Pitons réunionnais : comme les ruines d’un ancien temple

Façonnées par les forces géologiques, les pyramides de La Réunion se fondent dans le paysage vertigineux des montagnes et se révèlent à ceux qui recherchent l’île profonde au détour d’un sentier. «Il y a là comme des ruines d’un ancien temple»… Résurgences hermanniennes, ces édifices dissimulés sous leur manteau végétal invitent l’esprit à rêver d’une civilisation et d’un continent disparus dont nous serions les aveugles héritiers…

A Grand-Bassin. Photo © Loïc Esparon.

«Elles ont été volontairement taillées…»


«Des montagnes travaillées et martelées»… Jules Hermann1, Saint-Pierrois arpenteur du cœur de l’île, a bâti une véritable mythologie réunionnaise, mauricienne, malgache ; un récit de la mer indienne.

Il voit dans nos montagnes, dans leurs formes, les «stigmates du passage des antiques lémuriens». Il théorise, inspiré par les travaux du géographe Elisée Reclus 2 .

«Toutes les grandes tranchées qui marquent obliquement, du sommet de la montagne jusqu’à sa base, ne sont pas des brisures naturelles provenant des convulsions volcaniques de l’ancien continent. Elles ont été volontairement taillées par des moyens qui nous sont encore inconnus»…

A droite : Piton des Calumets à Mafate. Photo : Olivier Nery.

Rêveries poético-scientifiques


Imprégnés des légendes hermaniennes et des «Révélations du Grand Océan», c’est un autre regard que nous posons sur nos montagnes, comme les Mauriciens qui voient par les yeux de Malcom de Chazal «des gisants, (…) des sphinx esquissés, des initiales clairement entaillées et des hiéroglyphes profondément incrustés dans la terre mauricienne».

Si les écrits de Jules Hermann sont souvent qualifiés de «rêveries poético-scientifiques», il n’en demeure pas moins que les terres de la mer indienne — dont La Réunion — portent peut-être les traces d’un ancien continent disparu : les récentes découvertes et les polémiques relatives au micro-continent préhistorique «Mauritia» confortent les adeptes de l’Hermannie dans leurs quêtes. «Gardons-nous désormais d’écarter de nos visions tout ce qui nous paraîtra illusoire et incroyable»…


« Les révélations du Grand Océan » au Corridor Bleu


Quand paraissent, trois ans après la mort de Jules ­Hermann, les Révélations du Grand Océan, c’est le spectre flamboyant d’un écrivain hors norme qui s’apprête à hanter La Réunion, et révèle à la société coloniale de 1927 l’étendue du territoire imaginaire que le Président Hermann a arpenté sa vie durant : l’auteur s’est en effet employé pendant près de quarante ans dans le secret de son étude notariale à édifier une œuvre-monde, donnant naissance à un continent invisible, la Lémurie, que Malcolm de Chazal fera passer à la postérité, mais aussi à une stupéfiante reconstruction de l’histoire de la Terre, des langues et des hommes.

Tome après tome, Jules Hermann s’est en effet livré à une fabuleuse dérive scientifique, où les intuitions fulgurantes se mêlent ­intimement à des visions délirantes de planète copulant avec une ­comète, d’une humanité première et lémurienne partant depuis l’océan Indien à la conquête du globe, d’un continent englouti dont La Réunion, Maurice et Madagascar constitueraient les derniers ­vestiges émergés…


Figures géantes sculptées dans la pierre


Les dernières années d’Hermann seront marquées par une ultime série de révélations, consignées dans Le Préhistorique à l’île Bourbon : scrutant la falaise de la Montagne Saint-Denis, Jules voit un jour ­apparaître des centaines de figures géantes sculptées dans la pierre, et en déduit que se dresse face à lui le grand temple de la civilisation lémurienne.

C’est ainsi que l’auteur des Révélations édifie à son insu un véritable chef-d’œuvre de littérature involontaire, dont la force de subversion reste d’une étonnante actualité, livrant avant l’heure les clefs fondamentales du discours réunionnais, et payant de sa vie cette sidérante révélation : Jules Hermann trouve la mort le crayon à la main, traçant une ultime esquisse, un dessin-suaire de ses extraordinaires visions de la Montagne.

