«Chez Marcel», dernier maloya ruelle Chinois

Battements de cœur/battements de maloya. Echo d’un chœur surgi du passé. 1991 : la photo publiée sur un réseau social par Victor Erapa a secoué les mémoires engluées dans le virtuel. Comme un bon koudvan [coup de vent] balayant toutes les futilités virales du moment. Oté ! Les ti’pains Sorbe — chauds — récoltés à la fin d’une nuit blanche. Et les bols avalés «Chez Marcel» à quelques pas du petit matin. Résistance mémorielle !

1991, ruelle Chinois : Danyel Waro lors de la dernière fête chez Marcel... Photo : Victor Erapa.
1991, ruelle Chinois : Danyel Waro lors de la dernière fête chez Marcel… Photo : Victor Erapa.

1991 : «Chez Marcel», c’est fini !


C’est une photo qui a émergé d’un réseau social. Prise par Victor Erapa, en 1991. Elle résume l’esprit d’une époque avec sa dalonerie populaire, son rond maloya autour de Danyel Waro, et le frigidaire de Marcel Coupama1 qui trône en arrière-plan.

La scène immortalisée par Victor Erapa se déroule ruelle Chinois, à Saint-Denis, derrière le Prisunic, dans la nuit du samedi 20 juillet 1991. C’est la fête mais c’est aussi un enterrement, la fin d’une mythique époque : le célèbre bar-restaurant «Chez Marcel» — son cabaret comme il l’appelait — ouvert depuis 1962 de 20h jusqu’à 4h du matin, joue sa dernière séance avant de fermer définitivement sa porte en fer.

Marcel Coupama devant son restaurant dont le rideau de fer restait baissé. Pour entrer, il fallait passer par une porte sur le côté, taquée par une chaîne que le patron n'enlevait que si votre tête lui revenait ! Photo d’archives, Le Quotidien de La Réunion, (Raymond Wae Tion)
Marcel Coupama devant son restaurant dont le rideau de fer restait baissé. Pour entrer, il fallait passer par une porte sur le côté, taquée par une chaîne que le patron n’enlevait que si votre tête lui revenait ! Photo d’archives, Le Quotidien de La Réunion, (Raymond Wae Tion)

Les méandres du tourné/viré d’une époque


Le patron des lieux, Marcel Coupama tire sa révérence : ennuis de santé, soucis financiers… Près de 40 ans d’existence ont fait de « Chez Marcel » une véritable institution du monde de la nuit. Un lieu incontournable pour les fêtards et les affamés d’après minuit. Depuis, les noctambules sont tous un peu orphelins et s’il leur prend une envie de rougail saucisses à 3h du matin, ils dormiront ventre vide.

Une soirée de soutien et d’hommage, intitulée «Alé Marcel», était donc organisée ce samedi 20 juillet 1991 à l’initiative du fils de Marcel, Gérald Coupama, et du théâtre Vollard auquel de nombreux artistes s’étaient joints. Danyel Waro était là. Victor Erapa aussi. Et le second a photographié le premier au milieu d’un rond maloya devant l’établissement de Marcel. Le dernier maloya de la ruelle Chinois… Trois décennies plus tard, cette photo nous re/plonge dans les méandres du tourné/viré de l’époque.

Marcel Coupama, derrière le bar de son cabaret.
Marcel Coupama, derrière le bar de son cabaret.

Passage obligé pour initiés des combines créoles


Dans les commentaires qui accompagnent cette photo exhumée, la «résistance mémorielle» — comme l’écrit si bien Victor Erapa — s’exprime à travers les codes tacites de la créolité, distillés par bribes nostalgiques dans le fil de conversation.

“Marcel” et “Sorbe”, c’était indéniablement incontournable pour une fin de soirée réussie, rappelle Marjan.
Un ti’pain Sorbe ou un bol chez Marcel. La résistance mémorielle, confirme Victor Erapa.

En fin de nuit, les dalons fêtards savaient qu’il trouveraient de quoi calmer leur faim dans deux lieux légendaires [aujourd’hui disparus], sorte de «passage obligé» pour initiés des combines créoles.

Le bâtiment qui accueillait autrefois la célèbre boulangerie 'Sorbe'. Source Google.
Le bâtiment qui accueillait autrefois la célèbre boulangerie ‘Sorbe’. Source Google.

Privilège de noctambules et résistance mémorielle !


Le circuit rituel commençait en général par un arrêt angle des rues Labourdonnais et Amiral Lacaze. Là se dressait la boulangerie «chic» du moment, aux murs intérieurs décorés de grandes peintures représentant des personnages égyptiens. Mais à cette heure avancée de la nuit, on n’entrait pas dans le commerce qui était fermé.

On se présentait à l’arrière du bâtiment, à la porte de service, là où les ouvriers-boulangers travaillaient devant leurs fours à la confection des pains et autres macatias à vendre dès le lendemain matin. Et là, pour quelques centimes et parfois pour rien du tout, on pouvait déguster les fameux macatias chauds et odorants sortis tout juste du four. Un privilège de noctambules [ou de lève-tôt], un délice !

L’étape suivante, c’était « Chez Marcel » où le seul accès se faisait par la porte de service [l’entrée principale étant condamnée depuis une bagarre en 1981]. A l’intérieur, il y avait de quoi se régaler : poulet grillé, rougail saucisses, rougail pistache… Et une bonne dose de piment sur un air d’accordéon de Juste Dormeuil.

Résistance mémorielle !

Nathalie Valentine Legros
Merci à Victor Erapa


Pour en savoir plus sur l’ambiance unique de «Chez Marcel» : «Chez Marcel», derrière la porte en fer…



Voir le film de Vollard : «1991: Alé Marcel»

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Marcel Coupama, interviewé par la journaliste Dominique Besson Soubou. Photo : Thierry Hoarau.
Marcel Coupama, interviewé par la journaliste Dominique Besson Soubou. Photo : Thierry Hoarau.
Marcel Coupama et Nathalie Valentine Legros. Interview dans l'établissement 'Chez Marcel'. Photo Raymond Wae Tion. Août 1989.
Marcel Coupama et Nathalie Valentine Legros. Interview dans l’établissement ‘Chez Marcel’. Photo Raymond Wae Tion. Août 1989.

Journaliste, Écrivain, Co-fondatrice - 7 Lames la Mer.

  1. Marcel Coupama est né à Saint-Pierre en 1921. Il est le deuxième d’une fratrie de 8 garçons. Il se marie et a six enfants. Il meurt à 83 ans, à Saint-Denis le 7 juin 2004.