Un des personnages les plus emblématiques du maloya traditionnel serait une... Indienne. À La Réunion, tout…
Saint-Denis «au cœur des vieux jardins»… et l’ombre de Robert-Edward Hart
Son corps repose au cimetière de Souillac et son cœur est conservé au «Mauritius Institute Museum». Robert-Edward Hart, poète mauricien fasciné par le mythe lémurien, a découvert son propre profil forgé par le fracas des vagues et du vent dans une falaise basaltique, non loin de «La Nef», sa petite maison de corail. Dans son œuvre s’est glissé un poème sur Saint-Denis de La Réunion. Hommage.
Saint-Denis de La Réunion
Midi. Saint-Denis dort au soleil tropical,
Goûtant nonchalamment la douceur quotidienne
De la trêve, du songe et de la méridienne.
Et la ville se berce au murmure amical
Qui vient du Barachois où déferlent les vagues
Dont le fracas se subtilise en chansons vagues.
Nul autre bruit n’atteint l’oreille des dormeurs,
Sinon de menus sons et de pâles rumeurs.
Les ateliers déserts et les boutiques closes
S’immobilisent au repos… L’odeur des roses
Règne, seule vivante, au cœur des vieux jardins.
Et là-bas, au delà des horizons lointains,
En devinant les clairs paysages de l’île,
Il me semble entrevoir un Leconte de Lisle
Plus jeune, plus sincère et moins désenchanté…
Saint-Denis se repose au vif soleil d’été.
Et moi, tout désœuvré, je vais de porte en porte,
Comme le pèlerin dans une cité morte.
Robert-Edward Hart
Les voix intimes, 1922
Hart : le cœur du poète n’est pas dans la tombe
«Au cœur de ce qui fut le continent lémurien»
Tout comme Malcolm de Chazal, son ami peintre, poète et écrivain, Robert-Edward Hart était fasciné par la Lémurie, mythique continent englouti, dont l’île Maurice et l’île de La Réunion seraient les vestiges.
«C’est ici, au cœur de ce qui fut le continent lémurien, que je pressens l’ineffable», écrivait-il à propos de son île natale au cœur de la mer indienne : l’île Maurice.
C’est là qu’il voit le jour le 17 août 1891, à Tranquebar, dans les faubourgs de Port Louis. C’est là qu’il rend son dernier souffle le 6 novembre 1954, au sud de l’île.
Son corps repose dans «son cimetière fantasmagorique» — comme il le qualifiait lui-même — à Souillac1, près de la mer. Mais son cœur a été prélevé de sa dépouille pour être conservé au «Mauritius Institute Museum», conformément à son souhait. Le cœur du poète n’est pas dans la tombe…
«L’heure indécise où la pénombre filtre»
La poésie de Robert-Edward Hart est un éternel écho à l’enfance, à l’île natale et à ses jardins envoutants.
La poésie de Hart est hantée par la mort, la mer, l’amour et par cet instant étrange qui revient comme une obsession : le crépuscule.
«J’aime l’heure indécise où la pénombre filtre» écrit-il. Cet instant étrange «à l’heure des vagues plus calmes» où il ne fait plus jour mais pas encore nuit, où le souffle s’apaise et les ombres s’effacent…
«Une féérie enfantine intérieure»
Son amour pour la poésie naît «du paysage mauricien et d’une féérie enfantine intérieure, précise Robert-Edward Hart. J’écoutais, je regardais, je respirais, muet de surprise, m’initiant à l’apparition du mystère, et si c’est à vingt ans que je devais écrire mes premières strophes, c’est en pleine enfance que, découvrant le royaume de poésie, j’écoutais chanter le poème de la rafale sur la montagne».
L’enfance… Le temps passé de «ma joyeuse enfance».
