Massalé requin : la dangereuse recette de Pépé José !

Oté, Pépé José gardait jalousement au secret sa recette du massalé requin. Mais avant de passer l’arme à gauche, il a légué son savoir-faire que 7 Lames la Mer a décidé de partager.

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Requin pêché au Barachois.

Un attroupement sur le rivage indiquait que l’océan avait réservé une surprise aux pêcheurs


Ventre à terre, la rumeur s’était propagée depuis le Barachois, avait longé le bord de mer et bifurqué dans la rue des Limites pour venir mourir devant le barreau de Pépé José.

— Totoche !

Pépé José n’avait rien dit de plus. Donné aucune explication. Une petite pièce avait récompensé le messager à bout de souffle que Mémé Rose, intriguée, interrogeait du regard. Mais la pièce, c’était aussi pour qu’il se taise.

Pépé José avait de suite cueilli son chapeau et son panier au passage et s’était précipité vers la rue des Limites, plongeant en direction du bord de mer. Il était temps : un attroupement sur le rivage indiquait que l’océan avait réservé une surprise aux pêcheurs et les curieux s’agglutinaient autour des héros du jour : ceux qui venaient de ramener sur les galets chauds un requin ! Une bête d’une dimension impressionnante qui allait bientôt être débitée mais qui pour l’heure était en attente de «Monsieur le photographe» !

Le massalé
Le massalé.

Mémé Rose se précipite vers son flacon de Pompéïa pour combattre l’odeur de cru qui s’élève


Pépé José avait lancé les négociations. En connaisseur et en terrain complice. Les héros du jour n’étaient autres que ses fournisseurs habituels, fiers d’être les pourvoyeurs de poissons pour un cuisinier si «dangereux» qui avait la réputation de ne jamais divulguer ses secrets. La transaction se fera sur le mode troc : un bon quartier de requin en échange d’une poule que Pépé José sera chargé de tuer et déplumer. Marché conclu. Tapes dans le dos et clin d’oeil.

Lorsque Pépé José rentre à la case avec son panier qui pue la mer et le sang, laissant derrière lui une traînée que les chiens maigres suivent à la trace, Mémé Rose se signe à son passage et se précipite vers son flacon d’essence Pompéïa pour combattre l’odeur de cru qui s’élève.

— Jésus Marie Joseph !

La porte de la cuisine se referme sur Pépé José dans un claquement qui en dit long sur son état d’esprit… Défense d’entrer ! L’urgence est de mettre le morceau de requin à macérer.

Épluché et passé sous le robinet, le requin est ensuite débité en tranches qui atterrissent dans un plat creux avec un filet d’huile, deux bonnes rasades de vinaigre, du thym et du poivre écrasés, et une poignée de gros sel. Pépé José mélange le tout directement avec ses mains et recouvre le récipient d’un torchon.

— Il faut laisser macérer pendant deux bonnes heures…

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Halte chez Monsieur Loa-Ping, histoire de prendre connaissance des derniers ladilafé


Le temps de faire un saut au petit marché pour s’approvisionner : tomates, oignons, ail, piments, gingembre… La rumeur est arrivée jusqu’aux bazardiers qui commentent avec force détails la pêche miraculeuse du matin. Pépé José vérifie que l’étal du poissonnier ne comporte aucune trace de cette fameuse pêche et, fier du lui, fait une halte chez Monsieur Loa-Ping, histoire de se rincer le gosier et de prendre connaissance des derniers ladilafé [commérages].

Dans la buvette du vieux Chinois, les conversations arrosées de rhum tournent autour de l’exploit du jour, du « monstre de la mer » et des pêcheurs auréolés de gloire. Pépé José y va de son commentaire, histoire de faire savoir à l’assemblée qu’il s’apprête à accommoder un bon morceau du monstre en question.

Tout l’art de Pépé José consistait à déblatérer sur le sujet sans jamais livrer ses secrets de cuisinier réputé. Ses camarades de buvette attendaient avec impatience de savoir lesquels d’entre eux seraient conviés au festin.

