Un témoignage insolite rapporte la présence d'une sirène dans le port de Saint-Pierre à la fin…
Histoire de Saint-Gilles : de la solitude aux multitudes
Désertique et sablonneuse : c’est ainsi que la côte ouest est décrite par les premiers visiteurs de l’île. Jusqu’au milieu du 19ème siècle, Saint-Gilles n’est qu’un cul de sac que l’on n’atteint qu’en crapahutant par les Hauts pour ensuite plonger vers ce bordmèr enclavé qui aurait pu devenir le port de commerce de l’île… mais les sables en décideront autrement. Histoire d’un village de pêcheurs qui a basculé de la solitude aux multitudes.
Le « Saint-Tropez local toutes proportions gardées »
Présentée comme le «Saint-Tropez local toutes proportions gardées» dans un guide pratique édité en 19861, la station balnéaire de Saint-Gilles n’est alors pas «empoisonnée» par la crise requin. Dans ce guide, on ne parle pas de squales mais de surfers, notamment aux Roches-Noires : «Ici, beaucoup de surfers sur les vagues qui se brisent sur la plage de sable blond ou contre le corail affleurant un peu plus loin, lit-on dans «La Réunion, le guide pratique». Spectacle impressionnant les jours de forte houle.» Et la seule recommandation faite est de se méfier d’un «fort courant traitre»… 7 Lames la Mer vous invite à remonter le temps. Dans ses «Chroniques de Bourbon» publiées en 1956, Yves Pérotin, archiviste en chef, retrace l’histoire de Saint-Gilles-les-Bains. Nous vous livrons la majeure partie de ce document exceptionnel.
7 Lames la Mer
Cabris, oies, poules d’eau, poissons à profusion…
Parce que Saint-Gilles est une charmante station balnéaire, parce que chacun sait que la vogue de ce genre de résidences est relativement récente, on serait tenté de croire que Saint-Gilles est né d’hier, enfant tardif du désoeuvrement des Saint-Paulois, voir des Dionysiens. (…)
Au milieu du 17ème siècle, avant que l’île Bourbon ne fût habitée de manière permanente, les déportés de Fort-Dauphin avaient reconnu la rivière Saint-Gilles et lui avaient donné son nom.
Le 20 juillet 1665, alors que l’île n’est définitivement colonisée que depuis deux ans, le navire l’«Aigle Blanc» mouille devant Saint-Gilles. A bord, François Martin, qui contera dans ses mémoires les impressions inoubliables après une reconnaissance à terre : cochons, cabris, oies, poules d’eau, poissons à profusion…
Au 17ème siècle, les premières concessions apparaissent et attribuent à certains habitants des tranches de terrains à Saint-Gilles et à l’Hermitage. Concessions qui seront révisées au début du 18ème siècle, souvent au profit des héritiers des concessionnaires primitifs : Panon, Parny, etc…
Les vieilles cheminées de Grand Fond et des Filaos…
A en croire Antoine Boucher, Pierre Parny, jeune noble berrichon qui a fui sa famille sous un faux nom, fait élever ses bestiaux en un lieu de Saint-Gilles appelé l’Hermitage. Il n’est autre que le grand-père du poète, Évariste, lequel naîtra précisément sur cette terre de l’Hermitage, le 6 février 1753. La maison des Parny se trouvait vraisemblablement assez proche du littoral qui n’était pas encore couvert de filaos mais plutôt aride et orné seulement de quelques palmiers dattiers.
A la fin du 18ème siècle, l’exploitation des coraux est réglementée à Boucan Canot et au Cap Lahoussaye. Le corail récolté est transporté jusqu’à Saint-Denis par la mer où il est utilisé pour faire la chaux nécessaire aux grandes constructions. Dans les hauts de Saint-Gilles, on cultivait alors du café qui venait bien sur ces pentes sèches. On y fait aussi pas mal de coton à l’initiative de Paulin-Henry Panon Desbassayns.
A partir de 1815, le café et le coton furent remplacés, sur les pentes de Saint-Gilles, par la canne à sucre, pour laquelle on fit de nouveaux et importants travaux de captation d’eau à différents bassins de la ravine ; pour laquelle aussi on éleva de nombreuses usines, dans cette seule localité, celle des Desbassayns à Saint-Gilles même notamment. On en fit même sur le littoral : les vieilles cheminées de Grand Fond et des Filaos en témoignent aujourd’hui encore.