L’enfance fleurira la poésie de Robert-Edward Hart et l’accompagnera jusqu’au tombeau : «des enfants ont surgi comme un printemps soudain»…
«La Nef», petite maison aux murs de corail
La vie de ce poète est parsemée de signes étranges. Ainsi lorsqu’il est temps pour lui de prendre sa retraite en 1941 [il a été journaliste, bibliothécaire…], il s’installe au bord de la mer à la pointe sud de l’île, à Souillac où il construit avec l’aide de ses amis un «campement», petite maison aux murs de corail, embaumée par les embruns, qu’il nomme «La Nef» et dans laquelle il passera les 13 dernières années de sa vie.
Après la mort du poète en 1954, la maison est transformée en musée en 1967. Mais au début des années 2000, jugeant que l’état détérioré de la vieille bâtisse présente un danger [notamment le toit], la Nef est rasée, provoquant un véritable émoi au sein de la population. La Nef sera cependant reconstruite «à l’identique» et a retrouvé sa fonction de musée Robert-Edward Hart.
Un ami peintre du poète décrivait ainsi la maison : « faite de corail brut dont le calcaire présentait des couleurs étranges : bleu d’algues, jaune de corail, où l’ambre voisine avec l’albâtre ».
Deux énigmatiques profils sculptés dans le basalte
Non loin de là, les falaises font directement face à l’océan sans la barrière protectrice des récifs coralliens, contrastant avec les paysages habituels du bord de mer mauricien avec ses lagons paisibles.
Ici, les vagues de la mer indienne si chère à Hart viennent se fracasser sur les falaises basaltiques de «Gris Gris» et avec l’aide du vent, elles sculptent le rempart minéral depuis la nuit des temps.
Et dans la roche qui surplombe le ressac éternel, l’érosion a fait apparaître deux énigmatiques profils qui se font face. À travers cet effet de paréidolie, c’est bien le profil de Robert-Edward Hart qui se dessine dans le basalte, créant ainsi entre le poète et sa terre natale une communion, un lien absolu.
Autre singularité de l’histoire de Hart : son cœur n’est pas dans la tombe…
Son île… irrésistiblement
Il a 26 ans lorsqu’il découvre Madagascar dont il ramènera de longs poèmes publiés notamment dans «Sensations de route» et «La vie harmonieuse». En 1922, le voilà à Paris où il fréquente les cercles littéraires… mais il est rappelé par son île irrésistiblement et ne peut rester longtemps loin d’elle, sa principale source d’inspiration poétique.
À travers l’île Maurice et l’océan Indien, il côtoie d’autres cultures qui le fascinent : indienne, malgache, chinoise, africaine, etc. Elles influenceront grandement son travail d’écriture.
Poésie, théâtre, prose, essais, chroniques journalistiques, l’œuvre hartienne est multiple mais toujours empreinte de cet esprit poétique qui caractérise l’auteur et reste vivace quel que soit le genre littéraire auquel il s’adonne. En 1937, il s’essaie au surréalisme en publiant des poèmes sous le pseudonyme de Bob-Eddy.
Un des plus grands auteurs poètes de l’océan Indien
Malcolm de Chazal, Jean-Joseph Rabearivelo2, Kissoonsingh Hazareesingh, Loys et Hervé Masson, Marcel Cabon [etc.] sont ses amis. L’amitié et la fidélité seront des constances de la vie de Robert-Edward.
Qualifié de généreux par tous malgré une situation matérielle parfois délicate, Hart a contribué à soutenir d’autres hommes de lettres notamment dans l’océan Indien lorsqu’il publie des textes ou poèmes d’auteurs divers dont son ami Jean-Joseph Rabearivelo.
Lorsque la mort le trouve, ce samedi 6 novembre 1954, Robert-Edward Hart n’a que 63 ans. Ainsi disparaît l’un des plus grands auteurs poètes de l’océan Indien ; il repose auprès «du soleil et des affections mauriciennes».
