«Hannibal, 24 ans, bon caractère — Lavenda, 20 ans — Prince, chauffeur, 27 ans — Betsy,…
James Mange, le combattant du couloir de la mort / The death row fighter
Condamné à la peine capitale en 1979 par les autorités sud-africaines, le combattant anti-apartheid James Mange est un rescapé du couloir de la mort. Interview intemporelle avec celui qui voit La Réunion comme «une minuscule pierre posée sur la couronne africaine». / Sentenced to death by the South African authorities in 1979, anti-apartheid fighter James Mange is a death row survivor. Timeless interview with one who sees Reunion as «a tiny stone set on the African crown».
Il est resté 12 mois dans le couloir de la mort… Face à la pression internationale, sa peine a été commuée en 20 ans de prison. Acteur majeur de la lutte anti-apartheid, James Daniel Mange avait été condamné à mort pour «trahison» puis emprisonné pendant 14 ans à Robben Island où il a côtoyé Nelson Mandela, Govan Mbeki, Walter Sisulu… Vétéran de la lutte politique et armée (il a été l’un des responsables de la branche armée de l’ANC1), musicien activiste, «original rastaman», James Mange incarne la conscience du continent africain.
James Mange était à La Réunion en octobre 2016, avec la formation de reggae Azania Band, à l’initiative de Be Wild Production. Il est allé à la rencontre d’un groupe de jeunes à Saint-Paul et j’étais présent. La vie offre parfois des surprises qui se transforment en cadeau. J’avais entendu parler de la mobilisation internationale qui lui avait sauvé la vie en 1979. Je savais qui était James Mange et sa place dans l’histoire de l’Afrique du Sud. Jamais je n’aurais imaginé le rencontrer un jour.
Je lui ai proposé de réaliser une interview pour 7 Lames la Mer, lui expliquant la philosophie du site. Il a accepté, précisant toutefois qu’il n’aborderait pas les aspects politiques ou personnels «trop sensibles». C’est la raison pour laquelle certains sujets ne sont pas évoqués, notamment son rôle au sein de l’ANC, la situation politique actuelle en Afrique du Sud ou l’influence des pays socialistes dans la chute de l’apartheid. L’échange a duré quarante-cinq minutes. Plongez au cœur de l’Afrique du Sud, du reggae, de la spiritualité rasta et de la philosophie de James Mange.
Perceval Gaillard
Qu’est-ce qui maintient les étoiles aussi haut ?
Perceval Gaillard : Merci d’accorder cette interview à 7 Lames la Mer. Commençons par l’enfance. Quelles sont les premières questions qui ont hanté l’enfant que tu étais ?
James Mange : J’ai grandi comme tous les enfants sud-africains de l’époque même si j’étais un peu différent. Je me posais effectivement beaucoup de questions. Lorsque les autres jouaient au football ou s’asseyaient autour du feu pour discuter, moi, je préférais regarder les étoiles et je me demandais : qu’est-ce qui les maintient aussi haut, aussi loin ? Pourquoi la lune brille-t-elle la nuit et non le jour ? Je me posais ce genre de questions.
Je suis resté 14 ans derrière les barreaux
Perceval Gaillard : Tes premiers pas dans le combat avec l’ANC…
James Mange : J’ai commencé très jeune. Il y avait une cellule à côté de là où j’habitais et je me souviens d’un vieil homme ; il m’a recruté avec trois autres jeunes du quartier.
Perceval Gaillard : Le premier coup dur…
James Mange : C’était en 1978. Le gouvernement m’a arrêté et j’ai été condamné à mort en novembre 1979. J’avais 24 ans. J’ai ensuite passé un an à la prison centrale de Pretoria. À la suite de la campagne internationale «Libérez James Mange» qui a résonné jusqu’aux Nations-Unies, le gouvernement sud-africain a renoncé et a commué ma peine capitale en 20 ans d’emprisonnement. J’ai été transféré à la prison de Robben Island et libéré en 1991. Je suis resté 14 ans derrière les barreaux.
Une seule personne dans deux corps différents
Perceval Gaillard : Tu as dit que les gens se sont mobilisés à travers le monde pour te sauver parce qu’ils voyaient en toi d’abord un être humain et pas seulement un noir combattant pour la libération du peuple noir…
James Mange : Oui, il faut se rappeler que les Nations-Unies ont reconnu le régime de l’apartheid comme un crime contre l’humanité. C’est la raison pour laquelle nous avons eu tant de soutiens internationaux. C’était en effet un crime contre l’humanité. Quand la campagne de soutien pour me sauver la vie a été lancée, c’était dans ce cadre : sauver un membre de l’humanité.
