Le chemin de fer et… l’attaque du train
Inauguré le 11 février 1882, le chemin de fer a rythmé la vie des Réunionnais pendant plus de 80 ans. Avec même un épisode digne de la tradition western : l’attaque du train comme au cinéma.
Le convoi inaugural déraille à la rivière des Roches
“Il faut pénétrer dans le ventre de la montagne pour admirer les vaillants travailleurs qui percent, dans les ténèbres, ignorés, humbles soldats du progrès, le tunnel qui rivalisera avec les plus grands travaux de ce genre. Piémontais, Arabes d’Egypte et d’Aden, Soumalis, Français, Créoles, Malgaches, Cafres, toutes les races se trouvent confondues dans le même labeur travaillant tous d’une égale ardeur à l’achèvement de cette grandiose entreprise”. Cet extrait du “Moniteur de La Réunion” (26 novembre 1879) relate le chantier de construction du chemin de fer et plus précisément le creusement du tunnel entre Le Port et Saint-Denis.
C’est le 11 février 1882 que le chemin de fer de La Réunion est inauguré. Dix jours plus tard, il est ouvert à l’exploitation publique et pour la première fois, environ 300 Réunionnais utilisent ce moyen de transport à cette occasion.
Les rails courent sur 127 kilomètres de Saint-Benoit à Saint-Pierre et empruntent un tunnel creusé dans la montagne sur 11 kilomètres entre Saint-Denis et La Possession. Il s’agit alors du troisième tunnel du monde par sa longueur.
Le convoi inaugural déraille à la rivière des Roches mais le chemin de fer va rythmer et transformer la vie des Réunionnais pendant plus de 80 ans ! Essentiel à l’économie de l’île, le chemin de fer devient aussi fer de lance des luttes syndicales, assurant le lien entre cheminots, dockers et ouvriers des usines.
800 ouvriers en grève
Les travailleurs du rail participent en 1902 à la création du «syndicat professionnel des travailleurs du Chemin de Fer et Port de La Réunion» et inaugurent la tradition de luttes qui déterminera l’histoire de la ville du Port, berceau du syndicalisme réunionnais, et celle de l’île.
Les revendications, alimentées par la solidarité entre dockers, cheminots, ouvriers et marins des Messageries Maritimes, amèneront des avancées cruciales pour le peuple réunionnais.
En 1912, au CPR [Chemin de fer et port de La Réunion], sur 870 travailleurs, 400 sont syndiqués. La même année, les travailleurs créent l’«Union Radicale et Radicale Socialiste des employés et ouvriers du CPR» dont l’objectif prioritaire est d’obtenir l’application des avantages sociaux en vigueur en France. Quelques mois plus tard, 800 ouvriers du CPR entrent en grève pour réclamer des augmentations de salaires, la reconnaissance de leur syndicat et la démission de leur contremaître.
L’attaque du train
Dans la mythologie ferroviaire réunionnaise, on trouve les «boules-wagon» : détachées [sciées] des wagons, elles faisaient le bonheur des amateurs de pétanque. En 1948, les ateliers du CPR se lancent dans la fabrication de «boulets» destinés aux sportifs à la demande des Services de l’Education Physique et des Sports.
On trouve aussi l’attaque du train qui se joue le 6 avril 1914, manière Hollywood. Cela se passa dans la ville du Port. Pour peu, on se croirait dans un western, avec en prime une belle frayeur… L’attaque du train comme dans un film !
Ce jour-là, vers 18 heures, le train s’apprête à quitter la gare du Port en direction de Saint-Paul. Dans les wagons ont pris place principalement des ouvriers rentrant chez eux après une dure journée de travail sur les docks. Le convoi s’ébranle et s’éloigne tranquillement de la gare.
A la sortie de la cité maritime, des hommes sont tapis sur le bas côté de la voie ferrée, attendant dans l’ombre… Lorsque le train arrive à leur hauteur, ils lancent l’attaque : des galets sont projetés contre les wagons et les assaillants se hissent sur les marche-pieds pour tenter d’arrêter le convoi. Mais, le mécanicien accélère l’allure du train et parvient ainsi à déséquilibrer les assaillants qui sont contraints de lâcher prise.
Tandis que le train prend de la vitesse, des coups de galets pleuvent à nouveau blessant grièvement un des passagers, Achille Arikieme, voyageant en seconde classe.
Attentat contre les travailleurs syndiqués qui rentraient chez eux ou règlement de comptes à l’approche des élections ? Règlement de compte ?
«Tout automobile» et coma circulatoire
Dans la mouvance du Front populaire, l’année 1936 sera déterminante aussi à La Réunion : le «Syndicat général du personnel du CPR» est créé au cours d’une réunion dans la salle du cinéma Casino, au Port. Le secrétaire général s’appelle Léon de Lépervanche1. Dans la foulée, la Fédération Réunionnaise du Travail [FRT], affiliée à la CGT, voit le jour et regroupe le syndicat général du personnel du CPR, le syndicat des haleurs de pioches, le syndicat des dockers. La même année, cheminots et dockers se mettent en grève pour réclamer l’application des accords de Matignon [congés payés, semaine de 40 heures…].
Mais, l’horizon s’assombrit pour le chemin de fer réunionnais puisqu’en 1946, le conseil général adopte le principe de sa suppression. Quatre ans plus tard, le 27 décembre 1950, est actée la séparation administrative du port et du Chemin de Fer qui est baptisé : CFR. Le décret [N°50-1579] porte dissolution du CPR et autorise le Département à exploiter en régie directe le Chemin de Fer de La Réunion [CFR].
Le 7 avril 1956, les travaux de construction de la route du cap Bernard, dite «route en Corniche», démarrent et sonnent le glas du chemin de fer. Le 31 décembre 1963, le dernier tronçon du chemin de fer «Saint-Denis/Le Port» est fermé. Il connaîtra une «seconde vie» éphémère en 1990 grâce à la troupe Vollard qui choisit le site de l’ancienne gare de la Grande Chaloupe pour créer sa pièce de théâtre «Lepervenche, chemin de fer», écrite et mise en scène par Emmanuel Genvrin. À cette occasion les wagons du CFR, restaurés par l’association «Ti train», reprennent du service.
L’autorail réunionnais est mort, supplanté par le «tout-automobile».
Notre île devra pourtant, tôt ou tard, se doter d’un moyen de transport collectif, efficace, durable et respectueux des normes environnementales.
7 Lames la Mer
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