Que la force des marronnes soit avec vous
Réduites à l’esclavage, elles ont choisi la résistance et la liberté. Elles s’appelaient Héva, Marianne, Jeanne, Rahariane… Elles font partie intégrante de l’épopée du marronnage. Qu’aurait été l’histoire du marronnage sans les marronnes ?
Femmes et hommes doivent mener ensemble la lutte
C’est à Clélie Gamaleya que nous devons «Filles d’Héva — trois siècles de la vie des femmes à La Réunion», publié en 1984 et «postfacé» par l’UFR1 puis réédité en 1991 sous l’égide d’Océan Editions.
Il s’agit du premier ouvrage sur l’histoire des femmes réunionnaises. Dans son avant propos, Clélie Gamaleya écrit : «Est-il besoin de préciser que, pour vaincre le poids du passé d’oppression et de souffrances, que femmes et hommes ont subi ensemble, et promouvoir le développement de notre île, hommes et femmes doivent mener ensemble la lutte ?»
La lutte pour la liberté, femmes et hommes l’ont menée ensemble dans le marronnage. Le travail de Clélie Gamaleya lève le voile sur l’importance de l’action des marronnes. Suivons la trace de quelques unes d’entre elles, avec émotion…
Soya, tuée sous les yeux de son fils de 8 ans
• Marianne capturée et abattue
Le chef marron Fanga et Marianne sont mari et femme. Mais le redoutable chasseur de marrons, François Mussard, mettra fin à cette union en 1740. Il capture Marianne dans sa retraite de Cilaos et l’abat. Il la baptisera avant qu’elle n’expire.
• Suzanne, marronne à 14 ans
Marronne dès l’âge de 14 ans, Suzanne, elle aussi, est tuée. On sait malheureusement peu de chose de son histoire.
• Soya, 12 ans de marronnage
Le greffe du tribunal de Saint-Paul nous apprend que Soya, marronne depuis 10 à 12 ans, est tuée sous les yeux de son compagnon, Grégoire, qui sera mortellement blessé, et sous les yeux de son fils de 8 ans. On leur coupe la main droite, lesquelles sont ramenées en trophée comme preuve.
Simangavola siégeait au Conseil des chefs marrons
• Héva et ses 8 filles
La plus célèbre d’entre les marronnes se nomme Héva. Elle a partagé la vie d’Anchain pendant un quart de siècle, dans les hauts du cirque de Salazie. Elle a donné naissance à 8 filles dont Simangavola et Marianne, célèbres marronnes, elles aussi.
• Simangavola au conseil des chefs marrons
Simangavola, fille d’Héva et d’Anchain, marronne célèbre elle aussi, était la femme et la conseillère du grand chef Matouté, dit le «rusé Matouté». Elle siégeait à ses côtés au Conseil des chefs marrons.
• Marianne, terrible et indomptable
Une autre Marianne a défrayé la chronique du marronnage : elle était surnommée «La Terrible Marianne». Elle était la fille d’Héva et d’Anchain. Femme du chef Cimendef, on les disait tous les deux « indomptables ».
• Rahariane, tuée les armes à la main
Une autre indomptable s’appelle Rahariane. C’est la compagne du chef sorcier madécasse Mafate. Elle est d’ailleurs tuée les armes à la main, en même temps que lui, en 1751.
Babette, accusée d’incitation des noirs à la révolte
• Babette et son fils, condamnés à l’isolement
L’histoire de Babette est terrible, elle aussi. Esclave à Saint-Paul, elle est accusée en 1795 d’incitation des noirs à la révolte mais aussi de tentative d’empoisonnement sur son maître. Son fils et elle sont condamnés à être pendus et étranglés, à avoir leurs cadavres exposés à la potence pendant 24 heures puis leurs têtes fichées sur une fourche à l’orée des chemins qui mènent à la propriété du maître. Devant la férocité et la barbarie de ce châtiment, l’assemblée coloniale introduit un recours. Finalement Babette et son fils seront maintenus en prison dans l’isolement le plus complet.
Refermons cette galerie de portraits de marronnes par une femme qui n’était pas marronne. Il s’agit d’une dénommée Jeanne qui fut condamnée à la chaîne à perpétuité pour avoir tenu des propos abolitionnistes.
Nathalie Valentine Legros
Le marronnage féminin
La résistance à l’esclavage a revêtu plusieurs formes. L’une de ces formes fut l’avortement volontaire. Les autorités, pour avoir à importer moins d’esclaves, encourageaient les mariages et la fécondité des femmes esclaves par des gratifications.
C’est ainsi que, par exemple, Dorothée reçoit (en 1769) une pièce de toile bleue — en considération des deux jumeaux qu’elle a faits (…). L’exemple de Dorothée n’est pas suivi, et la pratique fréquente des avortements est signalée par plusieurs voyageurs ; un mémoire sur Bourbon de 1785 précise que «la principale cause (en) est que la plupart de ces femmes détruisent leurs fruits, ne voulant pas mettre au monde des enfants aussi malheureux qu’elles».
Rejoindre le pays natal
Les femmes avaient également recours au suicide. Les procès-verbaux officiels mettent ces gestes désespérés, nombreux surtout dans les premiers mois de servitude, sur le compte de la «folie» ou de l’«imbécilité», mais parfois apparaît le vrai motif : châtiment excessif, humiliation, désespoir né de la condition même d’esclave.
Ainsi Fraisie, jeune fille de 16 à 17 ans, débarquée de l’Inde depuis 15 jours, s’est pendue après que son maître lui a fait, pour un vol prétendu, «donner bien légèrement 25 coups de fouet».
Les évasions par la mer sur des barques volées dans l’espoir insensé de rejoindre le pays natal étaient autant d’entreprises suicidaires pour maints originaires de Madagascar.
Quand on a perdu la liberté…
Comme l’écrivait Parny, «ils y laissent presque toujours la vie, et c’est peu de chose quand on a perdu la liberté».
C’est dans ces conditions que disparaissent, selon la déclaration de leur maître, l’abbé Criais, «Sécile, Créole, et Blandine, Malgache, avec leurs maris, tous deux Malgaches».
La principale manifestation de résistance à la condition servile, à laquelle les femmes ont pris une part active, c’est le marronnage.
Extrait de «Filles d’Héva, trois siècles de la vie des femmes à La Réunion», de Clélie Gamaleya, 1984. Réédité en 1991 par «Océan Editions».
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Journaliste, Écrivain, Co-fondatrice - 7 Lames la Mer.