Perceval Gaillard : Lorsque l’on traverse la terrible épreuve de la condamnation à mort, des relations fortes se nouent…
James Mange : Oui… Beaucoup de mes amis sont tombés pendant cette période. Ils se battaient contre l’armée. La cible a toujours été l’armée et ses installations, pas les civils. Nous avons infligé beaucoup de dommages à l’armée sud-africaine même si cela était passé sous silence à l’époque. Alors oui, lorsque l’on traverse ce genre d’épreuves, les relations qui se nouent sont… difficiles à expliquer à quelqu’un qui n’a pas connu cela. On devient des compagnons de lutte ; c’est presque plus fort que les liens qui unissent des frères ou les membres d’une famille : on appartient à une conscience collective. En fait, tu deviens même une seule personne dans deux corps différents.
Je cherchais autre chose, quelque chose qui me parle…
Perceval Gaillard : Dans quelles circonstances es-tu devenu rasta ?
James Mange : En prison. Les Sud-Africains sont très religieux. Au delà du christianisme, nous avons toujours eu notre propre système de croyances. Quand je suis arrivé en prison, il y avait l’islam, le christianisme… Mais je cherchais autre chose, quelque chose qui me parle, qui corresponde à ce que je suis réellement. C’est pourquoi je suis devenu un rasta. [Silence.] D’habitude, j’évite de parler de cela. [Silence.]
Perceval Gaillard : Selon toi, quelles influences la spiritualité Rastafari peut-elle avoir au monde ?
James Mange : Je pense à la paix surtout. C’est une philosophie qui prend en compte l’âme et non la couleur de peau. [Silence.] Elle s’élève contre les injustices et peut apporter l’amour… qui est l’essence même de ce que nous sommes, de ce que nous faisons. [Long silence.] C’est une façon de vivre, ce n’est pas une chose dont tu peux parler et ensuite l’oublier… tu dois juste la vivre. Avant j’allais à l’église le dimanche et ensuite je me disputais avec tout le monde sur ce que signifiait «être chrétien». Avec la philosophie Rastafari, ce n’est pas seulement ce que tu dis qui compte mais c’est ce que tu fais et ton âme se transforme dans ce processus.
La musique est l’arme la plus puissante sur cette terre
Perceval Gaillard : Tu es musicien aussi. Reggae music… Quel pouvoir a la musique pour toi ?
James Mange : Roots reggae music… Le pouvoir de la musique ! La musique est l’arme la plus puissante sur cette terre. Elle résiste aux bombardements, aux religions, à tout ce qui emprisonne et corrompt les hommes. Elle a même le pouvoir de transformer l’être humain le plus cruel, le plus brutal. Quand le cœur perçoit ce qui est juste, l’âme l’accepte et le reste de la personne finit par suivre. La musique ne s’embarrasse ni de couleur, ni de religion, ni de genre, ni d’âge. La musique touche tout le monde : enfant, vieillard, femme, jeune.
Perceval Gaillard : Comment as-tu découvert le reggae en Afrique du Sud ?
James Mange : C’était en 1966. N’oublie pas que quand j’étais jeune, l’Afrique du Sud vivait une époque éprouvante. Pour le peuple, accéder à la musique reggae n’était pas facile. Ce n’est qu’à partir de 1972 que Jimmy Cliff est arrivé sur les ondes et que les gens ont commencé à écouter du reggae. En fait, il y avait des petits magasins de disques et si tu faisais partie de l’underground, tu pouvais ainsi accéder à la musique de Bob Marley, de Peter Tosh…
Les artistes sont des prophètes
Perceval Gaillard : Burning Spear…
James Mange : Oui. Tu avais aussi Bunny Wailer [NDLR : troisième membre historique des Wailers] dont le message est si puissant… Je te parle de l’époque des Wailers là. Il y avait aussi Michael Smith, Toots Hibbert… Aujourd’hui, j’aime tous les artistes sud-africains. Les artistes sont des prophètes. Chaque artiste a un message à donner. Je ne juge pas la personne. J’écoute ce qu’elle peut apporter au monde.
