Accueil > 7 au menu > 7 en photos > Le mystère du galet Gamède enfin percé !
Les 24, 25 et 27 février 2007, le cyclone Gamède secoue l’île de La Réunion. La mer déchaînée dévoile des sépultures d’esclaves sur la plage de sable noir de Saint-Paul tandis que sur le rivage de galets ronds du Port, le terrible koudvan — coup de vent — livre une imposante pierre de taille gravée d’une date : « 1886 ». Mais d’où venait donc ce galet gravé ? Grâce à la photographe Thérèse Le Prat (1895-1966), « 7 Lames la Mer » a percé le mystère du « galet Gamède ».
D’où venait donc cette mystérieuse pierre surgie des eaux ?
En 2007, juste après le passage du cyclone Gamède, le Portois Gilbert Tiburce se promène sur le littoral Nord de la cité maritime. Face aux installations de la « SRPP » [1], il fait une étonnante découverte : sur la plage de galets ronds chamboulés par la houle, un galet beaucoup plus grand que les autres et d’une forme différente est échoué.
Taillé par la main de l’homme, le parpaing aux imposantes dimensions porte sur la tranche une inscription gravée dans la pierre : « 1886 ». Conscient de l’importance de cette découverte, M. Tiburce informe la mairie de la présence de cet étrange galet gravé sur la grève.
Le fameux galet est récupéré le jour même et installé quelques années plus tard sur l’esplanade longeant le nouvel hôtel de ville, face à la mer. Personne ne sait alors précisément d’où vient cette mystérieuse pierre surgie des eaux, ni à quel édifice elle a été arrachée par la force des courants.
« 1886 » : le port de la Pointe-des-Galets est inauguré
Combien de temps a-t-elle attendu sous la mer à quelques mètres du rivage jusqu’à ce que le terrible cyclone Gamède la ramène à l’air libre, sur la terre ferme ?
Certes, on se doutait bien que le « galet Gamède » était directement lié aux installations portuaires puisque « 1886 » est précisément l’année où le port de commerce de la Pointe-des-Galets est inauguré.
Cette pierre taillée avait donc été gravée et disposée « quelque part » sur le site au cours de cette même année.
Une mystérieuse photographe débarquée sur l’île en 1937
C’est en faisant des recherches sur la vie et l’œuvre d’une mystérieuse photographe débarquée à l’île de La Réunion en 1937, par un paquebot des Messageries Maritimes, que « 7 Lames la Mer » découvre en septembre 2016 une preuve de la provenance exacte du « galet Gamède » et résout ainsi une énigme vieille de 10 ans.
Une fois de plus, le principe de sérendipité a été notre complice... Sur les traces de Thérèse Le Prat, c’est pour un voyage passionnant dans La Réunion d’il y a 80 ans que nous embarquons.
Thérèse Le Prat arpente l’île en 1937. Sa mission est de réaliser un reportage photographique pour le compte des Messageries Maritimes.
Thérèse Le Prat donne des visages à la misère
L’œuvre, peu connue, qu’elle lègue aux Réunionnais est rare, de grande qualité, empreinte d’humanisme. Poignante.
Thérèse Le Prat s’éloigne des grandes avenues coloniales ; elle nous dévoile l’envers du décor, sillonne les quartiers populaires, donne des visages à la misère.
Elle photographie les ouvriers, les planteurs, les marchands ambulants, les marmailles qui jouent dans le chemin.
Elle suit les charrettes-bœufs, arpente les rues bordées de petites cases modestes, déniche des paillotes et leurs occupants endimanchés, etc.
Deux photos inédites d’un monument disparu
Arrêtons-nous sur deux photos que Thérèse Le Prat réalise au Port : deux clichés du premier phare de la Pointe-des-Galets. Deux photos inédites qui nous livrent de précieux détails sur ce monument disparu.
Il avait fière allure, ce premier phare du port de la Pointe-des-Galets, mis en service en... 1886. Si l’on compare les deux photos d’archives à celles prises par Thérèse 51 ans plus tard, on peut se laisser tromper par les apparences... mais il s’agit bien du même édifice.
