3 minutes et 14 secondes de pure émotion. Un document rare (de Rabnass) montre des images…
Minuit : la reine Ranavalona III pleure dans son palais Rova (1)
Dans la nuit du 27 au 28 février 1897, à minuit, l’administrateur des colonies mandaté par le général Galliéni, se présente au palais Rova de la reine Ranavalona III à Antananarivo. La reine pleure… À une heure et demie du matin, il lui donne le bras jusqu’au perron et l’aide à monter dans la chaise à porteur. La reine, sa famille, sa suite, les porteurs et l’escorte forment alors un convoi de plus de sept cents personnes. C’est le début d’un long voyage vers l’exil. À suivre…
1 • Razafindrahety, princesse proclamée reine le 22 novembre 1883, sous le nom de Ranavalona III
Il est généralement admis que la princesse Razafindrahety naquit le 22 novembre 1861 à Amparibé, sur les bords du lac Anosy à Antananarivo1.
Elle était la fille de la princesse Raketaka, elle-même fille du roi Radama 1er et petite-fille d’Andrianampoinimerina, le Seigneur-au-coeur-de-l’Imerne. Son père était Andriantsimianatra, de la lignée d’Ambohimanga.
La princesse Razafindrahety épousa en premières noces, à l’âge de 16 ans, le prince Ratrimoarivony de la lignée d’Ambatomanoina.
Radama II assassiné ?
En 1863, la princesse Rabodozanakandriana, nièce de la reine Ranavalona 1ère, se retrouva veuve à la suite du décès de son mari, le roi Radama II [qui n’aura régné que deux ans, vraisemblablement assassiné]. Elle lui succéda, devenant ainsi la reine Rasoherina.
Elle prit comme premier ministre Rainilaiarivony qu’elle épousa. Le pouvoir fut dès lors partagé entre les andriana, de sang royal, et les hova, représentés par le premier ministre.
C’est ainsi qu’en dépit de la règle d’endogamie2, Rainilaiarivony fut l’époux et le premier ministre de trois reines successives : Rasoherina, Ranavalona II et Ranavalona III, dernière reine de Madagascar.
Il y avait un obstacle : la princesse était déjà mariée…
En 1868, au décès de Rasoherina, sa cousine Ramako — elle aussi veuve de Radama II — prit la succession du trône sous le nom de Ranavalona II. Conformément à la règle établie cinq ans plus tôt, elle épousa le premier ministre Rainilaiarivony. Son règne dura 15 ans.
En 1883, devant la dégradation de l’état de santé de la reine, Rainilaiarivony se mit en quête d’assurer la succession. Pour ne pas déroger à la règle, celle qui serait appelée à monter sur le trône devait nécessairement épouser le premier ministre.
La princesse Rakalobe, arrière-petite-fille du Seigneur-au-coeur-de-l’Imerne, refusa, de même que la princesse Rampelasinoro. Le premier ministre jeta finalement son dévolu sur l’autre arrière-petite-fille du Seigneur-au-coeur-de-l’Imerne, la princesse Razafindrahety. Mais il y avait un obstacle : la princesse était déjà mariée au prince Ratrimoarivony.
Le prince décède une semaine plus tard…
Le premier ministre parvint néanmoins à persuader le jeune prince, âgé de 21 ans, qu’il était gravement malade et qu’il devait garder la chambre.
Le prince décéda une semaine plus tard, en dépit des soins prodigués par le médecin qui avait été choisi par le premier ministre en personne. Son épouse, la princesse Razafindrahety se retrouva veuve à l’âge de 21 ans.
La reine Ranavalona II mourut le 30 juillet 1883. La princesse Razafindrahety fut proclamée reine le jour de son vingt-deuxième anniversaire, le 22 novembre 1883, sous le nom de Ranavalona III. Conformément à la règle, elle épousa le premier ministre Rainilaiarivony, de 33 ans son aîné.
2 • La reine Ranavalona III exhorte son peuple à résister à l’invasion française
Quand la reine Ranavalona III monta sur le trône, son pays était déjà en lutte contre les forces françaises.
