Ras Ti-Lang, histoire d’un chanteur à la langue coupée

Les circonstances de la mort de l’artiste mauricien Ras Ti-Lang, le 18 juillet 2004, restent troubles. Perçu comme l’héritier de Kaya, il est passé par la case prison avant de rendre l’âme. Hommage à ce chanteur/musicien de seggae à qui le destin avait réservé une bien étrange épreuve.

Ras Tilang (au milieu) a été influencé par Kaya (à gauche) et Berger Agathe (à droite).
Ras Tilang (au milieu) a été influencé par Kaya (à gauche) et Berger Agathe (à droite).

Seggae, pourquoi sont-ils morts ?


• 21 février 1999 : Kaya [Joseph Réginald Topize], l’inventeur du seggae, 39 ans, est retrouvé mort au fond de sa cellule, baignant dans son sang, le crâne ouvert.

• 22 février 1999 : Berger Agathe, chanteur de seggae, 37 ans, est abattu dans la rue par un policier masqué, au cours des émeutes provoquées par la mort de Kaya. Il brandissait pourtant sa chemise blanche en guise de… drapeau blanc. 62 billes de plomb sont extraites de son corps.

• 15 août 1999 : Gérard Bacorilall, chanteur de seggae, 40 ans, est retrouvé pendu à l’infirmerie du pénitencier central de Beau-Bassin.

• 18 juillet 2004 : Ras Ti-Lang [Jean Webb Brigitte], chanteur de seggae, 30 ans, incarcéré à la prison de Beau-Bassin depuis plus d’un mois, meurt d’une septicémie à l’hôpital où il a été transféré.

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«La rumeur du peuple parle de martyrs»


Cette liste qui fait froid dans le dos n’est pas exhaustive… «Ras Ti-Lang fait partie d’une longue liste de représentants de seggae disparus dans des conditions plus que troubles, affirme le site ilemauricekaya. La rumeur du peuple parle elle de martyrs, de tortures et d’assassinats dans les prisons».

Marie-Josée se souviendra toujours de ce 18 juillet 2004 : «ce sont les policiers du poste de police de Terre Rouge qui sont venus m’annoncer le décès de Ti-Lang». Ti-Lang était son compagnon depuis 8 ans… C’est suite à «une affaire d’amende non payée» selon certains, ou à cause d’un vol qui aurait été commis à Pamplemousse selon d’autres, qu’il était en détention préventive à la prison de Beau-Bassin depuis le 7 juin 2004.

Le 9 juillet, pris de «fortes fièvres et de douleurs abdominales», Ras Ti-Lang est admis à l’hôpital Nehru de Rose-Belle. Il meurt le 18 juillet, laissant derrière lui trois filles désormais orphelines de père [14, 6 et 4 ans].

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Ras Ti-Lang, enfant de la misère


Ras Ti-Lang [pour «petite langue»], de son vrai nom Jean Webb Brigitte, était un enfant de la misère. Pour survivre, il exerçait différents métiers : maçon, vendeur de savates et de chapeaux rasta… Mais ce qui emplissait sa vie, c’était la musique, le seggae [mélange de séga et de reggae] inventé dans les années 1980 par le mythique Kaya qu’il admirait tant.

Elevé dans le quartier de «Batterie Cassée» par sa grand-mère, il n’a pas fréquenté l’école mais transcendait son illettrisme grâce à la musique. «Je ne me suis jamais assis sur un banc d’école pour apprendre, racontait-il. Avec le seggae, je peux passer des messages directs et francs et comme j’ai des difficultés pour écrire, je dois me faire aider et je me concentre d’abord sur les musiques».

Son deuxième album, sorti en 2003, portait le titre d’une des chansons, «L’édikasyon» : «Zame mo finn aprann ledikasyon dan mo lavi / Zame mo finn asiz lor enn ban lekol pou mo aprann /La verite mo pe dir zot / ABCD mo pa mem kone / Sa na pa fer mwa naryen / Kant mem mo napa konn lir / Bondye ki finn donn mwa enn don»…

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Dans le quotidien de ceux qui souffrent


Il était souvent décrit comme l’héritier de Kaya. Certains étaient même convaincus que Kaya s’était réincarné en Ras Ti-Lang tant leurs voix se ressemblaient. «Ti-Lang avait fait la connaissance de Kaya et de Berger Agathe à la fin des années 80, époque où la musique connaissait une certaine révolution, apprend-on sur le site de «5 plus dimanche». Il est séduit par leur musique. Le seggae venait de naître. Il fut par la suite bassiste dans le groupe Ovajaho, dirigé par Berger».

C’est dans le quotidien de ceux qui souffrent que Ras Ti-Lang trouve son inspiration. A travers ses textes et sa musique, il portent leurs voix, la voix des opprimés, la voix de ceux qui, chaque jour, affrontent la misère.

Et la vie décidément n’est pas généreuse avec Jean Webb Brigitte… En revenant d’un concert, il est victime d’un accident de la route qui le marquera jusque dans sa chair de manière cruelle. Le choc est terrible. Ironie du sort, Jean Webb Brigitte a la langue sectionnée en deux. Il ne peut plus parler ; il ne peut plus chanter mais il ne renonce pas.

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Chanter au bord de la rivière pour retrouver sa voix


Cette épreuve ne le détourne pas de sa passion. «Pendant plusieurs jours, je ne pouvais pas parler, racontait-il. Mais, j’ai eu beaucoup d’encouragements de ma famille et de mes amis. Petit à petit, j’ai retrouvé la parole. Pour pouvoir recommencer à chanter, j’ai fait des exercices vocaux. Chaque matin, je prenais un djembé et je me rendais au bord d’une rivière pour chanter». A la suite de cet épisode, il écrit la chanson «Bord la rivière».

Le 18 juillet 2004, Ras Ti-Lang rendait l’âme à 30 ans. Hommage à celui qui affirmait dans une chanson [L’édikasyon] que le Bon Dieu nous a offert à chacun un don. Celui de Ras Ti-Lang était de chanter, même avec la langue coupée.

7 Lames la Mer


Lire aussi : 


Pour écouter Ras Ti-Lang : Ras Ti-Lang sur filoumoris

Sources : filoumoris • 5 plus dimanche • ilemauricekaya • radiomoris • Lespress • etc.


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