Perceval Gaillard : Quel que soit le genre ?
James Mange : Oui. Cela peut être du jazz, du classique, n’importe quel genre de musique.
Ça va toujours bien quand je suis à La Réunion
[Rickie, le claviériste (keyboard player) d’Azania, entre dans la pièce sans savoir que nous faisons une interview. Il parle fort.]
Perceval Gaillard : Rickie mon frère, on fait une interview.
Rickie : Désolé, mon ami.
Perceval Gaillard : Pas de problème. Tu vas bien ?
Rickie : Ça va toujours bien quand je suis à La Réunion.
[Il s’éloigne ; la conversation reprend avec James.]
Nous affrontons beaucoup d’énergie négative
James Mange : Les artistes ont ce talent : détenir un savoir et le transmettre. Ils sont un peu les anges/médiateurs de Dieu, quel que soit le «Dieu». Ils sont ce canal très pur qui reçoit la vibration et fait passer le message. Je sais que parfois pour certains, il est difficile de les entendre… Tu sais, rares sont les prophètes encore en vie. Regarde Peter, Bob…
Perceval Gaillard : Les artistes de reggae sont-ils selon toi reconnus à leur juste valeur ?
James Mange : [Long silence.] C’est complexe. En tant qu’artistes de reggae, nous affrontons beaucoup d’énergie négative… Chaque artiste apporte sa propre conception, sa perception des choses. Par exemple, Linton Kwesi Johnson2… [NDLR : Il prend cet exemple car nous l’avons évoqué peu de temps auparavant.] Certains ne le comprennent pas mais d’autres au contraire se retrouvent à travers lui. Il ne s’agit pas seulement de la manière dont un artiste nous touche mais de la «communion» avec l’artiste.
Azania Band, Sounds of Selassie, Angola, Jambo…
Perceval Gaillard : Comment le reggae est-il perçu en Afrique du Sud ?
James Mange : En fait, le «système» a créé une situation telle en Afrique du Sud que nombreux sont ceux qui pensent qu’il n’y a qu’une personne qui fait du reggae chez nous. [NDLR : il fait référence à Lucky Dube, icône du reggae sud-africain, assassiné en 2007 dans la banlieue de Johannesburg par des « voleurs ».] Je connaissais très bien Lucky Dube et je ne vais certainement pas dire du mal de lui. C’est un peu comme si l’Afrique du Sud n’avait jamais eu d’autres artistes de reggae… Mais il n’y était pour rien dans cette situation. C’est la musique Kwaito qui est responsable de ce déséquilibre. [NDLR : Née dans les années 90, la musique Kwaito est une variante sud-africaine de la musique house, très populaire auprès de la jeunesse.]
Perceval Gaillard : Il y a pourtant bien d’autres artistes de reggae…
James Mange : Oui, bien-sûr. Des groupes ou des artistes comme Azania Band, Sounds of Selassie, Angola, Jambo (etc.) sont toujours actifs. Mais les nouvelles générations s’intéressent peu à eux.
Les marques sur la peau après un coup de fouet…
Perceval Gaillard : Que s’est-il passé avec le Kwaito ?
James Mange : En fait, nous étions nombreux à jouer du reggae mais, pour la plupart, nous étions en dehors du système. Tu n’entendais certains artistes que si tu allais dans leur quartier. Puis le kwaito a envahi le système. Résultat, peu d’artistes de reggae ont bénéficié d’une promotion internationale.
Perceval Gaillard : Quelles ont été tes premières expériences de musicien ?
James Mange : J’ai commencé à m’intéresser au reggae et à jouer de la guitare dès 1966. Quand j’étais jeune, un musicien de reggae cela ne se trouvait pas facilement. J’ai eu quelques groupes d’adolescents mais les deux groupes les plus importants pour moi ont été : «The Volcanos» et «The Whiplashes» que j’ai formé en prison, en 1980. Oh mon Dieu, quel groupe…
Perceval Gaillard : Pourquoi ce nom ?
James Mange : «The Whiplashes»… Ce sont les marques qui restent sur la peau après un coup de fouet. C’était le manteau que nous fabriquait le «système». Sur mes albums, c’est écrit : «James Mange and The Whiplashes».
Seuls trois ont survécu…
Perceval Gaillard : Que sont devenu les membres de ce groupe ?
