Mystérieux essai nucléaire dans l’Océan Indien

Que s’est-il passé au petit matin du 22 septembre 1979, à plus de 3.000 kilomètres des côtes réunionnaises, dans le secret des mers glaciales autrefois découvertes par Joseph Marion-Dufresne et son second Julien Crozet ?

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La Maison-Blanche dissimule «l’incident»…


Le 22 septembre 1979, un satellite américain lancé dans le cadre du projet «Vela» — un dispositif initié en 1963 pour détecter depuis l’espace les manifestations d’activités nucléaires illégales à la surface du globe — enregistrait un double flash, caractéristique d’un test atomique, quelque part entre les îles françaises de Crozet et l’archipel sud-africain des Marion.

Signe de son «empêtrement» croissant dans la brouillonne et contradictoire politique internationale d’apaisement [appeasement] vis-à-vis du monde communiste, la Maison-Blanche prit le parti de dissimuler «l’incident» à l’opinion publique.

La tentative fit long feu : trois jours plus tard, les faits étaient révélés par le journaliste John Scali, un ancien diplomate qui avait joué un rôle non négligeable lors de la crise des missiles cubains.

Marion island
Marion island.

Dysfonctionnement ou phénomène climatique…


L’annonce d’un essai nucléaire clandestin ne pouvait plus mal tomber pour Jimmy Carter, candidat à sa propre réélection et engagé dans une campagne axée sur le succès de la politique de non-prolifération nucléaire menée par son administration.

Engageant un véritable bras de fer avec les experts militaires, celle-ci s’efforça d’imputer le signal capté par le vieux satellite à un dysfonctionnement ou à un phénomène climatique exceptionnel.

Réunis dans une commission scientifique ad hoc sous la houlette de l’ingénieur Jack Ruina, les « hommes du Président » conclurent à la fin de l’année 1980 que « l’origine nucléaire » du double flash « ne pouvait être démontrée ».

Jimmy Carter
Jimmy Carter

Bombe atomique… ou bombe à neutrons


Le rapport Ruina ne tenait néanmoins aucun compte des travaux établissant l’origine nucléaire de « l’incident », menés l’année précédente par les chercheurs de l’US Navy et du Conseil de sécurité des États-Unis dirigés par le scientifique Alan Berman.

Un parti-pris sèchement commenté par ce dernier dans une interview au «Washington Star» : «si la Maison-Blanche veut jouer à qui pisse le plus loin, cela ne m’intéresse pas». Si elle ne fait toujours pas consensus au sein de la communauté scientifique, l’hypothèse d’un test atomique est corroborée par plusieurs études comparatives menées depuis 1979.

Elle fut aussi — fort discrètement — appuyée par les autorités sud-africaines elles-mêmes : publiquement, Prétoria évoquait la thèse de l’explosion d’un sous-marin soviétique tenue secrète par Moscou.

Le son de cloche était bien différent dans les milieux diplomatiques, où les ambassadeurs de la RSA1 laissaient entendre que les forces armées sud-africaines avaient fait exploser une bombe atomique — et peut-être même une bombe à neutrons.

Vue d'artiste du satellite Vela en orbite.
Vue d’artiste du satellite Vela en orbite.

«L’incident de Vela»…


Adressé à un partenaire américain de plus en plus enclin à « lâcher » l’apartheid, ce bluff n’a guère été pris au sérieux par les États-Unis : dès le 27 septembre, Jimmy Carter faisait état dans son journal de bord — publié en 2010 — d’une conviction croissante des milieux scientifiques vis-à-vis de la nature militaire de «l’incident de Vela» et de l’identité de son auteur : Israël.

Dans un ouvrage intitulé «the Unspoken Alliance», le journaliste Sasha Polakow-Suransky a retracé l’étonnant itinéraire du partenariat nucléaire secret entre l’Afrique du Sud de l’Apartheid et le l’État hébreu, engagé à la fin des années 1960.

Une intrigue historique paradoxale mêlant trafics, échanges de technologies et… safaris, qui conduisit des cadres afrikaners, antisémites déclarés, à travailler avec des agents israéliens dont certains avaient eu violemment maille à partir avec des officiers sud-africains racistes pendant la Seconde guerre mondiale.

En 1976, l’Afrique du Sud supprima les restrictions, assorties d’un droit d’enquête et d’inspection, qui limitaient au domaine civil l’uranium que le pays vendait à Israël. En contrepartie du «yellow cake», Tel-Aviv s’engageait dans la voie d’un transfert des technologies nucléaires dont elle avait bénéficié de la part des Anglais et des Français dès les années 1950.

Satellite Vela
Satellite Vela

Le secret des eaux lointaines et glaciales…


L’Afrique du Sud offrait aussi à l’État hébreu, confiné entre des puissances ennemies résolument attachées à sa destruction, l’espace nécessaire aux indispensables tests : le test secret dans le ciel de la RSA du missile balistique intercontinental «Jericho II» en 1982 fut ainsi l’un des temps fort du programme atomique israélo-sud-africain.

La même année, l’Afrique du Sud se dotait de sa première bombe à l’uranium enrichi — le pays détruisit son arsenal nucléaire après la chute de l’apartheid. En 1979, Israël était le seul protagoniste de cette association secrète en mesure de procéder à un essai nucléaire.

L’État hébreu a-t-il utilisé le secret des eaux lointaines et glaciales appartenant à son infréquentable allié dans le but de tester ces armes ?

La thèse est accréditée par le travail de Seymour Hersh, cinq fois lauréat du prestigieux «Polk Award» et Pulitzer 1970 pour sa révélation du massacre commis par l’armée américaine à My Lai [Vietnam].

Auteur d’un ouvrage consacré à l’«option Samson» — c’est le nom de code, lourd de sens, donné à l’éventualité d’un usage désespéré du feu nucléaire en Terre Sainte — le journaliste d’investigation a recueilli les confidences de militaires israéliens.

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La tempête pour dissimuler la «signature»


Selon ces sources, Israël aurait procédé à trois tests à proximité des îles Marion, grâce à l’assistance matérielle de l’Afrique du Sud : «au moins deux navires israéliens s’étaient préalablement rendus sur le site, en compagnie d’une équipe de spécialistes du nucléaire», rapporte Hersh. Sud-Africains et israéliens auraient « observé » les essais, réalisés en pleine tempête afin de dissimuler la «signature».

Le dernier essai aurait été repéré du fait d’une accalmie inattendue… Trente-neuf ans plus tard, il n’est plus question de programme nucléaire sud-africain ; Israël disposerait de son côté de 200 armes nucléaires, mais n’évoque l’existence de cet arsenal qu’au travers d’une retenue calibrée au millimètre près par le jeu diplomatique.

Le Grand Océan garde encore sa part de mystère…

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