La bohème créole de Rimbaud : invitation au vavangage

«Ma bohème» d’Arthur Rimbaud en créole réunionnais, cela donne «Vavangage». Une invitation au voyage sur le mode «fugue de mineur»… Hommage au poète né le 20 octobre 1854.

1) Arthur Rimbaud, 17 ans. Portrait photographique, Etienne Carjat, 1871. ©Musée Arthur Rimbaud, Ville de Charleville-Mézières. 2) Oeuvre d'Ernest Pignon-Ernest.
1) Arthur Rimbaud, 17 ans. Portrait photographique, Etienne Carjat, 1871. ©Musée Arthur Rimbaud, Ville de Charleville-Mézières. 2) Oeuvre d’Ernest Pignon-Ernest.

Cette photo a bien failli ne jamais arriver jusqu’à nous…


Ce célèbre portrait d’Arthur Rimbaud à 17 ans est l’œuvre du photographe Étienne Carjat (1828-1906). Déclinée sur tous les supports imaginables — couvertures de livres, cartes postales, affiches, art urbain, pochoirs, coques pour smartphone, tee-shirts, tasses, porte-clés, coussins… — cette célèbre photo, entrée dans l’iconographie populaire, a pourtant bien failli ne jamais arriver jusqu’à nous.

«Carjat a malheureusement détruit les plaques originelles pour se venger d’un affront public — une attaque à la canne-épée — que lui avait fait subir le jeune poète», apprend-on dans un livret du «Musée Arthur Rimbaud» de Charleville-Mézières.

Arthur Rimbaud par Paul Verlaine.
Arthur Rimbaud par Paul Verlaine.

«17 ans, l’âge des espérances et des chimères»


1870 est une année importante dans le cheminement rimbaldien. Arthur a 16 ans. Au mois de mai, il rédige une lettre à Théodore de Banville : «j’ai presque 17 ans, l’âge des espérances et des chimères»… Il nourrissait une profonde admiration pour les Parnassiens.

Il a 16 ans lorsqu’il écrit «Ma bohème». C’est aussi à 16 ans qu’il fugue pour la première fois, le 29 août 1870. «Il veut aller à Paris. Est arrêté à la gare et ramené de force chez lui. Il réessaie autant de fois qu’il faut pour atteindre enfin la capitale»1.

Musée Arthur Rimbaud, Charleville-Mézières. Photo : Jean-Claude Legros.
Musée Arthur Rimbaud, Charleville-Mézières. Photo : Jean-Claude Legros.

Hommage à Rimbaud en créole réunionnais


Selon une autre source2, au cours d’une de ses fugues vers Paris, le jeune poète est arrêté à la descente du train pour «défaut de paiement du billet sur l’intégralité du parcours. Il fut consigné à[la prison de]Mazas. Au bout de huit jours de prison, il appela son maître Georges Izambard au secours. Libéré, il se rendit à Douai auprès de son sauveur»…

À la différence de Baudelaire, Rimbaud n’a pas foulé le sol réunionnais. C’est pourtant indirectement de cette île de l’océan Indien qu’il tirera une partie de l’inspiration pour l’écriture de son «Bateau ivre»3. Et c’est en créole réunionnais que nous lui rendons hommage à travers une traduction de «Ma bohème» par Jean-Claude Legros : invitation au «Vavangage»…

7 Lames la Mer


'Ma Bohème' par Jean-Paul Surin.
‘Ma Bohème’ par Jean-Paul Surin.

Vavangage

Et moin té sar vangué, mon main dann poche percé
Jusqu’à mon vesse paletot té ressanm pu rien
Mais reusement ou té là, ô Muse, pou guide amoin
Toute qualité l’amour moin la connu rêvé !

Cabaye té boutonne pu, mon culotte té troué
Comme inn Ti-Jean poète, moin té fane dann chemin
Mon bann rime. Moin té dort l’hôtel la Voie Lactée
En-l’air là-bas dann ciel, zétoile té veille su moin.

Et le soir en septanm, assise su le bord la route
Moin té écoute la nuite. Moin té sent deux-trois goutte
La rosée su mon front comme in lespèce liqueur.

Dann fénoir, dann clair-de-lune, mon rime té vagabond
Comme su la corde in bobe, moin té tape sul cordon
Mon soulier casse-cassé, in pied côté mon coeur.

Adapté par Jean-Claude Legros en créole réunionnais
d’après «Ma bohème» d’Arthur Rimbaud

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Ma bohème

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Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !
Mon unique culotte avait un large trou.
Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande Ourse.
Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur !

Arthur Rimbaud, 16 ans
Écrit en 1870


A lire aussi :


Réalités émergentes Réunion, Océan Indien, Monde.
Presse, Edition, Création, Revue-Mouvement.

  1. Livret du «Musée Arthur Rimbaud» de Charleville-Mézières.
  2. «Rimbaud, l’oeuvre intégrale manuscrite», édition établie et commentée par Claude Jeancolas (Textuel).
  3. Lire à sujet : Les sources réunionnaises du «Bateau ivre» (2)