Les sorciers oubliés de la route du Littoral

Connaissez-vous le Cap des Sorciers ? La ravine de Vincent d’O ? La ravine Don Juan ? La Pointe du Chameau ? La ravine Capotte ? Le Quay Maroquin ? La ravine Rencontre ? La ravine Tête Dure ? Cela se passe à La Réunion, ou plutôt à l’île Bourbon, en 1793 : sur une vieille carte, le Cap des Sorciers est indiqué à l’emplacement du Cap Bernard, là où bien des années plus tard, passera la Route en Corniche désormais nommée Route du Littoral.

capture_d_e_cran_2020-05-15_a_13.04.09_resultat.jpg
Source : L'Illustration.
La falaise qui surplombe l’océan entre Saint-Denis et La Possession portait à l’époque le nom de «Cap des Sorciers». Source : L’Illustration.

Qui étaient ces mystérieux sorciers ?


Une vieille carte qui a refait surface en 2011 à l’occasion d’une vente aux enchères à l’Hôtel Drouot [Paris] nous livre des informations passionnantes sur l’île de La Réunion en 1793. Elle est désormais versée dans la collection du MADOI [Musée des arts décoratifs de l’océan Indien] qui a eu l’heureuse initiative d’en faire l’acquisition pour 10.500€.

La découverte de cette carte dressée par Antoine Denis Selhausen, ingénieur géographe, arpenteur, juré des tribunaux de la colonie, nous permet désormais, grâce à la toponymie de notre île au 18ème siècle, de retrouver les sources de certains lieux-dits mais aussi de constater que certains noms ont totalement disparu du langage courant et de la mémoire collective et que d’autres étaient orthographiés de manière fantaisiste.

Ainsi découvre-t-on que la falaise qui surplombe l’océan entre Saint-Denis et La Possession, connue sous le nom de «Cap Bernard», portait à l’époque un tout autre nom : le «Cap des Sorciers» ! Tout un programme. Qui étaient ces mystérieux sorciers ? Officiaient-ils précisément sur ce lieu où la falaise plongeait en pente vertigineuse dans l’océan Indien ? A quelles pratiques occultes se livraient-ils ? Étaient-ils des esclaves marrons ?


L’effacement de précieuses traces de notre histoire


Pourquoi ce nom a-t-il disparu ? A-t-il été volontairement voué à l’oubli par superstition ou avec la volonté d’effacer de précieuses traces de notre histoire ?

La configuration des lieux a été depuis particulièrement bouleversée et notamment, à quelques mètres de distance, — récemment à l’échelle de l’histoire de l’île — par le terrible éboulis qui en 1980, a coûté la vie à trois jeunes, épisode dramatique gravé dans la mémoire populaire réunionnaise.

On constate par ailleurs en détaillant cette carte miraculeusement sortie de l’oubli que la rue du Grand-Chemin à Saint-Denis [actuelle rue du Maréchal-Leclerc] était le point de départ d’un «Grand Chemin» qui faisait tout le tour le l’île. Suivons les traces de ce «Grand Chemin» départ de Saint-Denis, direction ouest…

La carte de Antoine Denis Selhausen présente La Réunion dans un sens inhabituel. A droite, vue sur le secteur du Port.

Une «Pointe du Chameau» oubliée


La rivière des Gallets prend deux « L » alors que plus loin la rivière Saint-Giles… n’en prend qu’un.

On constate au passage que le Cap après Saint-Paul s’appelle «Cap à Houssay» et que le Boucan est nommé «Boucan du Canot». On peut tout simplement attribuer ces fantaisies dans l’écriture des noms à une orthographe approximative.

Un peu plus loin apparaît une «Pointe du Chameau» oubliée.

Direction plein Sud où l’on découvre une ravine «Don Juan» peu avant Saint-Pierre. Plus loin encore, on tombe sur une ravine «Vincent d’O», connue aujourd’hui comme « Vincendo« .