De janvier 1882 à juin 1883, François de Mahy, député de La Réunion à l’Assemblée Nationale française — nommé ministre de l’Agriculture, et chargé d’assumer, au mois de février 1883, l’intérim du ministère de la Marine et des Colonies — donna ses instructions au contre-amiral Pierre, dont l’escadre appareilla de Toulon en février 1883, pour venir mouiller en avril devant Nosy-Bé.
La mission de l’amiral Pierre était double : d’une part encourager les populations côtières à résister aux troupes du gouvernement central d’Antananarivo et d’autre part détruire les postes déjà établis par l’armée de la reine. Ce fut le début de la première guerre franco-malgache.
La deuxième guerre franco-malgache
En mai 1883, l’amiral Pierre bombarda et occupa Majunga, sur la côte ouest. En juin de la même année, il bombarda et occupa Tamatave sur la côte est. En décembre 1884, une colonne française écrasa une partie de l’armée malgache à Andreparany, et prit ainsi le contrôle du pays Sakalava. Mais un an plus tard, l’attaque du camp retranché de Farafaty, sur les hauteurs de Tamatave, se solda par un échec pour les troupes françaises.
Le gouvernement français décida alors de négocier : un traité fut signé le 17 décembre 1885, dans lequel Madagascar se voyait imposer — bien que le mot ne fût pas utilisé — un statut de protectorat [impliquant la prise en charge par la France des relations extérieures de Madagascar], assorti du paiement d’une indemnité de dix millions de francs.
En contrepartie, les territoires Sakalava repassèrent sous l’autorité du gouvernement malgache et la reine se vit reconnaître le droit de «présider à l’administration de toute l’île». En 1888, la reine fut même faite Grand-Croix de la Légion d’Honneur.
Le refus du gouvernement malgache
Cela n’empêcha pas la France, six ans plus tard, de revenir à la charge et de proposer au gouvernement malgache un nouveau traité afin d’instaurer un véritable protectorat. Le refus du gouvernement malgache déclencha la deuxième guerre franco-malgache.
Le 12 décembre 1894 vit ainsi la prise de possession de Tamatave par le commandant Bienaimé et le 14 janvier 1895 celle de Majunga.
Au cours d’un grand kabary3, sur la place d’Andohalo, la place de la «pierre sacrée» à Antananarivo, la reine exhorta son peuple à résister face à l’invasion des troupes françaises.
Le 28 juin 1895, le général Rainianjalahy livra la bataille de Tsarasaotra, dans la région d’Ambositra.
3 • Le signal de la révolte est donné le jour du Fandroana, la fête du Bain de la Reine, le 20 novembre 1895
Une colonne française partit de Majunga, sous le commandement du général Duchesne, en direction d’Antananarivo. L’armée malgache, forte de 45.000 hommes, ne parvint pas à stopper l’avance des troupes françaises, et le 30 septembre 1895, le général Duchesne investit la capitale.
Le premier ministre, Rainilaiarivony, capitula. Il fut destitué le 15 octobre 1895, puis exilé à Alger le 6 février 1896, où il mourut cinq mois plus tard, le 17 juillet 1896, à l’âge de 68 ans, dans des circonstances qualifiées de «mystérieuses».
La reine Ranavalona III se retrouva veuve pour la seconde fois. Elle avait 35 ans.
Sous la contrainte, Ranavalona III reconnaît la prise de possession de Madagascar par la France
Le 1er octobre 1895, fut signé un nouveau traité franco-malgache qui stipulait : «Le Gouvernement de sa Majesté la reine de Madagascar reconnaît et accepte le protectorat de la France avec toutes ses conséquences».
Trois mois plus tard, le 18 janvier 1896, le Résident Général Hippolyte Laroche contraignit Ranavalona III à signer une déclaration reconnaissant la prise de possession de Madagascar par la France.
Duchesne procéda à la nomination d’un nouveau premier ministre, en la personne de Rainintsimbazafy, en remplacement de Rainilaiarivony.
La reine prisonnière dans son propre palais
Ces dispositions furent perçues comme une atteinte à la souveraineté malgache, la reine étant, de fait, prisonnière dans son propre palais.