Certes, à l’époque où Thérèse le photographie (1937), son habit de grosses pierres a été recouvert d’un enduit lisse et peint en blanc. Au rez-de-chaussée, les belles pierres laissées apparentes contribuaient toutefois à préserver le cachet de l’imposant édifice.
Des photos émouvantes et précieuses
De ce premier phare de la Pointe-des-Galets, on connaissait jusqu’à présent peu de photos, deux tout au plus. C’est pourquoi celles prises par Thérèse Le Prat sont si émouvantes et précieuses.
Construit selon un plan établi à Paris, il atteint les 23 mètres, avec des murs — en pierres de taille — très épais : 1,60 mètre à la base, 0,90 mètre au sommet.
Rare : une photo du 2ème phare de la Pointe des Galets
Situé à 27,60 mètres au dessus du niveau de la mer, le foyer lumineux (lampe à pétrole) coiffé d’une lanterne vitrée et d’une coupole avait une portée de 28 km.
La tour était constituée de quatre étages munis chacun de deux ouvertures : de hautes fenêtres vitrées. Au sommet, se trouvaient une girouette, un anémomètre et un paratonnerre.
Dynamité dans les années 50
Malheureusement, les jours de ce phare majestueux édifié à une cinquantaine de mètres du rivage étaient comptés. L’érosion de la côte — grignotée au fur et à mesure par la houle de l’océan Indien — en faisait un géant aux pieds d’argile.
C’est ainsi qu’après plusieurs décennies de service, le beau phare de la Pointe-des-Galets, qui avait attiré tant de visiteurs, fut dynamité dans les années 50. Mais le gaillard résista et l’on dut s’y reprendre à plusieurs reprises jusqu’à ce qu’il cède et disparaisse dans les flots.
À marée basse, on peut encore apercevoir, affleurant la mer indienne, les restes du socle de ce premier phare de la Pointe-des-Galets que par vanité, les hommes avaient positionné à 50 mètres du bord, pensant leur œuvre invincible.
Une inscription... gravée dans la pierre
La leçon donnée par la nature ne sera comprise qu’à moitié : le second phare de la Pointe-des-Galets, moins majestueux (15m de haut), fut construit 200 mètres à l’arrière de l’emplacement du premier phare. Livré en 1956, il avait une portée de 20 kilomètres. Équipé d’une lampe électrique de 3000 watts, il fut éteint définitivement le 31 décembre 1966, pour les mêmes raisons que son ancêtre : l’érosion et le recul de la côte.
Mais revenons à Thérèse Le Prat et au premier phare de la Pointe-des-Galets. On remarquera que, pour prendre les photos avec son Rolleiflex, elle a déposé son sac noir en haut de la grande rampe en béton qui longe l’escalier menant au phare.
Un examen plus attentif de la photo nous fait alors découvrir au dessus de la porte d’entrée une inscription... gravée dans la pierre. En zoomant, on finit par lire distinctement : « 1886 ».
Une soixantaine d’années sous l’eau
« 1886 » ? Mais où donc avons-nous déjà vu cette inscription ?
Sur le « galet Gamède » ! Le galet rendu par la mer en 2007 et dont on se demandait à quel édifice il avait été arraché... On avait enfin la réponse : le premier phare de la Pointe-des-Galets.
Cette pierre gravée avait reposé près d’une soixantaine d’années sous l’eau. Et depuis 2007, elle attendait que l’on reconnaisse son origine.
Et c’est grâce à une photographe, passée par là en 1937, que le mystère du « galet Gamède » a été percé ! (Et grâce à la perspicacité de « 7 Lames la Mer »...)
À suivre...
Nathalie Valentine Legros et Geoffroy Géraud Legros
À lire aussi au sujet de la photographe Thérèse Le Prat :
Thérèse Le Prat (1) / Saint-Denis 1937 : la petite marchande de poissons
Thérèse Le Prat (3) / Allons battre carré à Saint-Denis en 1937
[1] Société réunionnaise de produits pétroliers
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