I joué pas dann canne !

Du temps que j’étais écolier, comme disait Alfred1, je jouais aux cartes pendant les vacances. C’était à l’Etang-Salé-les-Hauts, entre ravine et butte de sable [butte qui entre-temps a été comblée, arasée, bitumée, bétonnée] : on jouait à la fouille, à la menterie, n’importe où, dans la case, ou dehors assis sur un galet, sur le sable ou dans les cannes.

'Les Joueurs de cartes', Paul Cézanne.
‘Les Joueurs de cartes’, Paul Cézanne.

Le sous-entendu était clair…


A force de jouer en extérieur, sans le confort d’une table et de bancs, on prend l’habitude de distribuer les cartes de la main à la main…

Plus tard, je me suis remis aux cartes : belote, belote bridgée, tout-at’/sans-at’, poker. On y jouait autour d’une table, confortablement assis dans des fauteuils. Alors je me suis rendu compte que j’avais gardé l’habitude de distribuer les cartes de la main à la main, au point de me voir opposer une péremptoire fin de non-recevoir : «i joué pas dann canne !».

Le sous-entendu était clair : «i joué pas dann canne comme bann yabe dans les hauts». Les cartes, ça se dépose sur la table devant le joueur, afin d’éviter toute manipulation malencontreuse.

Variation sur la 'Création d'Adam', Michel-Ange.
Variation sur la ‘Création d’Adam’, Michel-Ange.

De la main à la main


Je repense à cette injonction à chaque fois que je passe à la caisse d’une grande, moyenne ou petite surface, boulangerie, station-service ou camion-bar, j’en passe et des meilleurs !

Si vous réglez par carte bancaire, la question ne se pose pas, mais si vous réglez en espèces, attendez-vous à ce que l’hôtesse de caisse vous refile confidentiellement, de la main à la main, un bouchon informe de billets de banque et de pièces de monnaie. Impossible en l’occurrence de vérifier le montant de votre monnaie, il faut faire confiance ! Impossible de vérifier si des pièces de 10 bath ont pu se faufiler dans le tas [en lieu et place de pièces de 2 euros], les gens attendent derrière !


Mais on persistera à jouer dans les cannes !


Et pourtant nombre de commerces sont équipés, au niveau de la caisse, d’un petit plateau métallique destiné à recevoir les espèces papier ou métal du client comme du commerçant. Mais pratiquement personne ne s’en sert. De ce point de vue, le client est lui aussi quelque peu désinvolte : combien j’en vois jeter négligemment sur le tapis roulant un billet entortillé, froissé ou plié en huit ! La caissière est bien gentille de s’appliquer à déplier ou à défroisser le billet [des fois qu’il serait faux, taché ou déchiré] alors qu’elle serait en droit de demander au chaland de le faire lui-même.

Il y a pourtant une technique pour rendre la monnaie de façon simple et facile. Pas de soustraction complexe à effectuer : si par exemple un client paye avec un billet de 50 euros des achats se montant à 38 euros, la caissière n’a aucun calcul à faire ; il lui suffit de compléter au fur et à mesure la somme de 38 euros pour atteindre les 50 euros remis : 38 euros plus 2 euros égalent 40 [elle dépose deux pièces d’un euro], plus 10 euros qui font 50 [elle dépose un billet de 10 euros]. Et voilà, c’est simple et sans bavure : le client peut ainsi vérifier sans effort le montant de la monnaie qu’on lui remet ainsi que son authenticité.

Mais je ne me fais pas d’illusions : on persistera à jouer dans les cannes !

Marcel Picard


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  1. Alfred de Musset.