James Mange : Certains ont eu des problèmes… Certains étaient avec moi à Robben Island. Un est parti en Irlande. Seuls trois ont survécu… [Son regard se voile… Je sens qu’il faut changer de sujet.]
Perceval Gaillard : Tu milites aussi contre le réchauffement climatique.
James Mange : Oui, je suis engagé, je suis un activiste. Je ne suis pas contre le développement mais il doit être contrôlé, en Afrique comme ailleurs. La situation est préoccupante au niveau mondial : la couche d’ozone est attaquée ; les ouragans sont de plus en plus dévastateurs ; l’Antarctique fond… Tous ces phénomènes sont la conséquence des activités humaines et de la manière dont nous exploitons les ressources de la planète au nom du développement. C’est un problème pour l’humanité entière et il y a de nombreuses victimes.
Le poison vient parfois directement du sol
Perceval Gaillard : L’Afrique paie un lourd tribut face à l’exploitation des ressources naturelles… C’est peut-être sur le continent africain qu’il y a le plus de victimes !
James Mange : Oui, c’est lié à la pauvreté qui touche certains pays. Éthiopie, Biafra… Pourtant, nous avons tout sur ce continent pour nourrir notre peuple.
Perceval Gaillard : Ce n’est pas le cas de l’Europe…
James Mange : C’est bien pour cela que l’Europe vient piller nos richesses : les minéraux, le pétrole, etc. Résultat, le sol est si endommagé que les gens ne peuvent plus en vivre correctement. Ils ne peuvent plus se nourrir eux-mêmes. Beaucoup de maladies en Afrique sont liées à cela. Le poison vient parfois directement du sol, de l’eau qui est toxique aussi…
Perceval Gaillard : À ce sujet, quelle est la situation en Afrique du Sud ?
James Mange : Beaucoup de dégâts ont été causés en Afrique du Sud. Si tu fais le compte de tout ce qui s’est passé entre 1662 et 1994… plusieurs siècles. Et là, cela fait à peine deux décennies que nous essayons de réparer les dommages. Mathématiquement, c’est impossible. [Silence.]
La Réunion te montre ce que l’Afrique devrait être
Perceval Gaillard : Quel regard portes-tu sur La Réunion ?
James Mange : Ah, La Réunion ! C’est… tu vois une couronne ? La Réunion est une minuscule pierre posée sur une grande couronne. C’est le joyau de la couronne africaine. Beaucoup de gens ne la connaissent pas. Ici, je sens une grande énergie qui vient de la terre elle-même. Je connais l’histoire de l’esclavage ; il y a quelque chose de libérateur dans cette île. J’ai beaucoup voyagé et j’ai rencontré des gens et des peuples différents mais je n’ai jamais vu quelque chose de pareil ailleurs. Cela te montre ce que l’Afrique devrait être…
Perceval Gaillard : Que ressens-tu ici ?
James Mange : À La Réunion, le développement humain ne semble pas s’être opéré contre la nature. Dès que tu atterris à l’aéroport, tout ton stress disparaît sans que tu saches pourquoi. Tu t’en aperçois une fois dans la voiture mais tu ne sais pas ce qui s’est passé. Ton corps répond aux vibrations que tu reçois de la terre, de l’air, de la mer…
Perceval Gaillard : Des gens aussi ?
James Mange : Yeah… l’atmosphère est remplie d’ondes positives. Les gens ne vivent pas dans la peur ! C’est comme cela que l’humanité devrait vivre.
Nous sommes les maillons d’une même chaîne
Perceval Gaillard : Tu as rencontré de jeunes Réunionnais. Quel message leur as-tu livré ?
James Mange : Ils ont une responsabilité pour les générations suivantes. En Afrique du Sud, ma génération a pris ses responsabilités pour les générations d’aujourd’hui. Et celles d’avant l’avaient fait pour nous. L’humanité est comme l’ADN : l’un après l’autre, nous sommes les maillons d’une même chaîne. La vie a deux côtés : le positif et le négatif. À 17/20 ans, tu dois être capable de trouver la voie la plus juste. Il y a toujours de l’espoir pour les jeunes, mais cela dépend aussi de ce que nous faisons en tant que parents. Quand j’étais jeune, le monde était complètement différent, donc mon travail consiste à comprendre leur monde et à leur transmettre les choses positives de mon époque. On doit leur donner de l’amour, faire preuve de compréhension, leur garantir le droit de se développer, les éduquer mais plus que tout, nous devons les aimer. L’amour est l’arme la plus puissante de l’humanité.