Nathalie Valentine Legros
Orientations bibliographiques : «Les voix intimes», Robert-Edward Hart, 1922 • «Le poème de l’île Maurice», pages choisies, Robert-Edward Hart • Mer indienne, Robert-Edward Hart, 1925 • Robert-Edward Hart Memorial Museum • ile-en-ile.org • cotenordmag.com • plumebook-cafe.com •
L’enfance… comme un printemps soudain
Je rêve au temps passé de ma joyeuse enfance • La ronde des enfants dansant en robes blanches • Ainsi l’homme re-songe à l’enfance lointaine • Des enfants ont surgi comme un printemps soudain • Laisse dormir le temps joyeux de mon enfance • Les enfants ont sauvé le monde et le monde ne le sait pas…
Comme un crépuscule au bord d’un ciel d’été
J’aime l’heure indécise où la pénombre filtre • Le crépuscule meurt avec de longs frissons • Un crépuscule tendre et voilé de douceur • Le jour tarde à décroitre et la nuit est très lente à venir… • À l’heure des vagues plus calmes • Le soir qui descend des manguiers estompés • Crépuscule… Le jour se voile de langueur… • Les reflets du soleil qui se meurt • Parmi les lueurs d’or du crépuscule • Ce soir, le crépuscule est clair comme un matin • Le soir est descendu, c’est l’heure de l’amour • L’heure où tous les bruits vains meurent avec le jour • Le soir frissonne, le soir chante et j’écoute sa chanson claire • D’un pâle crépuscule ou d’un soir de langueur • Le suprême frisson d’une clarté qui meurt • L’adieu voilé du jour triste qui meurt • Comme un crépuscule au bord d’un ciel d’été • Voici l’heure du silence pensif • À l’heure où le soleil fait son dernier adieu • À l’heure où va venir le crépuscule brun • L’heure crépusculaire où les choses s’endeuillent… • Le divin crépuscule est empli de regrets…
Oh ! les jardins, les jardins…
Je revois les jardins où jadis j’ai chanté • Oh ! les jardins fleuris, les jardins d’autrefois… • Le tranquille jardin s’éveille, frais et pur • Ce jardin plein de charme berceur • Parmi les fleurs des vieux jardins de Chine • Du jardin vespéral dont la rumeur s’endort… • Au sud de Port Louis, à «Les Salines», se trouve le «jardin botanique Robert-Edward Hart».
La mer musicienne…
La mer retentissante et les plages sonores • Le ciel est bleu foncé comme une mer profonde • Nous marchons sur le sable où le murmure intarissable de la mer sonne, cristallin • L’océan Indien aux rumeurs éternelles • Un bois de filaos près de la mer musicienne…
La mort… quand vient le soir
Épitaphe de Robert-Edward Hart : «Devant la mer indienne repose le poète qui l’a chantée» • Parmi le paysage où sommeillent mes morts • Le mystère du monde fugitif et du monde éternel • Mourir, quand vient le soir, sans regretter la vie • Aux lieux chéris à qui j’ai dit l’adieu suprême • La mort seule est très douce au cœur très douloureux • Mourir, c’est dormir d’un sommeil lumineux • La vie est un tourment, la mort est un mystère • Je veux mourir sans peine, je veux mourir debout • Quand je ne serai plus qu’un léger tas de cendre, éparpillez aux vents cette poussière • Si j’ai fait en granit ma maison pour la mort, je n’ai fait qu’en rafia la maison de ma vie • Dans l’ombre des mortels ou la clarté des morts… • Si l’œuvre doit durer, qu’importe que l’on meure…
A lire aussi :
- Rabearivelo, quand un poète quitte délibérément la vie
- Les derniers maloyas de Baptiste Zamgaïa
- Vali pour Boris Gamaleya
- Évariste, l’anti-esclavagiste et ses chansons madécasses…
- Léon Dierx, sage de la tribu du «Dragon bleu» (1)
- Les sources réunionnaises du «Bateau ivre» (2)
- Lacaussade, né et mort parmi les révoltés
- Histoire et jardins : sur les sentiers de la créolisation
- Jardins créoles : qui connaît encore ces grains du pauvre ?
- Maurice : étranges vertiges sous-marins
Journaliste, Écrivain, Co-fondatrice - 7 Lames la Mer.
- Cette petite ville du sud de l’île tient son nom de François de Souillac, gouverneur de 1779 à 1787.
- Lire à ce sujet : Rabearivelo, quand un poète quitte délibérément la vie.