou de Madagascar ».
Cette illustration est publiée dans un ouvrage intitulé «Monstres de toutes les régions du monde ancien et moderne» qui comporte notamment plusieurs reproductions d’estampes inspirées des créatures hybrides représentées en marge de la carte ptoléméenne dans «La Chronique de Nuremberg».
Une légende accompagne la gravure, indiquant que de telles créatures se trouvent «à l’extrémité de l’Afrique» ; est-ce là une référence à Madagascar qui aurait par la suite inspiré les autres gravures ?
La légende fait également référence au «cou de grue», expression que l’on retrouvera plus tard notamment dans l’illustration du livre d’Ulisse Aldrovandi [1522/1605] : «Monstrorum historia» [voir plus bas].
1634 : l’hybride homme/oiseau au long cou
Fortunio Liceti [1577/1657] était un philosophe, un médecin et un scientifique italien. En 1634, il publie un ouvrage intitulé «De monstrorum causis, natura et differentiis» dans lequel il référence toutes sortes de malformations et publie de surprenantes illustrations : hybrides hommes-bêtes, sirènes, enfants à plusieurs membres, hermaphrodites, etc.
On y trouve une créature hybride [à gauche sur l’illustration ci-dessus] : un corps d’homme, un long cou et une tête d’oiseau. Sa configuration physique permet de le rapprocher de la catégorie «hybride mi-homme/mi-oiseau au long cou».
1642 : un «homme à tête de grue»
En 1642, paraît un ouvrage consacré aux monstres : «Monstrorum historia». Il réunit des gravures réalisées par Jean-Baptiste Coriolan [1590/1649] et des textes d’Ulisse Aldrovandi.
On y trouve, en page 14, une représentation d’un «monstre au long cou» très semblable à celui de Madagascar. La légende ne nous apprend pas grand chose sur cette créature : «homme à tête de grue».
Sa morphologie, son attitude générale et son long cou semblent inspirés de la gravure de Giovanni Battista de Cavalleris, datée de 1585.
1664 : le monstre tartare
En 1664, un «monstre tartare» aurait été capturé en Hongrie par le comte Nicholas Serini10 et exhibé dans les cours d’Europe. Sa physionomie et son attitude rappellent étrangement le «monstre au long cou de Madagascar».
Il existe plusieurs représentations de ce «monstre tartare», toutes datées de 1664 et à la gloire du comte Nicholas Serini, lequel mourra quelques mois plus tard lors d’un accident de chasse, tué le 18 novembre 1664 par un sanglier blessé.
Le comte était un chef militaire, un homme d’État et poète croate et hongrois. On trouve aujourd’hui à Budapest [Hongrie] deux statues de Nicholas Serini.
Le cou entravé par une chaîne
Dans un ouvrage intitulé «A Book of Four-Footed Beasts» [Un livre sur les bêtes à quatre pattes] signé par les imprimeurs John Overton [1640–1713] et Peter Stent [1613-1665] et daté de 1664, une des planches présente le «monstre tartare» parmi des animaux à «quatre pattes».
La légende précise : «Image vraie d’un monstre tartare, capturé en Hongrie par le comte Nicholas Serini, en février 1664 et toujours vivant».
Une des gravures du «monstre tartare» se distingue des autres : elle représente le «monstre» entravé au niveau du cou par une chaîne scellée dans un mur de pierre.
1690 : le «monstre» de Constantinople
Ce personnage au long cou, décrit comme un géant, aurait été acheté à Constantinople [Turquie] alors qu’il avait 12 ans, par un ambassadeur d’Angleterre.
Au bout de quelques temps, il parvient à s’enfuir et se réfugie en Irlande où il reste caché. Il épouse par la suite une fille de Dublin avec laquelle il aura plusieurs enfants dont le seul survivant est représenté sur la gravure, lui aussi porteur d’un long cou.
Fait prisonnier, il est finalement conduit à Londres où il est exhibé. Sur cette gravure anonyme datée de 1690, il est âgé de 42 ans et son fils de 8 ans.
1721 : le « monstre » des bois
Voici le « monstre des bois » ! On retrouve ici la même posture que sur les représentations du « monstre au long cou de Madagascar » : jambe droite croisée devant la gauche, bras repliés parallèlement et tournés dans la même direction que la tête, index gauche pointé.
Il s’agit d’une estampe populaire russe gravée sur bois et appelée « Lubok ». Les « lubok » représentent des personnages du folklore russe.
Cette illustration est accompagnée de la légende suivante : « monstre trouvé en Espagne par des soldats, errant dans la forêt pendant la chasse et présenté par eux au vice-roi de Nice, qui l’a mis sur un galliot [bateau] chargé d’argent et se rendant en Espagne. Ce monstre est maintenant envoyé par galliot à Madrid et tous les habitants de la ville de Salamanque l’admirent et le roi d’Espagne a ordonné qu’il soit baptisé et converti à la foi catholique. En l’an 1721 ».
1843 : ces choses étranges… dans les îles de l’océan
Dans sa revue «Le Magasin pittoresque» publiée en 1843, Édouard Charton évoque cette créature hybride au long cou à travers un article intitulé : «Sauvages imaginaires, cosmographie du Moyen-âge et de la Renaissance».
Édouard Charton fait référence à cette occasion à l’atlas de Guillaume Le Testu.