Quand tu refuses de haïr, tu donnes de l’amour
Perceval Gaillard : Tu parles d’amour… Tu m’as dit qu’en prison, tu ne haïssais pas tes geôliers, ni leurs responsables, ni les blancs car les haïr, c’était se comporter comme eux. Comment as-tu trouvé la force de ne pas céder à la haine ?
James Mange : La force est en toi. L’homme est bien plus qu’un corps physique. L’âme n’est pas sombre, elle flamboie, elle donne, elle brille, elle est libre. Elle est innocente quand elle arrive dans ce corps. Pas de narcissisme, rien de négatif en elle. Tu veux savoir comment j’ai fait pour ne pas céder à la haine par rapport à ceux qui m’ont fait subir ces choses… Alors voilà : j’ai compris que ce n’était pas eux les responsables, mais le système qu’ils servaient. Une fois qu’ils étaient amenés à te côtoyer, ils se rendaient compte que tu n’étais pas différent d’eux. Malgré la propagande qui disait : «ce sont des terroristes, ils ont fait couler le sang», leur bonté commençait à percevoir notre propre bonté et ils comprenaient que l’on partageait les mêmes préoccupations. Le système est ainsi fait que chaque partie qui le compose ne connaît pas les autres. Tu dois être capable de relier les différents points… Cela a transformé beaucoup d’entre eux. Quand tu refuses de haïr, tu donnes de l’amour.
Arrête l’enregistrement…
Perceval Gaillard : Peut-on trouver là l’une des raisons de la chute de l’apartheid ?
James Mange : Les causes de la chute de l’apartheid sont multiples effectivement mais la raison principale est la pression internationale qui venait des quatre coins du globe. Le gouvernement n’avait pas la capacité de résister à telle pression. Personne ne l’aurait pu. Il y avait la France, les Pays-Bas, l’Angleterre, des forces à l’intérieur des États-Unis, le Canada, la Chine… Les pays socialistes ont joué un rôle vraiment crucial. Bon je t’avais dit que je n’aborderai pas ces sujets-là… Arrête l’enregistrement.
Perceval Gaillard : Tu veux que j’arrête d’enregistrer ?
James Mange : [Rires.] Oui.
Perceval Gaillard : Ok James.
Chaque être humain arrive nu sur cette terre
[La pause dure une bonne dizaine de minutes pendant lesquelles il évoque notamment des aspects géopolitiques, la lutte anti-apartheid, etc. Il me rappelle qu’il y a des sujets sur lesquels il ne veut pas s’exprimer publiquement, surtout à l’étranger. Suite à cet échange, je le sens fatigué. Je lui pose alors une dernière question.]
Perceval Gaillard : Quel serait ton dernier message ?
James Mange : Je veux à nouveau m’adresser aux jeunes… Trouvez la mission de votre génération. Choisissez le positif. Ensuite, il vous faudra comprendre votre passé, votre histoire. Cela éclairera votre présent et alors vous saurez où aller. Chaque être humain arrive nu sur cette terre, en ne possédant rien sur le plan matériel. Ni or, ni diamant, ni terre, ni eau… Par conséquent, tu ne peux réclamer ou voler quoi que ce soit sur cette terre. Les ressources naturelles ont été faites pour l’usage de tous alors que tant en sont privés.
Perceval Gaillard : Merci beaucoup James.
[Tous mes remerciements vont vers James, Samuel, Teba, Wakhile, Judah, Khaya, Nathan, Rickie, Damien, Manu et tous les autres…]
Propos recueillis par Perceval Gaillard
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James Mange, the death row fighter
Sentenced to death by the South African authorities in 1979, anti-apartheid fighter James Mange is a death row survivor. Timeless interview with one who sees Reunion as « a tiny stone set on the African crown ».
He remained 12 months on death row… Faced with international pressure, his sentence was commuted to 20 years in prison. Major actor in the anti-apartheid struggle, James Daniel Mange was sentenced to death for « treason » and imprisoned for 14 years on Robben Island where he worked alongside Nelson Mandela, Govan Mbeki, Walter Sisulu… Veteran of the political struggle and army (he was one of the leaders of the armed wing of the ANC), activist musician, « original rastaman », James Mange embodies the conscience of the African continent.