1773 : on imagine construire un port à Saint-Gilles
Ce nom des filaos évoque la grande transformation du paysage des bords de mer de Saint-Gilles, au cours du même XIX siècle, après la période d’extension de la canne dans les hauts. Les plantations systématiques de filaos commencèrent à l’initiative de Joseph Lelièvre [dont la famille avait donné — puis refusé — Eléonore à Parny] à l’Hermitage, bord de mer à l’aridité sablonneuse contrastant fâcheusement avec la verdure de l’oasis de Saint-Gilles. Plus tard, les Ponts et Chaussées feront border de filaos la nouvelle route de Saint-Leu à Saint-Gilles.
Au 19ème siècle, la canne envahit les hauts de Saint-Gilles, comme bientôt d’ailleurs tout ce qui était cultivable dans l’île. Mais le sucre que l’on en tirait, il fallait l’exporter. Or Bourbon était sans port et les trois-quarts du siècle se passèrent dans l’étude de projets où Saint-Gilles tint longtemps la vedette.
En réalité, dès le 18ème siècle [1773], on envisagea l’établissement d’un port à Saint-Gilles et les projets se succédèrent : Partiot, Soleille, Duval-Piron, Motagnès de La Roque, etc… Les archives de La Réunion conservent le texte du projet Partiot que les autres semblent avoir plus ou moins repris : il s’agissait d’utiliser la passe de Saint-Gilles et son chenal naturel, de creuser un bassin dans la grève et de le protéger de l’ensablement par des jetées.
Traverser la ravine sur des troncs de cocotiers
En 1835, on passa à l’exécution et l’on fit 110 mètres de jetées ; mais bientôt des mouvements de terrain se produisirent et l’on dut faire des modifications. En 1839, on avait mis au point un projet définitif qui allait être entrepris par l’Etat quand de nouveaux ensablements inquiétèrent le gouverneur de Hell qui demanda une enquête supplémentaire. Venu spécialement de Paris, en 1840, l’ingénieur Siau fit son étude et conclut à la nécessité d’abandonner l’idée de ce port. Ces conclusions furent reprises par ceux qui s’intéressèrent ultérieurement à la question (…).
Si le port de Saint-Gilles fut commencé, puis abandonné au XIXème siècle, c’est alors que fut réalisé un travail d’une importance considérable qui devait vitaliser toute la partie basse de l’endroit : la route littorale de Saint-Paul à Saint-Leu. En effet, durant toute la période dont nous avons parlé, soit jusqu’au milieu du 19ème siècle, les bas de Saint-Gilles formaient cul-de-sac.
La route de ceinture de l’île empruntait, depuis Saint-Paul, les rampes qui montent au dessus de l’église2 puis, elles ne quittaient plus les hauteurs avant la Montée Panon [que, dans ce sens, il faudrait appeler la descente], laquelle conduit au bas de la Grande Ravine.
Pour se rendre à Saint-Gilles-les-Bains, les Saint-Paulois laissaient cette route, après quelques kilomètres, pour descendre sur la droite par un chemin communal fort ancien, mais fort dangereux puisqu’on devait passer la ravine à plusieurs reprises sur des troncs de cocotiers, ce qui n’empêchait pas les dames élégantes habitant le coin de l’utiliser le dimanche pour se rendre à la messe.
Les médecins prescrivaient les bains de mer de St-Gilles
Lorsque l’on décida de faire la route, on commença par le plus facile : la sortie de Saint-Paul [vers la caverne] et surtout le tronçon Grande-Ravine/Saint-Gilles, lequel permit vite aux voitures venant du Sud de passer par le littoral en empruntant, pour rattraper les rampes, le chemin communal amélioré.
En 1867 et sans doute 1871, on ouvrit la partie rocheuse séparant Saint-Gilles de Saint-Paul. Les nombreux caps et pointes qui se trouvent par là donnèrent bien du mal aux ingénieurs, surtout lorsqu’il fallut rogner le Cap Champagne et entailler le Cap Lahoussaye.
Peu après cette route qui mettait Saint-Gilles-les-Bains à la portée des Saint-Paulois et des Saint-Pierrois, vint le chemin de fer qui unit la localité à celle des Dionysiens. Dès lors, la vocation balnéaire de l’endroit va s’accentuant. Depuis longtemps, quelques maisons de villégiature existaient à l’embouchure de la rivière et les médecins allaient prescrivant les bains de mer de Saint-Gilles, à la fois spécialement fortifiants et sans danger.
Le souvenir de l’immortel amant d’Eléonore
En même temps que les stations métropolitaines de la Manche, de la Méditerranée et de l’Atlantique se mirent à connaître une vogue grandissante sous le Second empire et la troisième république, celle de Saint-Gilles fut aussi croissante. (…)
Alors que les plus anciennes maisons sont groupées près de l’embouchure de la rivière, au bord des plages relativement abritées, et sont destinées à être surtout habitées l’hiver, on vit se développer dans les filaos battus par le vent, vers la Saline et l’Hermitage, d’élégants «campements» légers, de style mauricien, que l’on visite aussi bien l’été.
