«Quelle était la norme que ce taciturne paraissait sans fin ruminer ? Une nostalgie peut-être, la…
Madoré live 72 : comme si vous y étiez
Le samedi 26 février 1972, Madoré se produit au cours d’une soirée à La Montagne. A cette occasion, Jean-Claude Legros réalise un enregistrement qui sera utilisé 20 ans plus tard par le PRMA pour le CD «Henri Madoré, le dernier chanteur de rue», collection Takamba. Récit de cette soirée hors norme.
Le samedi 26 février 1972, Madoré est invité à La Montagne. Au 8ème kilomètre, il faut emprunter un escalier qui descend en pente raide. En bas, une petite maison en bois sous tôle. Ils sont une soixantaine, réunis là, à attendre le chanteur.
La pièce principale a été vidée et transformée en cabaret : d’un côté les chaises pour le public, de l’autre les micros et le matériel d’enregistrement.
Face à son magnétophone, Jean-Claude Legros, casque sur les oreilles, est prêt à enclencher les touches PLAY et RECORD. Deux micros sont installés, un pour la voix, l’autre pour la guitare. Jean-Claude Legros enfonce les deux touches…
— Il gratte sa guitare depuis plus de 20 ans dans les rues de Saint-Denis pour les passants. C’est un plaisir pour moi que de vous présenter ce soir Henri Madoré !
Celui qui introduit Madoré dans la plus pure tradition du music-hall n’est autre que Gora Patel qui rêve déjà de faire de la radio et de devenir journaliste.
Cette soirée revêt un caractère historique. L’enregistrement du récital de Madoré effectué à cette occasion par Jean-Claude Legros sera utilisé 20 ans plus tard par le PRMA1 pour la réalisation du CD «Henri Madoré, le dernier chanteur de rue», collection Takamba.
7 Lames la Mer vous invite à revivre cette soirée à travers le récit de Jean-Claude Legros.
Nathalie Valentine Legros
Lunettes noires pour nuit blanche
26 février 1972 : encore une date que les écoliers devront se coltiner entre 1515, 1789, 1848, 14-18, 39-45 et 1946. 1972 : l’âge d’or des mini-cassettes audio, des cartouches, des 33 tours et des 45 tours [pas de smart-phones, pas de PC ni de tablettes, pas de CD ni de DVD, pas de clés USB ni de cartes SD].
Quelques jours auparavant, mon ami Gora et moi avions déjà «réservé» Henri Madoré. Dans la matinée du 26, rue Malartic, nous vérifions que le rendez-vous tient toujours. Madoré en profite pour nous faire valoir qu’il n’a plus de lunettes de soleil [bien que le concert soit programmé à la nuit].
Madoré est toujours très soucieux de son look. Un peigne est en permanence dans sa poche de chemise : à intervalles réguliers, Madoré se file un coup de peigne pour bien lisser sa chevelure vers l’arrière. Direction la rue du Maréchal Leclerc [ex-rue du Grand-Chemin] pour dénicher dans un magasin «zarabe» la paire de lunettes [pas trop chère] qui conviendra à l’artiste.
Un Philips Hi-Fi 4 pistes
Je ne sais plus qui a voituré le soir Madoré et sa guitare de la rue Malartic au 8ème km de la Montagne. Si c’était Gora, il mérite toute notre compassion. Ce n’est pas de tout repos que de trimballer Madoré en voiture.
[Anecdote : entre Saint-Denis et Saint-Pierre, après vous avoir félicité pour le tableau de bord de votre voiture qui «ressemble à Air France» [Madoré est déjà allé à Maurice], il est capable, alors que l’on roule à plus de 130 km/h [il n’y avait pas encore de limitation de vitesse à l’époque], d’ouvrir la portière arrière [pour cracher ?], sans vous prévenir.]
Au 8ème km, la soirée «privée» s’organise : maison en bois sous tôle, avec cloisons en bagapan, conditions idéales pour une bonne acoustique. Je dispose mes deux micros, l’un pour le chanteur, l’autre pour la guitare. Les enceintes sont en retrait, toujours se méfier des tours que peut vous jouer le malicieux Larsen. L’appareil d’enregistrement est un magnétophone Philips Hi-Fi 4 pistes. J’enregistre en 19,5 cm/seconde, la vitesse professionnelle [à RFO le «39» est réservé à la musique classique].
Comme un vrai «slameur»
La soirée commence, présentée par Gora Patel : Madoré est en pleine forme, il est pour l’instant à jeun. Il chante, joue de la guitare, fait la trompette avec sa bouche [comme Brassens].
Il enchaîne son répertoire, s’amusant de temps en temps [volontairement ou pas] à improviser les paroles, comme un vrai «slameur» ou à mélanger les couplets de ses chansons.
Ne lui demandez pas — par ignorance — de chanter «Madina» ou «Voleur canard», il vous dira, en toute humilité : «Sa la pas mon composition !».
Madoré était un homme mystérieux…
Le récital de Madoré est en deux parties. L’artiste a besoin de se reposer, de se sustenter, de se rafraîchir le gosier. Mais son dalon ne s’appelle pas «modération», c’est le moins que l’on puisse dire !
Dans la deuxième partie, ça s’emballe un peu, il y a de l’ambiance : les spectateurs reprennent les refrains de Madoré en chœur, un autre chanteur fait la deuxième guitare, un autre l’accompagne au tambourin. S’il gagne en couleurs, l’enregistrement perd un peu en clacissisme sur la fin.
Le «tour de chant» de Madoré est terminé. On passe la quête auprès des invités. Ils sont contents, ils sont généreux. Madoré empoche prestement pièces et billets et demande à l’assistance si quelqu’un peut le déposer au Port. Ce qui fut fait, on me l’a confirmé. Madoré était un homme mystérieux, on n’a jamais su chez qui il a fini la nuit.
Jean-Claude Legros
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