James Mange was in Reunion Island in October 2016, with the formation of reggae Azania Band, at the initiative of Be Wild Production. He went to meet a group of young people in Saint Paul and I was there. Life sometimes offers surprises that turn into a gift. I had heard about the international mobilization that saved his life in 1979. I knew who James Mange was and his place in the history of South Africa. I never imagined meeting him one day.
I offered to do an interview for « 7 waves at Sea », explaining the philosophy of the site. He agreed, but said he would not deal with « too sensitive » political or personal issues. This is why some topics are not mentioned, including its role in the ANC, the current political situation in South Africa or the influence of socialist countries in the fall of apartheid. The exchange lasted forty-five minutes. Immerse yourself in the heart of South Africa, reggae, Rasta spirituality and the philosophy of James Mange.
Perceval Gaillard : Thank you for giving this interview to 7 waves at Sea. Let’s start with childhood. What are the first questions that haunted the child you were ?
James Mange : I grew up like all the South African children of the day, although I was a little different. I did ask myself a lot of questions. When the others were playing football or sitting around the fire to discuss, I preferred to look at the stars and wondered : what keeps them so high, so far ? Why does the moon shine at night and not the day ? I asked myself these kinds of questions.
Perceval Gaillard : Your first steps in the fight with the ANC…
James Mange : I started very young. There was a cell next to where I lived and I remember an old man ; he recruited me with three other young people from the neighborhood.
Perceval Gaillard : The first blow…
James Mange : It was in 1978. The government arrested me and I was sentenced to death in November 1979. I was 24 years old. I then spent a year in Pretoria Central Prison. As a result of the « Free James Mange » international campaign that resonated at the United Nations, the South African government gave up and commuted my death sentence to 20 years in prison. I was transferred to Robben Island Prison and released in 1991. I stayed 14 years behind bars.
Perceval Gaillard : You said that people mobilized around the world to save you because they saw in you first a human being and not just a black fighter for the liberation of the black people…
James Mange : Yes, it must be remembered that the United Nations has recognized the apartheid regime as a crime against humanity. That’s why we had so many international supporters. It was indeed a crime against humanity. When the support campaign for saving my life was launched, it was in this context : to save a member of humanity.
Perceval Gaillard : When one goes through the terrible ordeal of the death sentence, strong relationships are formed…
James Mange : Yes… Many of my friends fell during this time. They were fighting against the army. The target has always been the army and its facilities, not the civilians. We inflicted a lot of damage on the South African army even though it was not mentioned at the time. So yes, when we go through this kind of hardship, the relationships that are made are … hard to explain to someone who did not know that. One becomes companions of struggle ; it is almost stronger than the bonds that unite brothers or members of a family : one belongs to a collective consciousness. In fact, you even become one person in two different bodies.
Perceval Gaillard : Under what circumstances did you become rasta ?
James Mange : In prison. South Africans are very religious. Beyond Christianity, we have always had our own belief system. When I arrived in prison, there was Islam, Christianity … But I was looking for something else, something that speaks to me, that corresponds to what I really am. That’s why I became a rasta. [Silence.] I usually avoid talking about that. [Silence.]
Perceval Gaillard : According to you, what influences can Rastafari spirituality have in the world ?
James Mange : I’m thinking of peace especially. It is a philosophy that takes into account the soul and not the skin color. [Silence.] She stands against injustice and can bring love… which is the essence of who we are, what we do. [Long silence.] It’s a way of living, it’s not something you can talk about and then forget about it… you just have to live it. Before I went to church on Sunday and then I quarreled with everyone about what it meant to be a Christian. With Rastafari philosophy, it’s not only what you say that counts but it’s what you do and your soul is transformed in this process.
Perceval Gaillard : You’re a musician too. Reggae music… What power does music have for you ?
James Mange : Roots reggae music… The power of music ! Music is the most powerful weapon on this earth. It resists bombings, religions, everything that imprisons and corrupts people. It even has the power to transform the most cruel, the most brutal human being. When the heart perceives what is right, the soul accepts it and the rest of the person ends up following. Music does not bother with color, religion, gender, or age. Music touches everyone : child, old man, woman, young.
Perceval Gaillard : How did you discover reggae in South Africa ?