En terminant avec l’Hermitage cette évocation du passé de Saint-Gilles, souhaitons que, quelque jour prochain, un moment d’aspect agréable y vienne magnifier le souvenir de l’immortel amant de la belle Eléonore3.
Yves Pérotin, 1956
Archiviste en chef de La Réunion
Texte extrait de : «Chroniques de Bourbon»
1704 : Cap Champagne, sécheresse et sable
(…) De Saint-Paul à Saint-Gilles, il y a deux lieux et demi de terrain fort sec, où cependant, il y a des habitants qui y ont quelques habitations pour élever des bestiaux seulement, car pour la culture d’aucunes choses elle n’y est point propre à cause de la sécheresse et du sable qui est mêlé parmi… Poursuivant de Saint-Gilles à Trois-Bassins jusqu’où il y a une lieue et demie, la terre y est fort méchante, toute remplie de pierres et qui n’est propre à nulle chose, le peu de terrain qu’il y a étant fort rabotteux, sec et rempli de beaucoup de sable. (…)
Feuilley, en mission à Bourbon, 1704
1968 : Saint-Gilles et le « zoreil » qui dans le jerk
Telle est réputée snob. On y rencontre les fonctionnaires du groupe A et les créoles huppés. Les dames ont la tenue de Saint-Trop’ de l’année dernière. On y boit un scotch ou un schweeps et on danse le jerk.
Telle autre est populaire. On prend le pastis en apéritif, mange un steak au «Père la Frite» et l’après-midi on joue aux boules. Tout ce petit monde rentre à Saint-Denis le soir, écarlate et fatigué, en files de voitures roulant le capot dans le pare-choc. On peste contre la circulation tout comme sur la Nationale 7 (…).
Extrait de La Réunion, département français, de Jean-Claude Leloutre, Editions François Maspero, 1968
1967 : l’Hermitage, village perdu dans les filaos
(…) Il existait jusqu’à l’année dernière [NDLR : 1967] un petit village de pêcheurs, dit l’«Hermitage-les-Bains». Au bord d’une plage de sable blanc, les rouleaux des récifs se brisaient en vagues vertes et dans leur crête d’écume sautaient les perroquets multicolores et autres poissons de coraux. (…) Ce village était perdu dans un grand bois de filaos. Il n’avait jamais eu d’électricité. Une fontaine assez proche fournissait l’eau. Dans le sable, oignons, citronniers et papayers poussaient bien.
Les filaos ont été coupés. Deux grands traits de goudron barrent l’ancien bois. Des tracés de chemin en divergent, suivant un plan compliqué qui doit isoler les futurs bungalows. Des arbres, on a laissé ceux qui seront nécessaires pour les ombrager et l’électricité a été amenée ainsi que l’eau sous pression.
Les habitants du village, s’ils ont de la chance, pourront trouver quelques places de boys. D’ailleurs le directeur du Club Méditerranée a bien dit que cela contribuerait à résorber le chômage, et promis, dès l’année 1970, la création de trente emplois nouveaux (…).
Extrait de « La Réunion, département français » de Jean-Claude Leloutre, Editions François Maspero, 1968.
Saint-Gilles et les poètes
- Lettre à Bertin
(…) Du milieu des sables brûlants
Evariste de Parny
Sortent quelques toits de feuillages ;
Rarement le zéphyr volage
Y rafraîchit l’air enflammé. (…)
- La ravine Saint-Gilles
La gorge est pleine d’ombre où, sous les bambous grêles,
Le soleil au zénith n’a jamais resplendi,
Où les filtrations des sources naturelles
S’unissent au silence enflammé de midi.De la lave durcie aux fissures moussues,
Au travers des lichens l’eau tombe en ruisselant,
S’y perd, et, se creusant de soudaines issues,
Germe et circule au fond parmi le gravier blanc.Un bassin aux reflets d’un bleu noir y repose,
Extrait du recueil Poèmes barbares.
