Une île portée disparue au Sud de La Réunion (1)

Localisée généralement au Sud de La Réunion, l’île fantôme de Juan de Lisboa apparaît et disparaît au gré des cartes établies par les navigateurs. A-t-elle réellement existé ? Des récits anciens font sa description. Des expéditions ont été menées pour tenter de l’explorer… En vain. Au Sud de La Réunion, Juan de Lisboa n’a pas fini de nous faire rêver.

Sur la carte des Hollandais, Van Langren et Van Linschooten, de 1597, deux îles sont représentées : Juan de Lisboa au sud de Santo Apolonia (La Réunion) et Dos Romeyros dos Castelhanos à la verticale de Saint-Brandon.

Deux îles perdues au sud des Mascareignes


Depuis le 16ème siècle, les navigateurs européens sont à la recherche d’une île située dans l’océan Indien, au sud des îles Mascareignes : l’île Juan de Lisboa [en français Saint-Jean-de-Lisbonne].

L’une des premières cartes où figure cette île, sous le nom de «Jo de Lisboa», est celle du cartographe portugais, Jorge Reinel, datée de 1520.

Sur une carte anonyme de 1537, elle porte le nom de «Ja de Lixa». Sur la carte des Hollandais Van Langren et Van Linschooten de 1597, deux îles sont représentées, Juan de Lisboa au sud de Santa Apolonia [La Réunion] et Dos Romeyros dos Castelhanos à la verticale de Saint-Brandon. Il en est de même sur la carte établie près d’un siècle plus tard par Van Keulen.

Carte de l’océan Indien, par Johannes van Keulen, 1681.

Une île avec une baie et un îlot au milieu


Jean-Baptiste Bourguignon d’Anville, encyclopédiste et père de la cartographie française ne fait figurer, sur sa carte de 1727, qu’une seule île mais en lui attribuant deux noms : Juan de Lisboa et Dos Romeyros dos Castelhanos. Vingt-deux ans plus tard, sur l’édition de 1749, l’île de Juan de Lisboa a disparu.

Pourtant en 1707, un navigateur du nom de Boynot assura avoir vu l’île Juan de Lisboa alors qu’il quittait l’île Bourbon pour se rendre à Pondichéry. Boynot dit qu’il a vu une île, avec une baie et un îlot au milieu. Il a vu des montagnes, des forêts, des rivières, du gibier, des lièvres, des cochons sauvages.

Selon son estimation, l’île devait faire environ 35 lieues de circonférence [60 km]. Dans les années 1765-1766, un flibustier non-identifié serait même descendu à terre et aurait tué une douzaine de bœufs en moins de deux heures.

Ile de Saint-Jean de ‘Lisbone’, entourée de rouge, et Dos Romeyros dos Castelhanos, entourée de bleu.

A 10h du matin, une terre est apparue


En 1772, le capitaine Sornin et le capitaine Donjon, tous deux officiers sur le même bateau, rapportent des faits similaires dans leur journal de bord. Depuis la veille à midi le vent n’avait cessé de tourner, au point de faire le tour complet du compas : pluie, orage, tonnerre, éclairs. La mer était forte, l’air était en feu.

A dix heures du matin, une terre est apparue. Le capitaine Sornin estima qu’il s’agissait de la pointe sud de Madagascar. Mais arrivé à Rodrigues le 12 mai, il refit ses calculs et en déduisit que la terre aperçue était en fait à 142 lieues dans le sud-est de Rodrigues [près de 800 km] et ne pouvait donc être Madagascar.

Le capitaine Donjon avait pour sa part établi que l’île se situait par 76°34 de longitude est et 27°26 de latitude sud. Mais arrivé à Rodrigues, il constata qu’ils avaient accusé un écart de 47 lieues [260 km] et rectifia la longitude, 73°36 [au lieu de 76°34] dans le rapport qu’il fit au gouverneur.

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L’île fantôme évacuée !


Trente-quatre ans plus tard, le 13 janvier 1806, dûment mandaté par la Société d’émulation de l’Ile-de-France, Epidariste Collin fit une communication dans laquelle il entendait prouver que les Portugais s’étaient établis dans l’île Juan de Lisboa, mais qu’ils s’étaient vite trouvés débordés, car ils avaient trop de possessions à gérer à la fois.

Ils durent alors évacuer les habitants de l’île pour les transférer sur la côte de Zanguebar, au Mozambique, dans une ville appelée Patte. Epidariste Collin fit valoir que les Portugais avaient établi un procès-verbal d’évacuation ainsi que l’inventaire des meubles et effets transportés.

Collin a même fait le déplacement au Mozambique pour vérifier les documents. Il n’a pas pu y accéder mais le gouverneur du Mozambique lui a certifié que ces documents existaient réellement.

Marc-Joseph Marion du Fresne surnommé Marion-Dufresne (1724/1772) et Yves Joseph de Kerguelen de Trémarec (1734/1797).
Marc-Joseph Marion du Fresne surnommé Marion-Dufresne (1724/1772) et Yves Joseph de Kerguelen de Trémarec (1734/1797).

Dufresne et Kerguélen tentent de localiser l’île


Au siècle suivant deux navigateurs célèbres, les Bretons Marion-Dufresne et Kerguélen de Trémarec essayèrent à leur tour de localiser l’île mystérieuse, mais en vain.

En 1772, le gouverneur des Iles Mascareignes confia au lieutenant de vaisseau, Armand de Saint-Félix, la mission de prendre possession de l’île Juan de Lisboa, avant que les Anglais ne le fassent.

Saint-Felix appareilla de Port-Louis le 26 juin 1772 et fit en trois mois pas moins de 77 relevés de longitude et 80 relevés de latitude.

Armand Philippe Germain de Cajarc de Saint Félix (1737/1819). En 1772, Armand de Saint-Félix est chargé de prendre possession de l’île Juan de Lisboa, avant que les Anglais ne le fassent.

Le voile demeure sur l’île mystérieuse…


Saint-Félix rentra à Port-louis le 19 octobre 1772 sans avoir trouvé l’île Juan de Lisboa. D’autres expéditions furent encore menées, comme celle du dénommé Forval en 1780. La dernière eut lieu en 1806.

Pour en finir, Epidariste Collin proposa une explication : l’île Juan de Lisboa a réellement existé, pour la simple et bonne raison que les marins s’étaient trompés : Juan de Lisboa n’était autre que l’Ile-de-France !

Cette pirouette ne lève pas vraiment le voile sur l’île mystérieuse.

A suivre…

Lire la suite : Açores, la disparition soudaine d’une île (2)

Jean-Claude Legros


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