James Mange : It was 1966. Do not forget that when I was young, South Africa was going through a trying time. For the people, access to reggae music was not easy. It was not until 1972 that Jimmy Cliff came on the air and people started listening to reggae. In fact, there were small record stores and if you were part of the underground, you could access the music of Bob Marley, Peter Tosh…
Perceval Gaillard : Burning Spear…
James Mange : Yes. You also had Bunny Wailer [Editor’s note : third historic member of the Wailers] whose message is so powerful… I’m talking about the era of Wailers there. There was also Michael Smith, Toots Hibbert… Today, I love all South African artists. Artists are prophets. Each artist has a message to give. I do not judge the person. I listen to what he can bring to the world.
Perceval Gaillard : Whatever the genre ?
James Mange : Yes. It can be jazz, classical, any kind of music.
[Rickie, keyboard player of Azania, enters the room without knowing we are doing an interview. He talks loudly.]
Perceval Gaillard : Rickie, my brother, we do an interview.
Rickie : Sorry, my friend.
Perceval Gaillard : No problem. You’re okay ?
Rickie : It’s always good when I’m in Reunion.
[He moves away ; the conversation resumes with James.]
James Mange : Artists have this talent : hold knowledge and pass it on. They are a little angels/mediators of God, regardless of the « God ». They are this very pure channel that receives the vibration and spreads the message. I know that sometimes for some, it’s hard to hear them… You know, there are few prophets still alive. Look at Peter, Bob…
Perceval Gaillard : Are the reggae artists, according to you, recognized for their true value ?
James Mange : [Long silence.] It’s complex. As reggae artists, we face a lot of negative energy… Each artist brings his own conception, his perception of things. For example, Linton Kwesi Johnson… [Editor’s note : He takes this example because we mentioned it a short time ago.] Some do not understand it but others on the contrary find themselves through him. It’s not just about how an artist touches us but about « communion » with the artist.
Perceval Gaillard : How is reggae perceived in South Africa ?
James Mange : In fact, the « system » has created such a situation in South Africa that many people think that there is only one person doing reggae at home. [Editor’s note : he refers to Lucky Dube, an icon of South African reggae, murdered in 2007 in the suburbs of Johannesburg by « thieves ».] I knew Lucky Dube very well and I certainly will not speak ill of him. It’s as if South Africa had never had other reggae artists… But there was nothing in this situation. It is the Kwaito music that is responsible for this imbalance. [Editor’s note : Born in the 90s, Kwaito music is a South African variant of house music, very popular with youth.]
Perceval Gaillard : But there are many other reggae artists…
James Mange : Yes, of course. Groups or artists like Azania Band, Sounds of Selassie, Angola, Jambo (etc.) are still active. But the new generations are not interested in them.
Perceval Gaillard : What happened with the Kwaito ?
James Mange : Actually, we were a lot of people playing reggae, but for the most part we were out of the system. You only heard certain artists if you went to their neighborhood. Then the kwaito invaded the system. As a result, few reggae artists have benefited from international promotion.
Perceval Gaillard : What were your first experiences as a musician ?
James Mange : I started to get interested in reggae and playing guitar in 1966. When I was young, a reggae musician was not easy to find. I had a few teenage groups but the two most important groups for me were « The Volcanos » and « The Whiplashes » that I formed in prison in 1980. Oh my God, what a group…
Perceval Gaillard : Why this name ?
James Mange : « The Whiplashes »… These are the brands that stay on the skin after a whiplash. It was the coat we made the « system ». On my albums, it says « James Mange and The Whiplashes ».
Perceval Gaillard : What happened to the members of this group ?
James Mange : Some had problems… Some were with me on Robben Island. One went to Ireland. Only three survived… [His eyes are veiled… I feel that we must change the subject.]
Perceval Gaillard : You also campaign against global warming.
James Mange : Yes, I am engaged, I am an activist. I am not against development but it must be controlled, in Africa as elsewhere. The situation is worrying at the global level : the ozone layer is under attack ; hurricanes are more and more devastating ; Antarctica melts… All these phenomena are the consequence of human activities and the way in which we exploit the resources of the planet in the name of development. It is a problem for all humanity and there are many victims.
Perceval Gaillard : Africa is paying a heavy price for the exploitation of natural resources… It is perhaps on the African continent that there are the most victims !
James Mange : Yes, it’s related to poverty in some countries. Ethiopia, Biafra… Yet we have everything on this continent to feed our people.