7 Lames la Mer
A découvrir : Le site de Piton Tortue


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Illustration de Jules Hermann, relevé de face de la montagne à Saint-Denis.
A gauche : Mafate. Le piton Cabri et sa « silhouette sculptée » de pyramide. Photo : Gilles Dégras.
A droite : la pyramide égarée… et retrouvée par loucamino.
Source : Piton Tortue.
Source : Piton Tortue.
Kumai Nadu ou Kumari Kandam désigneraient un continent qui autrefois reliait l’Inde, le Sri Lanka, Madagascar et l’Australie. D’après la légende tamoule, les Dravidiens seraient à l’origine venus de Kumari khandam, qui aurait sombré dans les flots suite à un tsunami gigantesque. Les contours de Kumari Kandam se superposent avec le mythe lémurien.
Kumai Nadu ou Kumari Kandam désigneraient un continent qui autrefois reliait l’Inde, le Sri Lanka, Madagascar et l’Australie. D’après la légende tamoule, les Dravidiens seraient à l’origine venus de Kumari khandam, qui aurait sombré dans les flots suite à un tsunami gigantesque. Les contours de Kumari Kandam se superposent avec le mythe lémurien.
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Les pyramides naturelles des Makes. Photo : baroudeur.info
Les pyramides naturelles des Makes. Photo : baroudeur.info
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Dans le cirque de Mafate.
Le visage caché dans la montagne, cirque de Mafate, secteur des Orangers.

Je ne suis pas une île


Falaises paille-en-queue balafrées de torrents
Harnachées de métal vous survivrez longtemps
Dans le lac intérieur de l’ultime Pangée
Laissant comme témoin fleur de lis calcinée
La marque indélébile
Sur l’épaule du temps
Je ne suis pas une île
Je suis un continent

De Koumari Kandam aux frontières de Mu
Nous aurons tout cherché nous aurons tout connu
Tangue dronte papangue hourite holothurie
Nous sommes tes enfants terre de Lémurie
Géographes futiles
Improbables savants
Je ne suis pas une île
Je suis un continent

Kinola le devin nyctalope des morts
Celui qui dit le jour et nomme les rivages
Celui qui parle au vent et ouvre les passages
Nautonier d’outre-tombe il nous dira le nord
Le guetteur Dimitile
Déjà lève le camp
Je ne suis pas une île
Je suis un continent

Jean-Claude Legros – janvier 2010


Réalités émergentes Réunion, Océan Indien, Monde.
Presse, Edition, Création, Revue-Mouvement.

  1. Enfant d’une famille installée dans l’île depuis quatre générations, Jules Hermann était un « touche à tout » génial. Un amoureux de La Réunion et particulièrement du Sud. Sa carrière pourrait se « résumer » ainsi : avocat au barreau de Saint-Pierre, notaire de 1872 à 1911, journaliste, maire de Saint-Pierre [1901-1902], président du Conseil Général, candidat malheureux à la députation contre François de Mahy [1902], président de l’Académie de La Réunion à partir de 1913, historien, savant, «coureur de montagne» comme le décrivent Marius et Ary Leblond dans leur roman «Le miracle de la race», fondateur du premier syndicat des planteurs de café et des planteurs de géranium, correspondant de la Société astronomique de France, membre de l’Académie des Sciences de Paris, écrivain, scientifique, linguiste, chercheur, visionnaire, précurseur. Archiviste ! Poète. Artiste passionné. Et caetera ! «Son œuvre, abondante et diversifiée, n’est pas totalement tombée dans l’oubli — encore que les éditions originales de ces écrits soient devenues rarissimes actuellement ! —, confie Alain Marcel Vauthier à 7 Lames la Mer. Elle a fait l’objet d’une réédition partielle aux éditions du Tramail, en 1990, par Jean-François Reverzy, aidé d’un comité éditorial composé d’universitaires notamment Jean-Claude Carpanin Marimoutou, Hajaso Volono-Picard, Norbert Dodille, de praticiens des archives et des bibliothèques (…). J’ai appris par ailleurs que des groupes de passionnés organisaient des excursions dans la montagne pour retrouver les signes et les rochers dont parle Jules Hermann dans son œuvre maîtresse «Les Révélations du Grand Océan». Et n’oublions pas le travail de Nicolas Gérodou : une thèse magistrale sur cet ouvrage». Depuis, les éditions du Corridor Bleu ont comblé le manque en rééditant «Les Révélations du Grand Océan».
  2. Jacques Élisée Reclus par Nadar, 1830/1905.
    Jacques Élisée Reclus par Nadar, 1830/1905.