Ce fut le début de la révolte dite des Menalamba, les «toges rouges», à cause de la couleur rouge des lamba que portaient les insurgés, pour passer inaperçus sur les terres rouges de l’Imerina.
Le signal de la révolte fut donné le jour du Fandroana, la fête du Bain de la Reine, le 20 novembre 1895. En 1896, la rébellion gagna une grande partie du pays. Suite au vote de l’Assemblée Nationale française, le Président Félix Faure proclama, le 6 août 1896, Madagascar «colonie française».
Galliéni fit enlever les drapeaux malgaches dans tout le pays…
Quatre jours plus tard, le général Joseph Galliéni4 fut nommé commandant supérieur des troupes de Madagascar avec les pleins pouvoirs5.
Il entra dans Antananarivo le 15 septembre 1896, et succéda à Hippolyte Laroche comme gouverneur général de Madagascar.
La destitution
Le général Galliéni fit dire à la reine qu’elle était désormais «sujet français» et qu’elle devait, en tant que telle, venir présenter ses respects au représentant de la France, ce qu’elle fut contrainte de faire, précédée du drapeau français.
Il lui fut interdit de porter le titre de «Reine de Madagascar», que Galliéni remplaça par celui de «Reine des Hova». Galliéni fit en outre enlever les drapeaux malgaches dans tout le pays.
4 • La reine, sa famille, sa suite, les porteurs et l’escorte forment un convoi de plus de 700 personnes
Dans l’entourage immédiat de la reine, les exécutions et les déportations se succédèrent : le 15 octobre 1896, le général en chef de l’armée malgache, Rabezandrina Rainandriamanpandry, ainsi que l’oncle de la reine, le prince Ratsimamanga, furent fusillés par un peloton de tirailleurs sénégalais.
La reine pleurait…
Par arrêté du 28 février 1897, Galliéni prit l’initiative [apparemment sans en référer au gouvernement français] d’abolir la royauté et publia la proclamation suivante :
«Au peuple d’Emyrne6
Depuis que le gouvernement de la république a déclaré Madagascar colonie française, la royauté est devenue inutile en Emyrne. J’ai donc invité la reine à résigner ses fonctions et, sur sa demande, je l’ai autorisée à se rendre à l’Ile de La Réunion, où elle recevra l’hospitalité la plus large des autorités françaises».
Les dernières heures de la reine dans son palais
En réalité, c’est par surprise que la reine, dans la nuit du 27 au 28 février 1897, apprit sa destitution et son exil.
Alfred Durand, administrateur des colonies, a relaté les dernières heures de la reine dans son palais, ainsi que son long voyage d’exil jusqu’au port de Tamatave, puis de Tamatave au port de la Pointe-des-Galets à La Réunion.
Mandaté par le général Galliéni pour accompagner la reine, l’administrateur se présenta au palais à minuit. La reine pleurait. Il lui donna le bras jusqu’au perron et l’aida à monter dans la chaise à porteur.
Le départ eut lieu en pleine nuit, à une heure et demie du matin. La reine, sa famille, sa suite, les porteurs et l’escorte formaient un convoi de plus de sept cents personnes.
A suivre…
Lire la suite : La «Petite fille du Bon Dieu» au cimetière de Saint-Denis (2)
Jean-Claude Legros
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Biographie d’une reine contrainte à l’exil
«Ranavalona III, dernière reine de Madagascar», biographie d’une reine contrainte à l’exil, par Jean-Claude Legros, Editions Poisson Rouge, 2018 /
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- Selon Alfred Durand, administrateur des colonies, elle serait née au mois de mai 1862.
- Obligation de se marier à l’intérieur de son propre groupe social.
- Kabary : discours (en malgache).
- Joseph Galliéni (24 Avril 1849 – 27 mai 1916), gouverneur général de Madagascar et dépendances de septembre 1896 à novembre 1905.
- Après la guerre de 1870 Galliéni avait entamé une carrière militaire coloniale d’abord à La Réunion, où il passa 3 ans, puis au Sénégal, au Mali, en Martinique et en Indochine.
- Emyrne : nom français de l’Imerina.