Morne et glacé, tandis que, le long des blocs lourds,
La liane en treillis suspend sa cloche rose,
Entre d’épais gazons aux touffes de velours. (…)
Charles Leconte de Lisle
- Illusion suprême
(…) Et sur la côte, au pied des dunes de Saint-Gilles,
Charles Leconte de Lisle
Le long de son corail merveilleux et changeant
Comme un essaim d’oiseaux les pirogues agiles
Trempant leur aile aiguë aux écumes d’argent (…)
- Sur le black
(…) Restent restent
les filaos les filaos
sous leur garde
des hommes du silence
regardent très loin
l’affiche de la mer
ils marchent sur les flotsNous irons à la plage
Alain Lorraine
dans les pas multiples du dimanche
c’est ainsi
que commence le séminaire des sables (…)
- Sortilège créole
(…) Je revois dans le soir un village enchanteur
Avec des toits pourprés sous les grands filaos
Et des bougainvilliers aux divines paleurs
Qui frissonnent sans cesse au rythme des jets d’eau.Village aux toits de paille au fond de tes jardins,
Auprès de l’étang clairs où rêvent des palmiers ;
Tes femmes aux seins durs gardent sur leurs corps fins
Le parfum velouté des verts frangipaniers.Parfois, je crois entendre en un rêve indolent
Jean Albany
Le fin frémissement de l’arbre aux fils d’argent
Ou la chanson du feu du vieux pêcheurs indien
Possédant sa pirogue et le ciel pour tout bien.
- Après-midi
(…) Saline, Etang Salé, Manapany, Saint-Gilles,
Jean Albany
Villages oubliés de ma bizarre enfance,
Vous dormez dans le luxe indécis de mes rêves
Comme à l’ombre des tecks un essaim de paillotes.
- Les filaos
(…) Là-bas, bien loin d’ici, dans l’azur, près des cieux,
Léon Dierx
Vous bruissez toujours au revers des ravines,
Et par delà les flots, du fond des jours brulants,
Vous m’emplissez encore de vos plaintes divines,
Filaos chevelus, bercés de souffles lents (…)
Saint-Gilles en quelques dates
Selon certaines sources, Saint-Gilles tiendrait son nom de Gilles Launay, compagnon de Regnault qui obtient en 1698 la concession «Boucan Canot». Mais la carte de Flacourt, établie pourtant 2 ans auparavant, porte déjà l’indication de ravine Saint-Gilles…
- Janvier 1680 : Qui a tué le gouverneur Germain de Fleurimond ? Accusé d’avoir semé des plantes épineuses, les pagotes [ou pagodes — Paniam Costatum, épine à trois pointes] importées d’Inde dans le but d’obliger les habitants — habitués à aller pieds nus — à acheter les chaussures qui s’entassaient dans les magasins de la Compagnie et dont il n’arrivait pas à se défaire…
On retrouve son corps dans la ravine en 1860. La légende populaire prétend qu’il aurait été assassiné. Depuis, la ravine porte son nom. - 6 février 1753 : naissance du poète d’Evariste de Parny à l’Hermitage.
- 1773 : l’établissement d’un port à Saint-Gilles est envisagé.
- 1815 : la culture de la canne à sucre remplace celles du café et du coton sur les pentes de Saint-Gilles.
- 1819 : premières tentatives pour créer un port à Saint-Gilles. Vite abandonnées.
- 1835 : nouvelles fouilles pour creuser un port à Saint-Gilles. Menés par Schneider et Siou, les travaux sont abandonnés en raison d’ensablements à répétition.
- 1858 : une réflexion de bon sens et toujours d’actualité que l’on doit à Ad de Gaudemard dans l’Album de La Réunion d’Antoine Roussin : «Les lieux dits le Bois-de-Nèfles, Saint-Gilles et la Saline, qui ont été distraits de Saint-Paul sous le rapport religieux de 1853, forment des localités importantes, qui, tôt ou tard, recevront une organisation municipale distincte».
- 1863 : un chemin relie enfin Saint-Gilles à Saint-Leu.
- 1865 : Joseph Lelièvre — à qui l’on attribue les premières plantations de filaos sur le bord de mer — fait construire une usine sucrière à l’Hermitage, autour de laquelle il possède plus de 470 hectares.
- 1871/1883 : la liaison Saint-Gilles/Saint-Paul est établie par une «ouverture» dans le cap Lahoussaye.
- 1881 : Gilles-François Crestien fait la description suivante des lieux : «Saint-Gilles-les-Bains, cette charmante oasis, est appelée, dans un avenir prochain, grâce au chemin de fer qui la mettra à quelques minutes de Saint-Denis, à être le rendez-vous de tout le monde élégant colonial. (…) Saint-Gilles aura sa vogue comme Etretat et Arcachon, stations balnéaires inventées par des feuilletonistes en villégiature».
- 1882 : le chemin de fer désenclave Saint-Gilles-les-Bains.
- Début 20ème siècle : construction de la boutique Loulou.
- 1963 : ouverture de la route en corniche.
- Fin des années 60 : l’eau courante et l’électricité se déploient à Saint-Gilles.
- 1970 : 3338 habitants. Inauguration du Théâtre de Plein Air.
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