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Pépé José, bras en croix, tel un chef d’orchestre prêt à donner le signal


Retour dans la cuisine. Re-porte-qui-claque. Re-défense-d’entrer.

Il s’agit maintenant de préparer les épices : hacher les tomates (5 à 6 bien mûres), les oignons (3 à 4 selon la grosseur), faire griller à la poêle une douzaine de gousses d’ail.

La poêle servira ensuite à griller les épices mélangées (2 ou 3 clous de girofle, grains de moutarde, de vendion et de poivre, cumin) qui seront après écrasées dans le pilon avec du gingembre, du piment (10), de l’ail et une pincée de sel.

— Les choses sérieuses peuvent commencer, murmure Pépé José, bras en croix, tel un chef d’orchestre prêt à donner le signal.

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La danse de la spatule dans la marmite


La marmite est mise au feu avec une bonne rasade d’huile. Une fois l’huile bien chauffée, Pépé José y jette une belle pincée de cumin, une quinzaine de graines de vendion, quelques grains de moutarde et une belle branche de Kaloupilé. Avec une spatule en bois, il remue pour bien mélanger les épices et ajoute les oignons (3 à 4) hachés et la douzaine de gousses d’ail précédemment grillées.

La spatule reprend sa danse dans la marmite tandis que Pépé José perçoit à travers la porte l’entêtante odeur d’essence Pompéïa de Mémé Rose qui se demande encore ce que son cuisinier de mari est en train de concocter en secret.

« C’est maintenant qu’il faut verser dans la marmite les épices grillées et pilées, les tomates hachées et un soupçon de safran », chuchote Pépé José s’adressant à un apprenti cuisinier imaginaire.

Le 'safran'
Le ‘safran’.

L’odeur incomparable de la magie créole emplit la petite cuisine


La spatule s’agite, tape et racle le fond de la marmite pour mélanger le tout : l’odeur incomparable de la magie créole emplit la petite cuisine et éloigne définitivement celle de Pompéïa. Pépé José se fige et tend l’oreille pour écouter le roucoulement de la cuisson. Au bout d’un quart d’heure de méditation, Pépé José incorpore 5 cuillères à soupe de la précieuse poudre brune et odorante : le massalé ! Et verse un demi verre d’eau dessus avant de touiller avec la spatule et de se servir un bon coup de sec !

« Il faut laisser mijoter encore une dizaine de minutes, en remuant délicatement de temps en temps, en ajoutant un peu d’eau si nécessaire… Tout est dans le dosage», précise Pépé José à son fantôme d’apprenti cuisinier qui reste muet devant tant de science.

C’est alors que Pépé José s’empare du récipient creux dans lequel les tranches de requin ont mariné depuis deux bonnes heures… Pour enlever le surplus de gros sel, il rince les tranches avec précaution sous un filet d’eau claire et les dépose dans la marmite, remuant un peu sur les côtés pour que la sauce recouvre bien le requin… Quelques minutes, avant de retourner les tranches pour que les deux côtés soient bien cuits.

Le hachoir de Pépé José et son verre pour le coup de sec
Le hachoir de Pépé José et son verre pour le coup de sec

Et ton secret, Pépé José ?


Du bout de la spatule, Pépé José avait alors recueilli un peu de la sauce fumante, qu’il avait déposé dans le plat de sa main pour vérifier le goût. Le claquement de langue qui s’ensuivit indiquait que le résultat était conforme à ses attentes. « Encore sept minutes de cuisson, pas plus ! »

Au bout du temps réglementaire, d’un air satisfait, Pépé José avait alors ôté la marmite du feu, concluant, dans un murmure grognon : « mon conseil, c’est de verser juste avant la fin de la cuisson un peu de jus de tamarin sur la préparation… »

Et ton secret, Pépé José ? « Frotter les tranches de requin avec une rondelle de citron avant de les mettre à cuire… »

7 Lames la Mer


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