Perceval Gaillard : This is not the case of Europe…
James Mange : That’s why Europe is plundering our wealth : minerals, oil, etc. As a result, the soil is so damaged that people can no longer live properly. They can not feed themselves anymore. Many diseases in Africa are related to this. The poison sometimes comes directly from the ground, water that is toxic too…
Perceval Gaillard : On this subject, what is the situation in South Africa ?
James Mange : A lot of damage has been done in South Africa. If you take into account everything that happened between 1662 and 1994… several centuries. And there, it is hardly two decades that we try to repair the damage. Mathematically, it’s impossible. [Silence.]
Perceval Gaillard : What is your view of Reunion Island ?
James Mange : Ah, Reunion ! It’s… you see a crown ? Reunion is a tiny stone placed on a large crown. It is the jewel of the African crown. Many people do not know her. Here, I feel great energy coming from the earth itself. I know the history of slavery ; there is something liberating about this island. I have traveled a lot and met different people and people, but I have never seen anything like it elsewhere. It shows you what Africa should be…
Perceval Gaillard : What do you feel here ?
James Mange : In Reunion, human development does not seem to have worked against nature. As soon as you land at the airport, all your stress disappears without you knowing why. You realize it once in the car but you do not know what happened. Your body responds to the vibrations you receive from the earth, from the air, from the sea…
Perceval Gaillard : People too ?
James Mange : Yeah… the atmosphere is filled with positive waves. People do not live in fear ! This is how humanity should live.
Perceval Gaillard : You met young Reunionese. What message did you give them ?
James Mange : They have a responsibility for the next generations. In South Africa, my generation has taken responsibility for the generations of today. And those before had done it for us. Humanity is like DNA : one after the other, we are the links of the same chain. Life has two sides : the positive and the negative. At age 17/20, you must be able to find the right way. There is always hope for young people, but it also depends on what we do as parents. When I was young, the world was completely different, so my job is to understand their world and to convey to them the positive things of my time. We must give them love, show understanding, guarantee them the right to develop, educate them but more than anything, we must love them. Love is the most powerful weapon of humanity.
Perceval Gaillard : You talk about love… You told me that in jail, you did not hate your jailers, nor their leaders, nor the whites because hating them was to behave like them. How did you find the strength not to give in to hatred ?
James Mange : The strength is in you. Man is more than a physical body. The soul is not dark, it blazes, it gives, it shines, it is free. She is innocent when she arrives in this body. No narcissism, nothing negative in it. You want to know how I did not give in to hate compared to those who made me suffer these things… So here it is : I realized that they were not the ones responsible, but the system that they served. Once they came to you, they realized that you were no different from them. Despite the propaganda that said « they are terrorists, they shed blood », their goodness began to perceive our own goodness and they understood that we shared the same concerns. The system is thus made that each part that composes it does not know the others. You must be able to connect the different points… It has transformed many of them. When you refuse to hate, you give love.
Stop recording…
Perceval Gaillard : Can we find here one of the reasons for the fall of apartheid ?
James Mange : There are many causes of the fall of apartheid, but the main reason is international pressure from all over the world. The government did not have the capacity to withstand such pressure. Nobody could have. There was France, the Netherlands, England, forces inside the United States, Canada, China… The socialist countries played a really crucial role. Well, I told you I will not talk about these things… Stop recording.
Perceval Gaillard : Do you want me to stop recording ?
James Mange : [laughs.] Yes.
Perceval Gaillard : Ok James.
[The break lasts a good ten minutes during which he discusses in particular geopolitical aspects, the anti-apartheid fight, etc. He reminds me that there are subjects on which he does not want to speak publicly, especially abroad. Following this exchange, I feel tired. I then ask him one last question.]
Perceval Gaillard : What would be your last message ?
James Mange : I want to talk to young people again… Find the mission of your generation. Choose the positive. Then you will have to understand your past, your story. This will enlighten your present and then you will know where to go. Every human being arrives naked on this earth, possessing nothing on the material plane. No gold, no diamond, no earth, no water… Therefore, you can not claim or steal anything on this earth. Natural resources have been made for the use of all while so many are deprived.
Perceval Gaillard : Thank you very much, James. [All my thanks go to James, Samuel, Teba, Wakhile, Judah, Khaya, Nathan, Rickie, Damien, Manu and all the others…]
Original Interview in French by Perceval Gaillard
Thank you to Mzansi Reggae for the translation.