«Jadis, au coin des grands feux de l’âtre, nos pères charmaient l’ennui des longues soirées en racontant les merveilles des terres lointaines. Ils parlaient des choses étranges qui se voyaient dans les îles de l’océan (…). Puis, on ouvrait les grands livres auxquels les cosmographes avaient confié tant de choses curieuses (…). Il existe au dépôt de la guerre un joli atlas dessiné par Guillaume Le Testu, pilote du Havre. (…) Sur les rivages de cette Terre Australe, rêve des anciens navigateurs qui s’est dissipé devant la hardiesse de Cook, habitent les hommes aux longues oreilles, assez longues pour qu’ils puissent reposer dessus comme dans le plus commode des lits, et ces monstres qui ont, avec un corps d’homme, un long cou surmonté d’une tête de chien».
La vague de l’année 1664…
L’année 1664 apparaît souvent dans les divers documents consultés lorsque l’on se lance sur les traces du « monstre » :
- 1664 : Baltazart Moncornet réalise la copie de la gravure de Zacharias Webber (II) montrant le « monstre au long cou de Madagascar ».
- 8 février 1664 : Charles de la Porte, duc de la Meilleraye meurt à Paris. Il était le propriétaire du bateau qui aurait ramené en 1658 le « monstre au long cou » de Madagascar jusqu’à Nantes, « monstre » qu’il aurait offert à Louis XIV.
- Février 1664 : un « monstre tartare au long cou » aurait été capturé en Hongrie par le comte Nicholas Serini.
- 1664 : près d’une dizaine de gravures représentant le « monstre tartare au long cou » sont réalisées et circulent à travers l’Europe.
- 1664 : un livre intitulé « A Book of Four-Footed Beasts » [Un livre sur les bêtes à quatre pattes] est publié par John Overton et Peter Stent. Une des planches de l’ouvrage présente le « monstre tartare » parmi des animaux à « quatre pattes ».
- Novembre 1664 : un géant aurait été capturé à Madagascar et débarqué à Toulon où il arrive le 5 mars 1665.
- 18 novembre 1664 : Nicholas Serini, qui aurait capturé le « monstre tartare au long cou », meurt au cours d’une partie de chasse, tué par un sanglier blessé.
Dans les obscures entrailles d’un musée
«Le prodige et le monstre ont les mêmes racines» disait Victor Hugo. Le «monstre au long cou» de Madagascar, qu’il ait existé ou non [la nature nous a prouvé à maintes reprises qu’elle peut engendrer des êtres insolites], qu’il ait été de Madagascar ou d’ailleurs, qu’il ait été une simple réplique virtuelle de la créature issue de «La Chronique de Nuremberg», qu’il ait été inventé pour incarner nos peurs originelles, qu’il ait été de chair et de sang avec son «caractère doux et traitable» arraché à sa terre pour périr en solitude quelque part en Europe, a réussi le prodige de traverser les siècles, de s’inscrire dans l’histoire de l’humanité. Il interroge notre altérité, notre capacité à accueillir celui qui ne nous ressemble pas. Et à l’accepter… Ou à le repousser. Il interroge notre humanité.
Un jour peut-être, la dépouille desséchée et oubliée d’un homme/oiseau au long cou sera-t-elle retrouvée par hasard, dans les obscures entrailles d’un musée, quelque part en Europe. Il conviendra alors de rendre cet être hybride à sa terre pour lui donner la sépulture qu’il mérite : celle que l’on réserve aux monstres sacrés.
Nathalie Valentine Legros
Lire aussi :
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Journaliste, Écrivain, Co-fondatrice - 7 Lames la Mer.
- Source : « Des Malgaches à Paris sous Louis XIV : exotisme et mentalités en France au XVIIe siècle », Anne Lombard-Jourdan, Archipel, 1975.
- Source : «Journal du voyage de deux jeunes Hollandais à Paris en 1656/1658», Philippe de Villiers, 1899.
-
Charles Le Brun [1619/1690], l’un des peintres les plus importants du 17ème siècle, était très proche de Louis XIV qui lui confia notamment la décoration du château de Versailles à laquelle il se consacra pendant 30 ans et particulièrement celle de la galerie des Glaces. En 1664, il est nommé « Premier peintre du Roi ».
Charles Le Brun a-t-il rencontré le « monstre au long cou de Madagascar » à la cour ? A-t-il eu entre ses mains la gravure réalisée par Zacharias Webber ou la copie signée de Baltazart Moncornet ? Toujours est-il que l’on trouve dans l’œuvre de Charles Le Brun une série d’études consacrées à la physiognomonie [connaissance du caractère d’une personne d’après sa physionomie]. Auteur d’un traité sur la physiognomonie comparée, Charles Le Brun a réalisé de nombreuses esquisses à travers lesquelles il s’attache à « mesurer » les correspondances entre les proportions du visage humain et le faciès animal. Ainsi dessine-t-il plusieurs planches comparatives entre les oiseaux et l’homme, préfigurant, trois siècles avant l’heure, les techniques du morphing et faisant naître l’image entêtante d’un « homme-oiseau ».
- Karthala, 2007.
- Ile Maurice.
- Source : « Mer indienne et imaginaire français au XVIIe siècle ; relation véritable de la prise d’un terrible géant dans l’île de Magadascar, récit anonyme de 1665 », par Danielle Nivo Galibert, université d’Antananarivo. Extrait de l’ouvrage : « L’océan Indien dans les littératures francophones, pays réels, pays rêvés, pays révélés », sous la direction de Kumari R. Issur et Vinesh Y. Hookoomsing, Editions Karthala, presses de l’université de Maurice, 2002.
- • Lyudmila Titchenkova est une jeune Ukrainienne atteinte d’une forme rare du syndrome de Marfan.
• Fu Wengui est un jeune Chinois né avec 10 vertèbres au lieu de 7 au niveau du cou. - Editions du Pont Neuf, page 36. 1978.
- Source : La bibliothèque numérique mondiale.
- Comte Nicholas Serini ou Sereni : Miklós Zrínyi ou Nikola Zrinski – 1620/1664.