Cet homme a survécu à deux bombes nucléaires
«Jamais je n’oublierai / les morts carbonisés / restés assis / sur les banquettes d’un tramway / atomisé d’Hiroshima». 6 août 1945, 8h15 : Tsutomu Yamaguchi est à Hiroshima lorsque la bombe atomique «Little boy» explose. 9 août 1945, 11h : il est à Nagasaki lorsque la bombe atomique «Fat man» explose. Voici l’histoire de cet homme qui a survécu à deux explosions nucléaires.
8h15… soudain un grand éclair inonde l’espace
«Je pensais que le soleil était tombé du ciel». Ce 6 août 1945, Tsutomu Yamaguchi, 29 ans — né le 16 mars 1916 —, entame sa dernière journée à Hiroshima après trois mois de travail sur les chantiers de «Mitsubishi Heavy Industries» en tant qu’ingénieur naval. Il doit prendre le train dans la matinée pour rejoindre Nagasaki où l’attendent sa jeune épouse et leur fils.
«C’était une très belle journée, rien d’inhabituel, témoigne-t-il 60 ans plus tard. J’étais de bonne humeur».
Il se rend d’abord sur le chantier naval pour faire ses adieux à ses collègues. Il marche dans la rue lorsqu’il entend un bruit d’avion. Il est 8h15. Tsutomu Yamaguchi lève la tête et voit quelque chose tomber de l’avion. Deux parachutes s’ouvrent et soudain un grand éclair inonde l’espace.
Il franchit une rivière remplie de cadavres
L’avion bombardier américain B-29 — surnommé «Enola Gay», du nom de la mère du pilote Paul Tibbets — vient de larguer une bombe atomique sur Hiroshima, une ville de 310.000 habitants au Japon. C’est la première fois qu’une bombe atomique est utilisée contre des civils. Elle était baptisée «Little boy».
90.000 personnes succombent instantanément1. 70.000 sont blessées. La ville est détruite à près de 90%.
Tsutomu Yamaguchi est projeté en l’air par le souffle énorme puis il plonge dans un fossé pour se protéger. Il se trouve à 3,2 km du point d’impact. Quand il ouvre les yeux, tout autour de lui est complètement noir. Il est gravement brûlé et ses tympans sont éclatés. Il parvient à rejoindre un abri anti-aérien où il passe la nuit. Le lendemain — 7 août —, il se dirige vers la gare et traverse une ville fantôme : morts-vivants, bâtiments en ruine, corps fondus dans les rues, incendies, carcasses torturées, poussière, gravats. Il franchit une rivière remplie de cadavres, de corps nus et carbonisés. Et parvient à monter dans le train.
11h… soudain une lumière blanche inonde la pièce
Tsutomu Yamaguchi arrive à Nagasaki — 300 kilomètres au sud-ouest d’Hiroshima — le 8 août au matin. Il fait soigner ses brûlures à l’hôpital et rentre chez lui. Ses blessures sont tellement graves sous les bandages que ses proches ne le reconnaissent pas. Il s’effondre sur son lit.
Le lendemain, 9 août 1945, Tsutomu Yamaguchi rejoint son lieu de travail malgré ses plaies et son état de fatigue. Il décrit à son patron et à ses collègues l’effroyable explosion nucléaire d’Hiroshima. Il est 11h et soudain une lumière blanche traverse la fenêtre et inonde la pièce où se trouve Tsutomu Yamaguchi.
L’avion bombardier américain B-29 vient de larguer une bombe atomique sur Nagasaki, une ville de 250.000 habitants. Elle était baptisée «Fat man».
70.000 personnes sont tuées sur le coup.
Tout a disparu autour de lui
Quand Tsutomu Yamaguchi ouvre les yeux, tout a disparu autour de lui : le bâtiment a été pulvérisé, ses pansements et bandages ont été arrachés mais il est vivant. Il se trouve à 3 km du point d’impact. «Je pensais que le nuage du champignon m’avait suivi depuis Hiroshima», confie-t-il plus tard à «The Independent». C’est un survivant. Pour la deuxième fois.
Son épouse et son fils survivent également à l’explosion. Ils se réfugient dans un abri anti-aérien pendant une semaine.
Les cheveux de Tsutomu Yamaguchi tombent, ses brûlures s’aggravent, il est pris de vomissements. Six jours plus tard, le 15 août, l’empereur Hirohito annonce la capitulation du Japon. C’est la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Un sentiment de révolte
Au total, plus de 250.000 personnes sont mortes à Hiroshima et 140.000 à Nagasaki, directement tuées par les deux bombes ou des suites dues aux irradiations. La femme et le fils de Tsutomu Yamaguchi meurent de cancers généralisés, sans doute provoqués par les retombées nucléaires. Sa fille survit.
Mais en 2005, son deuxième fils meurt à son tour d’un cancer généralisé à 59 ans. Tsutomu Yamaguchi a 89 ans et cette nouvelle disparition fait naître chez lui un sentiment de révolte. Alors, il décide de témoigner notamment à travers un livre : «Nagasaki-Hiroshima : deux fois atomisé».
Il écrit également des poèmes, des tankas2, qui seront regroupés après sa mort dans un recueil intitulé «Le camphrier irradié». A travers ses poèmes qui gardent toute leur essence malgré l’étape délicate de la traduction, il évoque la double tragédie d’août 1945 et son élan pour un monde de paix.
Les yeux fatigués de tant fixer un papillon
Pendant cinquante ans
J’ai survécu, atomisé,
à ce monde de rosée
je formule sans cesse des vœux
pour une Terre dénucléarisée
Assis sur mon lit de malade
les yeux fatigués
de tant fixer un papillon
voltigeant dans l’étroit jardin
embrasé d’un soleil intense
Jamais je n’oublierai
les morts carbonisés
restés assis
sur les banquettes d’un tramway
atomisé d’Hiroshima
Extraits de : «Le camphrier irradié»
«J’ai marché et rampé à travers le fond de l’enfer»
Après avoir été exposé par deux fois aux radiations en août 1945, Tsutomu Yamaguchi sera malade tout au long de sa vie. Il décède le 4 janvier 2010 à 93 ans, d’un cancer de l’estomac.
Il était un «hibakusha» [survivant de l’attaque atomique]. Mais un double «hibakusha», le seul officiellement reconnu par le gouvernement japonais3. Peu avant sa mort, il déclarait à la chaîne ABC : «J’ai marché et rampé à travers le fond de l’enfer. Je devrais être mort. Mais c’était mon destin de continuer à vivre».
Sur la tombe de Tsutomu Yamaguchi, une épitaphe indique : «the only man who survived two atomic blasts» [le seul homme qui a survécu à deux explosions atomiques].
7 Lames la Mer
Sources : ibtimes • ripleys • maxisciences • japanfm • Chroniques du siècle • etc.
Réalités émergentes Réunion, Océan Indien, Monde.
Presse, Edition, Création, Revue-Mouvement.
- Une estimation donne une fourchette de 90.000 à 140.000 victimes. Source : Radiation Effects Reasearch Foundation. Cependant, le maire d’Hiroshima, lors d’un discours en 2005, a avancé le chiffre de 237.062 morts.
- Le tanka, petit poème japonais, est considéré comme l’ancêtre du haïku.
- Il semblerait que plusieurs dizaines de personnes aient subi le même sort mais sans que leur statut de double «hibakusha» soit reconnu officiellement. L’écrivain Charles Pellegrino relate leur histoire dans son livre : «Le dernier train d’Hiroshima : les survivants racontent».