Les sommets incultivables de l’île Bourbon


En remontant vers l’Est, on traverse le célèbre «Grand Pays Brulé» avec son volcan qui n’est pas nommé puis l’on atteint un étrange «Quay Maroquin» dont on prétend qu’il s’agirait en fait d’une déformation de «Mare aux requins» : la mer et ses squales !

Les montagnes sont, pour la plupart, qualifiées de sommets incultivables…

Voilà donc cette île Bourbon de 1793, avec son cortège de mystères, qui hante désormais notre mémoire vive et soulève encore bien des questions auxquelles les historiens et les archéologues n’ont pas encore répondu.

Ne doutons pas que l’archéologie réunionnaise a de beaux jours devant elle. Encore faudrait-il qu’elle dispose de moyens à la hauteur des enjeux.

7 Lames la Mer


Exceptionnel plan manuscrit !


Voici le texte accompagnant la vente aux enchères de cette carte retrouvée…

Plan de l’Isle de Bourbon rédigé par le Sre Selhausen, Arpenteur Juré des Tribunaux de la Colonie. D’après ses Relèvements et ceux qui ont été précédemment faits par le feu Sre Banks ; Vivant Arpenteur à Saint Pierre Isle de Bourbon le 15 Janvier, 1793. Col. d’époque.

Plan manuscrit sur papier fort en 2 feuilles jointes, superbement aquarellé à l’époque. Papier un peu bruni. Quelques plis renforcés par endroits (sans gravité), petites fentes en bordure de carte consolidées. Exceptionnel exemplaire en très bonne condition. 960 x 730 mm.

Ravine Don Juan…

Exceptionnel plan manuscrit figurant l’île de La Réunion et sans doute le premier, avec celui du «Dépôt des cartes et journaux de la Marine», à représenter avec autant d’exactitude la configuration de l’île, le volcan, les rivières ainsi que les terres cultivables.

Le plan est dressé d’après les relevés de Selhausen, Arpenteur Juré des Tribunaux de la Colonie, mais aussi d’après ceux de Banks, Arpenteur du Roi, qui établit en 1742, les plans des villes de Saint-Denis et de Saint-Pierre.

Ravine Vincent d’O…

Ce dernier effectua également, en 1785, un tableau des concessions pour la colonisation de la région de Saint-Joseph. En 1814, Selhausen se consacre à l’élaboration d’un plan de l’île Bourbon, dont il rectifie largement la définition par rapport aux travaux de 1793.

Il inclut dans ce document le plan parcellaire réunionnais, la couverture forestière des Hauts, une esquisse des plans de villes de Saint-Pierre, Saint-Paul et Saint-Denis. La carte est très similaire à celle du «Dépôt des cartes et journaux de la Marine» mais sans la rose des vents en bas de carte.

Vers le milieu du 18ème siècle, la réalisation cartographique prend un nouveau départ, avec les travaux scientifiques de l’abbé Lacaille et de l’astronome Pingré sur le calcul de la longitude. Il existe cependant un décalage entre la représentation cartographique et les nouvelles découvertes scientifiques sur le calcul de la longitude.

Il semble que les premiers calculs corrects de la longitude soient établis par Lacaille. Il s’appuie sur la carte de Denyon et établit de nouveaux levés en 1754. Puis Pingré, en 1761, détermine la position de la paroisse de Saint-Denis par 20° 51′ 47 » de latitude méridionale et 53° 10 » de longitude à l’occident de Paris.

Sainte-Rose et son Quay Maroquin…

Malheureusement, ces études ne profitent ni à Jean Nicolas Bellin, ni aux premiers travaux de Lislet Geofroy, qui s’appuient sur des travaux antérieurs. En revanche, Selhausen, arpenteur des tribunaux de Saint-Denis, en 1793, offre une carte de bien belle facture qui allie, outre ses propres relevés, ceux de Bach et les travaux de Lacaille.

On y décèle une bonne position des masses volcaniques, même si les remparts et les îlets sont encore mal représentés. La reproduction de la ligne de côte est, certainement, la plus proche de la réalité, malgré un Grand Brûlé raccourci.


Lire aussi :


Réalités émergentes Réunion, Océan Indien, Monde.
Presse, Edition, Création, Revue-Mouvement.